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l'art modifie-t-il notre rapport à la réalité ?

Publié le 29/03/2005

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Il a souci de l'eïdos primordial. Il cherche le vrai et non pas le vraisemblable ou le plaisant. Tel est l'art égyptien, hiératique, dédaigneux du spectateur, et qui a gardé pendant des millénaires les mêmes canons. Platon exalte dans les « Lois « l'immuabilité de l'art égyptien: « Ils ont exposé les modèles (des belles figures) dans les temples, et ont défendu aux peintres [ ] de rien innover en dehors de ces modèles [ ] En visitant leurs temples, tu y trouveras des peintures et des sculptures qui datent de dix mille ans [ 1 et qui ne sont ni plus belles ni plus laides que celles que les artistes font aujourd'hui, mais procèdent d'un art identique « (656 d-657 a).L'art égyptien ne vise pas à flatter de façon sophistique le point de vue du spectateur. Ce n'est pas l'homme qui est la mesure des choses représentées, mais ce sont les choses mêmes. L'artiste égyptien s'efforce de s'identifier avec les figures peintes ou sculptées qui sont représentées dans une proximité sans distance. Il ne cherche pas à rendre le naturel, l'apparence de la vie et du mouvement, le relief pictural, ce que les Grecs appelaient skiagraphia (c'est-à-dire dessein ou peinture avec ombres) ou bien le modelé, la perspective. L'artiste égyptien néglige cette donnée élémentaire de la perception qui fait qu'un corps est toujours vu d'un certain point de vue. Aussi n'introduit-il aucune déformation, aucun raccourci.

« à la main tu veuilles le promener dans toutes les directions, tu auras vite fait de produire un soleil, vite de produireune terre, vite de te produire toi-même, tout comme le reste, animaux, objets fabriqués, plantes.

» L'artiste estdéfini comme un pseudo-producteur, comme un producteur aveugle de pures et simples apparences.

Car, ditGlaucon, il est certes possible de «produire» avec un miroir, mais ce seront des apparences, et non pas des étants«en vérité» (alètheia).

Le peintre produit un lit «apparent », c'est-à-dire inconsistant.

Et le menuisier ? « Il neproduit pas une Forme, ou ce qu'est le lit, mais seulement un lit particulier » (597 a).

Il ne produit pas la vérité ensoi du lit, c'est-à-dire un lit parfaitement clair, car le bois du lit, le style, la facture, ne font qu'introduire del'obscurité dans la clarté de l'essence du lit.

Cependant il produit vraiment un lit.D'où la hiérarchie des trois lits, qu'établit le texte: le premier lit, l'unique qui soit existant « par nature », lePrototype, l'aspect essentiel établi ou contrôlé par le dieu lui-même ; le second, fabriqué par le menuisier; letroisième, peint par le peintre.

Ici le terme « nature », phusis, signifie bien entendu, l'essence, ce qui se montre desoi-même, par opposition à ce qui est produit par le moyen d'autre chose.

Imitation de la nature veut dire pourPlaton, imitation de l'eïdos, de l'Idée.

L'Idée n'est pas véritablement produite par le dieu.

Il la laisse s'épanouir etveille seulement sur son identité et unicité éternelle.

Car s'il y en avait deux, elles auraient nécessairement unenature commune, et se réduiraient à une troisième.

Ainsi il y a trois sortes de «préposés » à trois modes deprésence de l'être: «Le peintre, l'artisan, le dieu sont ces trois préposés qui président à trois modes de l'eïdos dulit.»Platon distingue donc trois degrés de « production », c'est-à-dire de « venue à la présence », et trois types de «producteurs » : 1.

Le dieu - « il laisse surgir la nature » (phusisphuei).

Dieu seul est artiste, dira Schelling.

Il est nommé phutourgos:celui qui prend soin de la présentation du pur Aspect des choses ;2.

L'artisan - « l'ouvrier du lit » (dèmiourgos klinés), celui qui laisse apparaître dans le bois cet objet disponible, àchaque fois singulier, qui correspond vraiment à l'idée du lit;3.

Le peintre - il ne fait paraître ni le pur Aspect du lit, ni un lit utilisable, mais il obscurcit lourdement l'eïdos par lamatière de la couleur et de la surface peinte, ainsi que par l'angle unique, réducteur, sous lequel est présentél'objet.

Le tableau est ainsi la «troisième production», la troisième « à partir de la nature », dit le texte (597 e),c'est-à-dire à partir de l'Idée.

L'« imitateur » (mimètès) est celui qui préside à ce troisième degré d'éloignement parrapport à la vérité.

Il mérite le nom d'«ouvrier de l'image », car il se propose non pas de représenter le lit tel qu'ilest, mais tel qu'il paraît.L'artiste a-t-il de cette apparence fantomatique le moindre savoir ? Peut-on apprendre d'un peintre la façon de faireun lit ? Peut-on apprendre d'un poète qui chantera une guérison la manière de guérir ? Les poètes ne savent pas dequoi ils parlent.

Ils seraient incapables de « rendre raison » de ce qu'ils imitent.

Ainsi, dit Platon, Homère traite de laguerre, du commandement des armées, du gouvernement des cités, de l'éducation des hommes, mais si onl'interrogeait sur ces techniques, il ne pourrait nous donner aucun principe de ces diverses activités, nous dire parexemple pourquoi une cité est bien ou mal gouvernée.

L'imitation artistique et poétique ne repose sur aucuneconnaissance.

Le poète, l'artiste, n'ont « ni science ni opinion droite » des choses qu'ils imitent (602 a).

Ils seraientincapables d'en exposer les qualités ou les défauts.

Ce sont des ignorants ! Ce réquisitoire, qui exclut l'art de la citécomme inutile, comme incapable d'enrichir tant la pratique que la théorie (l'art ne peut rien enseigner, parce qu'il nerepose sur aucune véritable connaissance), se termine par ce que Platon appelle « le plus grave des méfaits de lapoésie » (il entend ici par la poésie surtout la poésie tragique).

La tragédie, qui nous fait éprouver du plaisir auspectacle du malheur, affaiblit l'élément raisonnable en nous; elle ne nous apprend pas à rester calmes et courageuxsi le malheur nous frappe.

Les poètes flattent l'élément déraisonnable de l'âme et non seulement ne nous apprennentrien sur le monde, mais ne nous apprennent pas à devenir meilleurs.

C'est au nom du réalisme et du bon sens quePlaton condamne l'art en le rattachant à l'inutilité en l'homme («L'imitation n'est qu'une espèce de jeu d'enfant,dénué de sérieux », 602 b - la poésie relève de « cet amour d'enfance qui est encore celui de la plupart des hommes», 608 a ; « Est-il beau, dit-il, d'applaudir quand on voit un homme auquel on ne voudrait pas ressembler ? » 605 c).L'art tragique nous fait aimer l'immoralité, les passions, les crimes, au lieu de nous en donner le dégoût.

Cettecondamnation morale de l'art a pesé plus lourdement dans la tradition que sa condamnation comme ignorance etfabrication d'illusions.L'acharnement antiartistique de Platon est sans doute lié, comme le suggère Nietzsche dans la « Naissance de laTragédie », au chap.

XIV, à une sorte de jalousie et à sa volonté de créer avec ses dialogues une forme littérairenouvelle qui aurait pu éclipser la tragédie... Apologie de l'art égyptien. Sans doute Platon veut-il rivaliser avec l'art de son temps.

Mais il veut d'abord lutter contre son orientation qui luisemble aberrantes.

En effet il le voit, surtout dans le domaine des arts plastiques, s'engager de plus en plus sur lechemin du perspectivisme, c'est-à-dire viser à une restitution illusionniste des apparences.

Cela revient à faire duregard du spectateur la mesure de la beauté et de la vérité.

L'art grec du V ième siècle recherche la vraisemblanceet se soumet aux déformations de la vision; il corrige les formes et les proportions suivant le point de vue duspectateur.

Ainsi pour que, vues d'en bas, les parties supérieures d'une statue placée au fronton d'un temple neparaissent pas plus petites, on les agrandit par rapport aux parties intérieures.

L'artiste fait ainsi passer l'apparencepour le spectateur avant la vérité intrinsèque de la figure représentéesAinsi encore l'anecdote célèbre concernant un concours où se mesurèrent Phidias et un sculpteur plus jeune etinexpérimenté du nom d'Alcamène.

Deux statues d'Athéna étaient à exécuter qui devaient figurer au sommet dehautes colonnes.

Phidias sut tenir compte de l'effet d'éloignement et grossit pour cela fortement les traits du visagede la statue.

Quand les statues furent terminées, mais non encore hissées en hauteur, la statue faite par Phidiasparut si grossière qu'elle provoqua les quolibets de l'assistance.

Mais les deux une fois montées, celle de Phidias. »

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