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L'art peut-il être utilitaire ?

Publié le 31/12/2009

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La question peut paraître au premier abord surprenante. En effet, l'usage veut que l'on évite d'envisager les oeuvres d'art sous un angle purement utilitaire. La réponse à la question semble donc devoir être négative. Mais faut-il se hâter de suivre un usage sans se poser des questions sur son origine et sa signification ? Nous ne le pensons pas. Agir ainsi équivaudrait non seulement à collectionner les banalités et les platitudes, mais encore à ne pas traiter le sujet. Car à quoi sert de se demander si les oeuvres d'art ont une utilité si l'on ne sait pas ce qu'est une oeuvre d'art ? On le voit, la question est difficile. A vrai dire, on ne peut essayer d'y répondre qu'après s'être livré à une analyse sérieuse de l'expression « oeuvre d'art «. C'est donc par cette analyse que nous commencerons notre corrigé. Mais nous nous apercevons bien vite que les difficultés surgissent dès ce moment. Comment définir une oeuvre d'art ? Il ne s'agit pas de se contenter d'une vague énumération d'oeuvres d'art célèbres. Une liste d'exemples ne constitue pas une définition. Constater sans plus que la cathédrale de Chartres ou la Joconde sont des oeuvres d'art ne suffit nullement à faire avancer l'analyse. Nous remarquerons que la recherche d'une définition de l'oeuvre d'art semble nous faire pénétrer dans un cercle. D'un côté l'oeuvre d'art renvoie à l'art, de l'autre, l'art ne se manifeste que par des oeuvres. Il y a là une réelle difficulté que les élèves ne doivent pas chercher à esquiver. Il faut entrer résolument dans ce cercle en s'efforçant de dégager le caractère propre de l'oeuvre d'art. Nous nous aiderons, dans notre recherche, de certains écrits de Heidegger. Nous distinguerons notamment avec lui l'oeuvre du produit et de la simple chose. En bénéficiant de l'acquis de l'analyse de l'oeuvre d'art, nous pourrons alors reprendre la question du sujet « Les oeuvres d'art ont-elles une utilité ? «. Nous faisons remarquer au passage que l'emploi du verbe avoir donne à cette phrase une signification quelque peu différente de celle qu'elle aurait eu s'il s'était agi du verbe être par exemple (la question aurait alors été : « Les oeuvres d'art sont-elles utiles ? «).  Puis nous nous interrogerons sur les rapports de l'art et de l'utilité. Ici, il serait bon, afin d'éviter tout verbiage, d'étayer sa réflexion par des connaissances philosophiques, littéraires et artistiques. Précisons bien aux élèves qu'il ne s'agit nullement pour eux de verser dans une érudition vide ou un éclectisme mondain. Penser n'est pas une activité mondaine et maniérée. Pour conclure, nous proposons de montrer qu'au niveau de l'utilitarisme, les oeuvres d'art n'ont effectivement aucune utilité, mais que, rapporté à l'art seul, le concept d'utilité n'est pas nécessairement vide de sens. L'utilité des oeuvres d'art pourrait être d'ouvrir l'homme à une inutilité par laquelle il se définirait. Cette inutilité n'est pas le simple contraire de l'utile et s'avère au moins aussi vitale pour l'homme que le pain.     

« l'adjectif « artistique », il nous renvoie à l'art et aux artistes.

Si l'artiste est à l'origine de l'oeuvre d'art, celle-ci, enretour, est à l'origine de l'artiste.

Et « il est certain que l'art est encore d'une autre manière à la fois l'origine del'artiste et de l'oeuvre » (id., ibid., p.

11).

Mais si nous ne pouvons percevoir ce qu'est l'art qu'en partant desoeuvres en lesquelles il s'incarne, nous ne pouvons d'autre part comprendre ce qu'est une oeuvre d'art que si nouscomprenons ce qu'est en son fond l'art.

Il est manifeste que notre interrogation tourne en rond.

« N'est-il pas clairque nous tombons dans un cercle vicieux ? » (id., ibid., p.

12).Ne pourrait-on pas toutefois essayer d'éviter de tomber dans ce cercle ? Impossible.

Mais alors que faut-il faire ouplutôt comment doit-on penser ? Tout d'abord il convient de bien comprendre qu'il ne s'agit pas ici d'un cerclevicieux.

Ce cercle en effet ne recèle aucun vice.

Il témoigne au contraire du mouvement d'une interrogation qui seporte d'emblée droit à la question même.

Une telle interrogation refuse de se laisser enfermer dans le champ closdes dichotomies et des oppositions binaires.

Il importe donc d'abandonner toute idée préconçue et de prendre lesoeuvres d'art comme elles nous apparaissent.

Entrons-donc dans le cercle.

Nous constatons qu'une oeuvre d'art, sinous la considérons, répétons-le, telle qu'elle se présente, nous apparaît d'abord comme n'importe quelle autrechose.

« La toile est accrochée au mur comme un fusil de chasse ou un chapeau.

Un tableau, par exemple celui deVan Gogh qui représente une paire de chaussures de paysan, voyage d'exposition en exposition.

On expédie lesoeuvres comme le charbon de la Ruhr ou les troncs d'arbres de la Forêt Noire.

Les hymnes de Hölderlin étaient,pendant la guerre, emballés dans le sac du soldat comme les brosses et le cirage.

Les quatuors de Beethovens'accumulent dans les réserves des maisons d'éditions comme les pommes de terre dans la cave .» (id., ibid., pp.12-13).A nouveau, ces paroles de Heidegger surprennent.

Mais elles ne surprennent au fond que les éminents critiques quiparadent dans les galeries à la mode et les amateurs éclairés qui jacassent dans les salons mondains Par ces motsen effet, Heidegger nous rappelle simplement qu'une oeuvre d'art est d'abord une chose.

Nous devons alors nousdemander ce qu'est une chose.

A coup sûr, la question irrite ou prête à sourire.

Elle ressemble à une esquive, à unefuite.

Elle semble ouvrir la voie à la digression.

Car enfin, on sait bien ce que c'est qu'une chose.

Et si c'était ce«savoir » qui empêchait l'homme d'accéder à l'être même des choses ? « Pourquoi l'homme ne voit-il pas les choses? Il se tient lui-même dans le chemin : il cache les choses » (Nietzsche, Aurore, V, no 438).

Les diversesconnaissances que l'homme prétend posséder sur les choses se ramènent à trois principales.

Examinons-lesbrièvement.

Si nous ramassons une pierre au cours d'une promenade, nous constatons qu'elle est lourde ou légère,poreuse ou lisse, etc.

Bref, cette pierre possède plusieurs caractéristiques, plusieurs qualités.

Ce qu'est la pierreautrement dit la chose elle-même, va consister, selon la première interprétation, dans « ce autour de quoi...

se sontgroupées de telles qualités » (Heidegger, ibid., p.

16).

On pourra alors définir l'être de la chose comme « le supportdes qualités marquantes » de celle-ci.

En choisissant une seconde interprétation, on peut estimer que l'être de lachose réside dans « l'unité d'une multiplicité sensible donnée e (id., ibid., p.

18).

Or cette seconde interprétationnous interdit tout autant que la première, mais pour des raisons inverses, un véritable accès aux choses.

En effet, «les choses elles-mêmes nous sont beaucoup plus proches que toutes les sensations.

Nous entendons claquer laporte dans la maison, et n'entendons jamais les sensations acoustiques ou même des bruits purs.

Pour entendre unbruit pur, nous devons détourner l'ouïe des choses..., c'est-à-dire écouter abstraitement » (id, ibid., p.

18).

Quant àla troisième interprétation, elle ne nous dit pas non plus ce qu'est une chose.

Car en considérant que l'être deschoses consiste dans la connexion d'une matière et d'une forme, et en interprétant la chose comme une « matièreinformée » (id., ibid., p.

19) [c'est-à-dire une matière prise dans une forme], cette interprétation se réfère plus auproduit qu'à la chose.Mais qu'est-ce donc alors qu'une chose ? Pour répondre fort succinctement, nous disons qu'une chose, ramassée enelle-même dans sa spontanéité, et au plus proche des hommes qui ne perçoivent en général rien d'une telleproximité, est ce qui ouvre l'homme au monde.

La chose « rassemble le monde » (id., Essais et Conférences, p.

215)ou plus exactement, c'est à travers les choses crue le monde devient ce qu'il est.

Nous parlons bien de choses etnon d'objets.

En effet, c'est à partir du moment où, avec Descartes, l'homme devint le sujet par excellence que vis-à-vis de lui tout se fit objet.

L'homme qui dit « je pense, donc je suis s, se représente des objets mais ne rencontrejamais les choses.

Les choses se déterminent par rapport au « Je », au sujet.

Elles ne sont plus désormais que desobjets.

C'est pourquoi il faut se débarrasser de la détermination restrictive de la chose comme objet pour pouvoirapprendre ce qu'est une chose.

Mais venons-en maintenant au produit qui peut être caractérisé comme une matièreouvragée.

Il est à noter que dans le langage courant, on parle par exemple des produits du commerce, ou même desproduits artisanaux, mais très rarement des produits artistiques.

On emploie certes l'expression de productionsartistiques, mais le mot « production » ajoute ici une nuance de création.

Le produit occupe une positionintermédiaire entre la chose et l'oeuvre d'art.

C'est bien d'abord une chose.

Mais, alors que la chose semble êtrecaractérisée par sa présence spontanée, le produit, nous l'avons vu, est une matière ouvragée.

C'est par exempleune paire de chaussures.

Résumons à présent en suivant Heidegger ce que nous a appris cette brève étude d'unechose ( le caillou trouvé au bord du chemin), d'un produit (une paire de chaussures) et d'une oeuvre d'art (letableau de Van Gogh représentant précisément une paire de souliers de paysan).

« Le produit, par exemple leproduit « chaussures », repose en lui-même comme la chose pure et simple ; mais il n'a pas la spontanéité du blocde granit.

Par ailleurs, le produit révèle aussi une parenté avec l'oeuvre d'art, dans la mesure où il est fabriqué demain d'homme.

Mais, à son tour, l'oeuvre d'art, par cette présence se suffisant à elle-même qui est le propre del'oeuvre, ressemble plutôt à la simple chose reposant pleinement en cette espèce de gratuité que la spontanéité deson être lui confère.

Cependant nous ne classons pas les oeuvres parmi les simples choses » (id., Chemins..., p.

21).Il apparaît ainsi que la plénitude de l'oeuvre d'art n'est pas celle de la chose.

Mais en quoi au juste s'en distingue-t-elle ? « Par cette présence se suffisant à elle-même qui est le propre de l'oeuvre ».

Précisons ce point.

Une pierrese trouve au bord du chemin par exemple.

Cette pierre est là dans la plénitude naturelle de sa spontanéité.

Elle estnaturellement pleinement présente.

Mais la plénitude de l'oeuvre d'art n'est pas, quant à elle, naturelle.

Ou si l'onveut continuer à employer le mot « nature », il faut dire que dans l'oeuvre d'art la nature se fait sens.

Le tableauest ce qu'il nous montre et le poème est ce qu'il nous dit.

la présence se suffisant à elle-même du poème ou du. »

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