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L'amitié est-elle une forme privilégiée de la connaissance d'autrui ?

Publié le 17/01/2022

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L'amitié est le terme qui traduit le mot grec philia. Mais ce dernier a un sens très large car il désigne le penchant naturel général pour la vie sociale. Aristote en voit trois espèces : l'amitié qui repose sur le plaisir (fêtes, voyages en groupe, etc.), celle reposant sur l'intérêt et l'utilité (collègues, associés, etc.), et celle fondée sur la vertu (la recherche du Bien), qui correspondrait davantage au sens actuel du mot « amitié «.
On prendra garde qu'il n'est pas demandé si l'amitié est simplement une des formes de la connaissance d'autrui, mais si elle en est une forme privilégiée. On devra donc montrer, si elle est une forme de connaissance d'autrui, en quoi cette forme est privilégiée par rapport aux autres. Cependant il n'est pas interdit de s'attacher à prouver qu'elle n'est pas une forme de connaissance.
  • L'amitié ignorante d'autrui

L'amitié : connaissance des plus secrètes pensées.

Critique des amitiés superficielles.
  • L'amitié est une communion des âmes.

Une affinité mystérieuse.
  • Sympathie et connaissance d'autrui

La sympathie n'est pas connaissance.

La sympathie, connaissance instinctive.

« L'amitié : connaissance des plus secrètes pensées. Critique des amitiés superficielles. Mais une véritable amitié peut-elle être réellement ignorante d'autrui ? Puis-je avoir un véritable ami dont, à la limite, j'ignorerais tout,notre amitié s'alimentant seulement de notre intérêt commun ? C'est impossible, répond Montaigne: la véritable amitié implique tout aucontraire une connaissance des plus intimes pensées de l'autre.Dans un chapitre fameux de ses Essais (liv.

I, chap.

XXVIII), chapitre précisément intitulé «De l'amitié», et où il parle de sa propre amitiéavec Étienne de la Boétie, Montaigne nous rappelle que nous ne pouvons considérer les formes inférieures de l'amitié ou marquées parl'intérêt.

La véritable amitié n'est pas liée au plaisir, elle n'est pas l'amour, celui de « l'affection envers les femmes », que cette dernièresoitpassion ou simple désir.

La véritable amitié n'est pas non plus fondée sur l'utilité et l'intérêt ; elle ne se confond pas avec ces «accointances et familiarités nouées par quelque occasion ou commodité, par le moyen de laquelle nos âmes s'entretiennent ».

Alors,qu'est-elle donc? L'amitié est une communion des âmes. La véritable amitié, nous dit Montaigne, n'est pas un commerce entre deux personnes séparées, car dans l'amitié, il n'y a plus deséparation (d'esprit, sinon de corps) entre les amis : dans la véritable amitié, les âmes des amis ne « s'entretiennent » pas, elles « semêlent et confondent l'une en l'autre, d'un mélange si universel, qu'elles effacent et ne retrouvent plus la couture qui les a jointes ».

C'estdans cette fusion même des âmes que « l'amitié se nourrit de communication », et celle-ci est communication réciproque des plus «secrètes pensées ».

Évoquant La Boétie, Montaigne nous explique : « Aucune de ses actions ne me saurait être présentée, quelque visagequ'elle eût, que je n'en trouvasse incontinent le ressort.

Nos âmes ont charrié si uniment ensemble, elles se sont considérées d'une siardente affection, et de pareilles affections découvertes jusques au fin fond des entrailles l'une de l'autre, que, non seulement jeconnaissais la sienne comme la mienne, mais je me fusse certainement plus volontiers fié à lui de moi qu'à moi.

» Une affinité mystérieuse. Mais encore une fois nous retrouvons la même question fondamentale : est-ce parce que je connais déjà autrui que je l'aime ou est-ceparce que je l'aime que je le connais ?Montaigne ne pense pas que l'amitié résulte d'une connaissance discursive d'autrui, mais la croit due à quelque « force fatale ».

L'amitiéest quelque chose d'inexplicable parlant toujours de son ami La Boétie, Montaigne observe : « Si on me presse de dire pourquoi jel'aimais, je sens que cela ne se peut exprimer qu'en répondant: parce que c'était lui ; parce que c'était moi.

» L'amitié naît d'une attiranceréciproque entre les êtres, d'une affinité élective, qu'Aristote nommait sympathie.

Cette sympathie est-elle donc une forme de laconnaissance d'autrui ? Sympathie et connaissance d'autrui La sympathie est un attrait instinctif que nous éprouvons pour une autre personne avant même d'avoir pu bien la connaître.

Mais pourêtre attiré par quelqu'un, ne faut-il pas déjà le connaître d'une certaine manière? La sympathie serait-elle donc une forme deconnaissance ? La sympathie n'est pas connaissance. Comment puis-je partager les états d'âme d'autrui, ses joies et ses souffrances, observe M.

Scheler, si je n'ai pas une connaissancepréalable de ses sentiments ? Pour sympathiser avec autrui, il faut auparavant que je le comprenne et la compréhension implique laconnaissance.

Ainsi la connaissance paraît devoir toujours précéder la sympathie.

« Ce n'est pas par sympathie que j'acquiers laconnaissance des souffrances d'autrui, mais cette connaissance doit déjà exister pour moi pour que je puisse la partager.

»La seule connaissance qui opère dans la sympathie est en réalité une reconnaissance, celle de l'existence d'autrui.

La sympathie impliqueen effet l'intention de ressentir ce que l'autre sent.

Elle exige donc que l'autre soit posé en tant qu'autre.

Dès lors elle ouvre non sur laconnaissance de ce qu'est l'autre, mais sur la reconnaissance de l'existence indépendante de l'autre.

Elle détruit ainsi l'illusion du solipsisme.

« Sa fonction, écrit Max Scheler, consiste moins à nous fournir une connaissance positive [...] qu'à supprimer une illusion quifait partie intégrante de notre conception primitive du monde.

Elle supprime cette illusion naturelle que j'appellerai égocentrisme.

» Ainsi,par la sympathie, l'autre devient pour moi aussi réel que moi-même. La sympathie, connaissance instinctive. En affirmant que la sympathie passe par la compréhension qui présuppose la connaissance, Max Scheler ne lie-t-il pas à tort la sympathieà l'intelligence ? Sa critique de la fonction cognitive de la sympathie vaut-elle encore si l'on considère que l'attrait instinctif de la sympathieenveloppe précisément une autre forme de connaissance que la connaissance réfléchie et discursive? C'est ce que pense Bergson, qui voit dans la sympathie une connaissance absolument spontanée et immédiate allant jusqu'à se confondre avecl'instinct.Bergson nous invite à réfléchir sur l'exemple suivant : comment le sphex (une sorte de guêpe) sait-ilfrapper de son aiguillon les centres nerveux de la chenille qu'il prend pour proie? Si toute connaissancerelevait uniquement de l'intelligence, le sphex « aurait à apprendre une à une, comme l'entomologiste, laposition des centres nerveux de la chenille [...], mais il n'en serait plus de même si l'on supposait entre lesphex et sa victime une sympathie (au sens étymologique du mot) qui le renseignât du dedans, pour ainsidire, sur la vulnérabilité de la chenille ».

Ainsi le sphex saisit-il le système nerveux de la chenille « dudedans, tout autrement que par un processus de connaissance, par une intuition (vécue plutôt quereprésentée) qui ressemble sans doute à ce qui s'appelle chez nous sympathie divinatrice » (L'Évolutioncréatrice).

Ainsi, selon Bergson, « l'instinct est sympathie », et lorsque cette sympathie devient consciented'elle-même, elle est intuition.Dans ces conditions l'amitié, fondée sur la sympathie, serait bien une forme - privilégiée - de laconnaissance d'autrui. Conclusion Dans l'amitié vraie nous avons le sentiment de connaître parfaitement autrui.

Mais ce sentiment deparfaite transparence, qui nous fait croire que l'amitié est la forme privilégiée de la connaissance d'autrui, pourrait bien n'être qu'une illusion.

Toutefois, même si la sympathie qui anime l'amitié n'est pas une connaissance intuitive, du moinsest-elle un mouvement qui m'oriente vers autrui et m'entraîne vers lui : par là, elle se rattache à la pensée organisatrice de l'avenir et, ence sens, elle est bien une source du savoir et une fonction de la connaissance.. »

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