l'art peut il se passer de la passion ?

« La réponse à cette question, et donc la manière de traiter le sujet, dépendent évidemment de la conception que l'on se fait de l'art,notion vague entre toutes, largement subjective, dont le champ est loin d'être clairement délimité: l'un verra de l'art là où l'autre n'enverra pas.

Il convient par ailleurs d'examiner de quelle(s) passion(s) l'art ne saurait éventuellement se passer : passion de l'art lui-même : (la création artistique serait une passion) ? ou autre(s) passion (s) ? 1.

La passion nécessaire a) Des exemples Les grands artistes, peintres (cf.

Van Gogh), sculpteurs, musiciens, écrivains furent des passionnés :— d'abord passion pour leur art,— mais aussi autres passions : jeu (Dostoïevski), amour (Dante), alcool (Verlaine, Modigliani). b) Caractères de la passion Elle monopolise la vie psychique.Dans la passion, l'artiste se concentre tout entier (sa pensée, son énergie) sur ce qu'il fait.

Elle exacerbe la sensibilité (des sentiments, des émotions) : parce qu'il est passionné, l'artiste « ressent » plus et mieux.

Elle fait rompre avec les conventions de la vie ordinaire : l'artiste se libère des formes et des règles déjà établies. c) La passion purificatrice La passion est joie, mais aussi, peut-être surtout, souffrance.

Cette souffrance serait créatrice dans la mesure où elle forgerait l'artiste,l'affermirait et le purifierait pour qu'il devienne ce qu'il est, comme le Christ dut subir la passion avant d'être transfiguré. d) La passion, élément dionysiaque de l'art La passion apparaît alors comme le nécessaire élément dionysiaque de l'art, si l'on admet avec Nietzsche que l'art a pour racine à la fois l'ordre et l'ivresse : Apollon et Dionysos.

L'art serait en effet le monde de l'illusion apollinienne,monde de l'individuation, de l'ordre, de la mesure et de l'harmonie, mais ce monde se construit surle monde dionysiaque, monde de démesure, d'ivresse et de transe où disparaît le principed'individuation. e) Passion et inspiration On peut dans cette perspective se demander si la passion, dans son jaillissement irrationnel etdans la forme d'aliénation qu'elle constitue (où l'artiste n'est plus lui-même, il ne peut se contrôler,il se regarde agir) ne constituerait pas souvent au fond cette intuition, cette inspiration que l'onnomme le « génie ».— Cf.

Kant : Le génie est une disposition innée de l'esprit par laquelle la nature donne ses règles àl'art.— Cf.

Alain : L'artiste fait d'abord l'œuvre : son jugement, ses idées ne viennent qu'ensuite.L'artiste qui crée est « spectateur de son œuvre en train de naître ». 2.

Critique a) Une conception particulière de l'art? Ainsi il semblerait que l'art ne puisse pas pouvoir se passer de la passion.

Mais on peut sedemander si cet art qui ne peut se passer de la passion ne se ramène pas simplement à nofreconception moderne de l'art, ou plutôt à une certaine conception moderne de l'art. b) L'art sans passion À l'analyse (surtout si l'on en fait l'histoire) la notion d'art se révèle finalement très ambiguë.

Elle recouvre des réalités fortdifférentes, qui vont de la technique (il n'est pas indispensable d'introduire l'idée de beau dans la définition de l'art) aux beaux-arts, etles divers statuts de l'artiste allant de celui d'artisan, d'ouvrier, à celui de philosophe et d'inspiré.

L'art peut ainsi se passer de la passion si :— l'on ramène l'art à la technique, voire (cf.

l'esthétique marxiste) à tout produit d'un travail libre, non aliéné ;— l'on conçoit un art « froid », jusqu'à en faire quelque chose de purement intellectuel, une sorte de concrétisation du concept et de laraison.

Par exemple, le classicisme : l'art doit obéir à des règles raisonnables (cf.

L'art poétique de Boileau) ; ou l'« art conceptuel »contemporain.

Dans ces conditions, non seulement l'art peut totalement se passer de la passion, mais encore, dans certains cas, le doit.. »