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La vie en société permet-elle au sujet de mieux se connaître ? (Ou Autrui et la Connaissance de soi)

Publié le 21/10/2010

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Pour se faire valoir et être reconnue comme libre, il faut que la conscience de soi se représente pour une autre comme libérée de la réalité naturelle présente. Ce moment n'est pas moins nécessaire que celui qui correspond à la liberté de la conscience de soi en elle-même. L'égalité absolue du Je par rapport à lui-même n'est pas une égalité essentiellement immédiate, mais une égalité qui se constitue en supprimant l'immédiateté sensible et qui, de la sorte, s'impose aussi à un autre Je comme libre et indépendante du sensible. Ainsi la conscience de soi se révèle conforme à son concept et, puisqu'elle donne réalité au Je, il est impossible qu'elle ne soit pas reconnue.

« D'une part la différence entre l'animalité et l'humanité, je ne peux la faire qu'en prenant un autre à témoin, qu'enmontrant ma liberté face à la vie.Or, on ne connaît pas autrui par science immédiate.

Autrui surgit face à moi, si l'on peut dire, comme un objet : lesdeux êtres qui surgissent face à face sont sûrs de leur conscience, mais non de celle de l'autre.

Il faut donc prouverà l'autre mon caractère de conscience : je dois mettre ma vie en jeu.« Chacune [des deux consciences] est bien certaine de soi-même, mais non de l'autre, et ainsi sa propre certitudede soi n'a aucune vérité [...] Le comportement des deux consciences de soi est donc déterminé de telle sortequ'elles se prouvent elles-mêmes et l'une à l'autre au moyen de la lutte pour la vie et la mort.

Elles doiventnécessairement engager cette lutte, car elles doivent élever leur certitude d'être pour soi à la vérité, en l'autre eten elles-mêmes.

»Il est essentiel de noter que la lutte engagée est le contraire de la violence naturelle.

Cette dernière a toujours pourenjeu la survie.

Je me bats avec un autre pour assurer les moyens de ma conservation.

Mais ici, la violence, leconflit ont précisément pour enjeu le refus d'être assimilé à un simple vivant qui ne serait guidé que par le souci desurvivre.

Cette lutte n'a pas pour enjeu la survie « biologique », mais la valeur.Une fois comprise la nécessité de cette lutte à mort par laquelle j'essaie de faire la preuve de mon humanité commeliberté face à la vie, reste à en comprendre l'absurdité.

L'enjeu est la reconnaissance par l'autre, qui seule peut fairela preuve que je suis bien ce que je prétends être.

Or il est certain tout d'abord que cette lutte ne sert à rien si lesdeux meurent, ou refusent la lutte, ou qu'un seul survit.

La seule configuration où la reconnaissance est possible estque l'un abdique par peur de la mort, souci de la survie, et l'autre non.

La mort sert donc de discriminant entre deuxconsciences, l'issue du conflit dépend du rapport que chacun des deux entretient avec la mort.Celui qui a véritablement accepté de courir le risque de la mort pour prouver la valeur de sa liberté et sonindépendance face à la vie biologique est dit « le maître ».

« C'est seulement par le risque de sa vie que l'onconserve la liberté » L'autre, qui a préféré la servitude à la mort, est dit « l'esclave ».Le maître a prouvé qu'il méprisait la vie au point de la risquer pour montrer qu'il n'était pas ce qu'il paraissait êtreimmédiatement, un simple vivant.

C'est face à la vie que s'éprouvent les valeurs.Mais, et là réside l'absurdité de cette lutte, pour être reconnu, pour prouver sa valeur, il faut rester en vie : « Danscette expérience, la conscience de soi apprend que la Vie lui est aussi essentielle que la pure conscience de soi.

»Le maître réalise ici une expérience qui est exemplaire de la dialectique : à la fois il nie la vie (il la met en jeu), il ladépasse (en prouvant qu'il ne se réduit pas à la simple animalité guidée par le souci de se conserver) et il laconserve (sinon la lutte serait ratée).

C'est une opération que Hegel nomme une « Aufhebung » et qu'on traduitparfois par sursomption (nier, dépasse, conserver).On comprend dès lors la différence entre la mort naturelle (le simple fait de périr) et la mort telle qu'elle apparaît iciet qui vise autre chose, non pas le simple anéantissement de la vie, mais son dépassement.

Enfin si c'est face à lavie que se pose toute valeur, la valeur se détache sur un horizon de vie et en reste dépendante.

C'est pourquoi lalutte à mort est à la fois nécessaire et contradictoire.Il faut enfin comprendre cette dialectique comme la matrice logique de toutes les luttes réelles ou symboliques quiont lieu dans l'histoire.

La violence historique n'est pas une violence naturelle.

On la verra réapparaître chaque foisque l'on tendra à assimiler l'homme à un simple vivant, à un simple animal.

On verra resurgir la violence chaque foisqu'on déniera à l'individu toute valeur.Se joue, dans la lutte à mort, la condition d'émergence de la sphère véritablement humaine, celle des valeurs.L'homme s'élève au-dessus de la vie parce que seul il est capable de mettre ainsi sa vie en jeu pour se libérer duseul esclavage possible, celui de la vie.

La phrase est aussi une réponse à tous ceux qui font de l'angoissesécuritaire et de la préservation de la vie le motif principal des actions humaines.

Par exemple à Hobbes qui faisaitde la peur de la mort le socle de la politique et de la construction de l'Etat, Hegel répond : « L'individu qui n'a pasmis sa vie en jeu peut bien être reconnu comme personne, mais il n'a pas atteint la vérité de cette reconnaissancecomme reconnaissance d'une conscience de soi indépendante.

»Par un retournement dialectique, l'esclave contraint au travail deviendra le moteur de la libération humaine, de ladiscipline de l'instinct : le maître sombrant dans la barbarie du caprice.Mais il faut retenir de la lutte à mort pour la reconnaissance que l'on est véritablement humain, autre qu'animal, quel'on ne prouve sa spiritualité, sa liberté, que pour autant qu'on soit reconnu comme tel par un autre homme.L'aspect conflictuel de la rencontre avec autrui montre que notre humanité est toujours à reconquérir contre toutce qui tend à nous assimiler à un simple vivant. La connaissance de mon être passe par la médiation d'autrui Sartre, dans L'Être et le Néant (1943), montre que c'est autrui qui par sa présence, son regard, me fait prendreconscience de ce que je suis.

L'exemple qu'il prend est fort simple : je fais un geste vulgaire et n'en ai nullementconscience : « ce geste colle à moi, je ne le juge ni ne le blâme ».

Réalisant que quelqu'un était là et m'a vu,j'éprouve alors de la honte.

Autrement dit, écrit Sartre, «par l'apparition même d'autrui, je suis en mesure de porterun jugement sur moi-même comme objet, car c'est comme objet que j'apparais à autrui ». Sartre, dans L'Être et le Néant (3e partie, ch.

I, I), pose que la présence d'autrui est essentielle à la prise deconscience de soi.

Il en fait la démonstration par l'analyse de la honte.

J'ai honte de moi tel que j'apparais à autrui,par exemple si je suis surpris à faire un geste maladroit ou vulgaire.

La honte dans sa structure première est hontedevant quelqu'un.

Elle est immédiate, non réflexive.

La honte est un frisson immédiat qui me parcourt de la tête auxpieds sans préparation discursive.

L'apparition d'autrui déclenche aussitôt en moi un jugement sur moi-même commeobjet, car c'est comme objet que j'apparais à autrui.

La honte est, par nature, reconnaissance.

Je reconnais que jesuis comme autrui me voit.

La honte est honte de soi devant autrui; ces deux structures sont inséparables.

Ainsi j'aibesoin d'autrui pour saisir à plein toutes les structures de mon être.

Autrui, c'est l'autre, c'est-à-dire le moi qui n'est. »

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