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L'art nous permet-il d'être plus libre vis-à-vis de nos passions ?

Publié le 05/07/2009

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Jusqu’au dix-huitième siècle, le terme « art « désignait l’ensemble des techniques de production d’artefacts : tel était encore le cas dans le Discours sur les sciences et les arts (1750) de Jean-Jacques Rousseau. Aujourd’hui, par art nous entendons plutôt une activité créatrice gratuite, mais sérieuse, qui représente dans des œuvres un état de la sensibilité et de la pensée d’une époque, en s’opposant à la fois à la disgrâce qui frappe les activités techniques utilitaires, jugées serviles, et à la futilité des activités ludiques vouées au divertissement. Ni labeur, ni distraction, l’œuvre d’art incarne et suggère un sentiment de la vie.

Donner une définition simple et univoque de la liberté n’est possible qu’au prix d’une simplification inacceptable du concept de liberté. En effet, pour définir la liberté, il faut nécessairement faire référence à un terme qui s’oppose à elle. Ainsi on peut définir la liberté par opposition à l’esclavage : alors elle est la condition d’une personne qui n’est pas sous la dépendance d’une autre. Elle s’oppose également à la contrainte, puisqu’elle est le pouvoir de faire ce que l’on veut ; mais elle s’oppose également à l’oppression, en tant qu’elle est le droit de faire tout ce que les lois permettent, sous réserve de ne pas porter atteinte aux droits d’autrui. Enfin, elle s’oppose au déterminisme, puisqu’elle est le pouvoir de la raison humaine de se déterminer en toute indépendance.

La passion est une violente inclination d’un sujet pour un être ou une chose. Maîtrisée, elle l’occupe considérablement et détermine nombre de ses actes. Excessive, elle en vient à dominer sa raison et sa volonté (comme dans le cas de la passion amoureuse). Mais cette définition n’est-elle pas uniquement celle du sens commun ? N’y a-t-il pas un intérêt dogmatique à prétendre que la passion est soit destructrice, soit néfaste à l’homme, qu’elle est une puissance qui s’empare de lui et l’aliène ? Au contraire, n’est-il pas possible de la concevoir comme une force positive, qui entraîne moins l’homme qu’elle ne l’élève, qui lui permet d’affirmer son existence au lieu de le vouer à l’auto destruction ?

La question « l’art nos permet-t-il d’être plus libre vis-à-vis de nos passions ? « ne saurait que nous surprendre dans la mesure où il peut nous sembler que l’art représente bien souvent des actions humaines avec pour effet de les accroitre sinon de les susciter chez les spectateurs. Voilà pourquoi bien des formes artistiques ont pu être taxées de corruptrices au cours de l’histoire puisqu’on leur a reproché de peindre des passions et d’inciter les hommes à écouter leur voix. Cependant, l’art ne permet-il pas d’être libre vis-à-vis de leurs passions à la fois les artistes et les spectateurs ? Si l’artiste crée à partir de passions qui lui tiennent viscéralement à cœur, il s’en sert également à titre de matériau et finit par s’en libérer. Quant au spectateur, l’art ne le permet-il pas de se libérer des passions, notamment sur le mode de la purgation.

La question au centre de notre travail sera donc de déterminer si la représentation des passions par des moyens artistiques a pour effet de les susciter chez le spectateur ou au contraire de l’en libérer au même titre que l’artiste.  

 

I.       L’art ne permet pas d’être plus libre vis-à-vis de nos passions puisqu’il a plutôt tendance à les exacerber

 

a.      Le roman, théâtre des passions, inspirateurs de celles-ci

Nous commencerons par tenir que l’art nous permet d’autant moins d’être libres vis-à-vis de nos passions qu’il a tendance à les faire naitre ou à les renforcer. Dans nombre de ses œuvres, Rousseau critique l’art et les spectacles, et, loin de leur prêter une valeur éducative, affirme que l’art pervertit l’individu. La préface de la Nouvelle Héloïse déclare à ce propos :

 

« Jamais fille chaste n'a lu de romans, et j'ai mis à celui-ci un titre assez décidé pour qu'en l'ouvrant on sût à quoi s'en tenir. Celle qui, malgré ce titre, en osera lire une seule page est une fille perdue; mais qu'elle n'impute point sa perte à ce livre, le mal était fait d'avance «.

 

L’art achève donc la perte des jeunes gens plutôt qu’il ne les éduque, car il leur offre un tableau des mœurs du temps, dépravées et dissolues. Dans Emile, le seul livre que l’enfant est autorisé à lire est Robinson Crusoé, car il offre des connaissances, et des méthodes de savoir faire (comment survivre en milieu hostile ?) capables d’éduquer un jeune enfant. Nous dirons donc que l’art, dans la mesure où il a une influence corruptrice sur les individus, ne nous permet pas d’être plus libres vis-à-vis de nos passions. Pensons à Don Quichotte dont la passion pour l’univers de la chevalerie est favorisée par ses lectures romanesques.

 

 

b.      Le théâtre met en scène des passions qui enflamment celles du spectateur

 

Allant plus loin, nous dirons que l’art ne permet réellement pas d’être plus libres vis-à-vis de nos passions, puisqu’il nous offre un spectacle corrupteur pour les mœurs. Prenons l’exemple du théâtre. En effet, il a beau exister dans le théâtre (notamment celui de l’époque classique) une règle de bienséance qui impose à l’expression des passions une certaine retenue, un ton noble et majestueux qui correspond par ailleurs à l’identité sociale des protagonistes dans la tragédie (des rois et des reines, dans une immense majorité de cas) il n’en reste pas moins que le théâtre représente des idées d’une extrême violence. En effet, il ne faut pas s’y tromper : derrière la pureté de la langue et la rigueur parfaite de l’alexandrin, (notamment chez Racine) c’est une extrême violence qui se donne libre cours. Les passions dans la tragédie classique sont exprimées comme du feu maintenu sous la glace. Nous pouvons notamment constater cette extrême violence des passions évoqués par les personnages dans l’extrait suivant de Phèdre de Racine qui dépeint la passion amoureuse :

« Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue ; Un trouble s'éleva dans mon âme éperdue ; Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler ; Je sentis tout mon corps, et transir3 et brûler. Je reconnus Vénus et ses feux redoutables, D'un sang qu'elle poursuit tourments inévitables. Par des vœux assidus je crus les détourner : Je lui bâtis un temple, et pris soin de l'orner ; De victimes moi-même à toute heure entourée, Je cherchais dans leurs flancs ma raison égarée. D'un incurable amour remèdes impuissants ! En vain sur les autels ma main brûlait l'encens : Quand ma bouche implorait le nom de la déesse, J'adorais Hippolyte, et le voyant sans cesse, Même au pied des autels que je faisais fumer. J'offrais tout à ce dieu, que je n'osais nommer. Je l'évitais partout. Ô comble de misère ! Mes yeux le retrouvaient dans les traits de son père «.

Phèdre, Acte I, scène 3.

De ceci nous tirerons que l’art ne permet pas d’être plus libres vis-à-vis de nos passions, car il représente souvent des êtres qui se livrent à des passions violentes et destructrices.

II.    Mais l’art permet au créateur de se libérer de ses passions en les exprimant

 

a.      Au commencement de l’art, une passion violente…

Cependant, ne peut-on pas dire que l’art nous permet d’être plus libre vis-à-vis de nos passions, dans la mesure où il a tendance à exercer sur nous un effet d’ordre cathartique, c'est-à-dire purgatoire. Prenons l’exemple de l’artiste qui entreprend une œuvre. Il faut bien voir qu’au commencement de l’œuvre artistique, il y a chez le sujet une forte activité émotionnelle. Faire de l’art, pour un être, c’est donc travailler des émotions intenses, un passif émotionnel, une expérience parfois délicate et douloureuse du monde. Prenons l’exemple de Blaise Cendrars : dans Moravagine, il met en scène un double de lui-même aux tendances extrêmement perverses. Un ami psychanalyste de cet écrivain (le docteur Ferral) à déclaré à la lecture du texte :

 

« Vous vous êtes libéré de votre double, alors que la plupart des hommes de lettres restent victimes et prisonniers du leur (…) «.

 

Cet exemple montre bien qu’au commencement de l’œuvre, il existe une passion violente de l’individu pour un thème, une problématique intime et lancinante qu’il est pour lui vitale d’aborder au moyen de l’art.

 

b.       … qui fournit à l’artiste un matériau qu’il travaille ensuite

Mais il faut bien voir que si la passion est à l’origine de l’art, à sa racine, la création artistique permet précisément de s’en libérer. Lisons le texte d’Hegel qui touche au problème de l’art :

 

Cependant, l'expression simplement naturelle des interjections n'est pas encore de la musique; car ces exclamations, certes, ne sont pas des signes arbitraires articulés de représentations au même titre que les éléments phoniques de la parole, et n'énoncent donc pas le contenu d'une représentation dans son universalité en tant que représentation, mais manifestent à même le son et dans le son lui-même une disposition intérieure, une sensation qui se dépose immédiatement dans ces sons, dont l'émission soulage le cœur ; mais cette libération n'en est pas encore pour autant une libération par l'entremise de l'art. La musique, au contraire, doit faire entrer les sensations dans des rapports de sons déterminés, dégager l'expression naturelle de sa rustique spontanéité, de sa grossièreté capricieuse, et la tempérer. Ainsi, les interjections forment bien le point de départ de la musique, mais elle-même ne devient art que comme interjection cadencée, et doit à cet égard soumettre son matériau sensible à un travail artistique préliminaire, avant qu'il ne soit en mesure d'exprimer de façon artistique le contenu de l'esprit «. Hegel

 

Dans ce texte, Hegel met fin à plusieurs mythologies sur l’art : il ne suffit pas d’exprimer brutalement un vécu intérieur pour faire une œuvre d’art ; tout le monde n’est pas artiste, car si tout le monde dispose de vécus intérieurs, seuls quelques uns savent les « cadencer «, les travailler pour faire œuvre d’artiste. Le philosophe montre bien que ce qui est de l’ordre de l’activité émotionnelle intense, de la passion, est un matériau dont s’empare l’artiste pour construire son œuvre. Nous dirons donc que l’art permet bel et bien à l’artiste d’être plus libre vis-à-vis de ses passions, dans la mesure où il lui permet de les extérioriser et de les mettre à distance en en faisant un objet de travail, et non des émotions purement subies.

 

III. L’art permet également au spectateur de se libérer de ses passions

 

a.      La fonction cathartique de l’art : une purgation des passions

Mais qu’en est-il si nous considérons la figure du spectateur et non celle de l’artiste ? Nous tiendrons ici que l’art permet bel et bien au spectateur d’être plus libre de ses passions qu’il en assure la purgation, l’extériorisation. Selon Aristote, la catharsis est l’effet de purification des passions produit sur les spectateurs d'une représentation dramatique. Aristote ne prononce ce terme qui a eu une influence considérable dans l’histoire de l’art occidental, au chapitre VI de la Poétique :

« La tragédie est donc l’imitation d’une action noble, conduite jusqu’à sa fin et ayant une certaine étendue, en un langage relevé d’assaisonnements dont chaque espèce est utilisée séparément selon les parties de l’œuvre : c’est une imitation faite par des personnages en action et non par le moyen d’une narration, et qui par l’entremise de la pitié et de la crainte, accomplit la purgation des émotions de ce genre «.

Pour produire cet effet de libération souvent violent, le dramaturge doit nécessairement représenter un spectacle ou le sang est versé, ce que les dramaturges Elisabéthains comme Shakespeare et surtout Christopher Marlowe ne manquaient pas de faire. Ce dernier a notamment écrit Le massacre de Paris, pièce ou la violence s’épanouit avec la plus grande vigueur. Nous dirons donc que l’art permet au spectateur d’être plus libre vis-à-vis de ses passions puisqu’il entraine une purgation de ces dernières.

 

b.      Une fonction éducatrice de l’art : une représentation des passions d’autrui pour nous aider à maitriser les nôtres 

 

Mais c’est en un autre sens que l’art permet au spectateur d’être plus libre vis-à-vis de ses passions : parce qu’il présente des exemples concrets qui permettent de comprendre le fonctionnement souvent impitoyable de la passion. Une telle thèse pourra être confirmée si nous considérons l’œuvre de l’abbé Prévost. En effet, dans sa préface à Manon Lescaut, l’abbé Prévost définit ainsi l’utilité que son œuvre peut avoir pour un lecteur :

« Chaque fait qu’on y rapporte est un degré de lumière, une instruction qui supplée à l’expérience ; chaque aventure est un modèle d’après lequel on peut se former : il n’y manque que d’être ajusté aux circonstances où l’on se trouve «.

Ainsi, l’œuvre littéraire nous apprend à comprendre le fonctionnement de la passion puisqu’elle présente des exemples concrets des ravages de cette dernière. L’art nous permet d’être plus libres vis-à-vis de nos passions en raison de son caractère éducatif : il montre comment des êtres fictifs se laissent entrainer par leurs passions pour engager les hommes à ne pas les imiter.

 

Conclusion

Dans un premier temps, nous avons montré que l’art ne permet pas d’être plus libre vis-à-vis de nos passions car il est bien souvent taxé d’influence corruptrice sur les hommes. Mais nous avons vu qu’il permettait à l’artiste de se libérer de ses passions en faisant de ces dernières le matériau de son œuvre. Enfin, nous avons montré que l’art permettait également aux spectateurs de se libérer de leurs passions en raison de ses vertus purgatoires autant qu’éducatives. 

« nous permet pas d'être plus libres vis-à-vis de nos passions.

Pensons à Don Quichotte dont la passion pour l'universde la chevalerie est favorisée par ses lectures romanesques.

b.

Le théâtre met en scène des passions qui enflamment celles du spectateur Allant plus loin, nous dirons que l'art ne permet réellement pas d'être plus libres vis-à-vis de nos passions, puisqu'ilnous offre un spectacle corrupteur pour les mœurs.

Prenons l'exemple du théâtre.

En effet, il a beau exister dans lethéâtre (notamment celui de l'époque classique) une règle de bienséance qui impose à l'expression des passions unecertaine retenue, un ton noble et majestueux qui correspond par ailleurs à l'identité sociale des protagonistes dansla tragédie (des rois et des reines, dans une immense majorité de cas) il n'en reste pas moins que le théâtrereprésente des idées d'une extrême violence.

En effet, il ne faut pas s'y tromper : derrière la pureté de la langue etla rigueur parfaite de l'alexandrin, (notamment chez Racine) c'est une extrême violence qui se donne libre cours.

Lespassions dans la tragédie classique sont exprimées comme du feu maintenu sous la glace.

Nous pouvons notammentconstater cette extrême violence des passions évoqués par les personnages dans l'extrait suivant de Phèdre deRacine qui dépeint la passion amoureuse : « Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue ;Un trouble s'éleva dans mon âme éperdue ;Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler ;Je sentis tout mon corps, et transir 3 et brûler. Je reconnus Vénus et ses feux redoutables,D'un sang qu'elle poursuit tourments inévitables.Par des vœux assidus je crus les détourner :Je lui bâtis un temple, et pris soin de l'orner ;De victimes moi-même à toute heure entourée,Je cherchais dans leurs flancs ma raison égarée.D'un incurable amour remèdes impuissants !En vain sur les autels ma main brûlait l'encens :Quand ma bouche implorait le nom de la déesse,J'adorais Hippolyte, et le voyant sans cesse,Même au pied des autels que je faisais fumer.J'offrais tout à ce dieu, que je n'osais nommer.Je l'évitais partout.

Ô comble de misère !Mes yeux le retrouvaient dans les traits de son père ». Phèdre , Acte I, scène 3. De ceci nous tirerons que l'art ne permet pas d'être plus libres vis-à-vis de nos passions, car il représente souventdes êtres qui se livrent à des passions violentes et destructrices. II.

Mais l'art permet au créateur de se libérer de ses passions en les exprimant a.

Au commencement de l'art, une passion violente… Cependant, ne peut-on pas dire que l'art nous permet d'être plus libre vis-à-vis de nos passions, dans la mesure oùil a tendance à exercer sur nous un effet d'ordre cathartique, c'est-à-dire purgatoire.

Prenons l'exemple de l'artistequi entreprend une œuvre.

Il faut bien voir qu'au commencement de l'œuvre artistique, il y a chez le sujet une forteactivité émotionnelle.

Faire de l'art, pour un être, c'est donc travailler des émotions intenses, un passif émotionnel,une expérience parfois délicate et douloureuse du monde.

Prenons l'exemple de Blaise Cendrars : dans Moravagine , il met en scène un double de lui-même aux tendances extrêmement perverses.

Un ami psychanalyste de cet écrivain(le docteur Ferral) à déclaré à la lecture du texte : « Vous vous êtes libéré de votre double, alors que la plupart des hommes de lettres restent victimes et prisonniersdu leur (…) ».. »

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