Devoir de Philosophie

Le comportement : naturel ou culturel ?

Publié le 12/09/2010

Extrait du document

Expliquez le texte suivant :   MERLEAU-PONTY  (Structure du comportement)

 

« L'usage qu'un homme fera de son corps est transcendant à l'égard de ce corps comme être simplement biologique. Il n'est pas plus naturel ou pas moins conventionnel de crier dans la colère ou d'embrasser dans l'amour que d'appeler table une table. Les sentiments et les conduites passionnelles sont inventés comme les mots. Même ceux qui, comme la paternité, paraissent inscrits dans le corps humain sont en réalité des institutions. Il est impossible de superposer chez l'homme une première couche de comportements que l'on appellerait « naturels « et un monde culturel ou spirituel fabriqué. Tout est fabriqué et tout est naturel chez l'homme, comme on voudra dire, en ce sens qu'il n'est pas un mot, pas une conduite qui ne doive quelque chose à l'être simplement biologique - et qui en même temps ne se dérobe à la simplicité de la vie animale, ne détourne de leur sens les conduites vitales, par une sorte d'échappement et par un génie de l'équivoque qui pourraient servir à définir l'homme. Déjà la simple présence d'un être vivant transforme le monde physique, fait apparaître ici des "nourritures", ailleurs une "cachette", donne aux "stimuli" un sens qu'ils n'avaient pas. A plus forte raison la présence d'un homme dans le monde animal. Les comportements créent des significations qui sont transcendantes à l'égard du dispositif anatomique, et pourtant immanentes au comportement comme tel puisqu'il s'enseigne et se comprend. On ne peur pas faire l'économie de cette puissance irrationnelle qui crée des significations et qui les communique. «.

Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, 1ère partie, chap. VI, Paris 1967, pp. 220-221.

 

 

 

Cet extrait porte sur « l’usage qu’un homme fera de son corps « (l. 1) ou encore sur ses « comportements « (l. 19 & 21) c’est-à-dire sur l’activité observable de l’être humain. On pourrait énoncer ainsi la thèse qu’il défend : le naturel et le culturel, bien que distincts, sont étroitement imbriqués dans chacun de nos comportements (l. 10), ce qui revient à dire que la culture humaine ne peut s’exprimer autrement que par et à travers son être biologique, sans pouvoir s’y réduire. Elle est argumentée en trois temps : primo, l’usage que je fais de mon corps est irréductible à sa constitution biologique, c’est-à-dire qu’il est culturel (l. 1-7) ; mais (deuxième étape l. 7-15) cette culture ne peut être considérée comme une « deuxième couche « qui recouvrirait mon animalité, elle « détourne de leur sens les conduites vitales « ; cela suppose (troisième étape l. 15-22) que le comportement soit « créateur de significations « qui, bien que non innées, peuvent « s’enseigner et se comprendre «.

Comment comprendre ce paradoxe ? Par mon corps, je suis biologiquement tout à fait semblable à un animal -je suis né par reproduction sexuée, je mourrai, je peux attraper d’une bête une maladie contagieuse, j’ai besoin pour vivre de respirer, me nourrir, dormir- et je m’éprouve pourtant irréductiblement différent de lui. Ce que j’exprime intuitivement en disant que «  j’ai un corps «, et non pas «  je suis un corps « ; mais quel est ce « je « qui « a « un corps ? Philosophes et théologiens ont tenté de le conceptualiser sous le nom d’âme ou d’esprit doué d’une conscience de soi, ce qui conduit souvent à une conception dualiste, à une division de l’homme en deux entités ou substances, l’une corporelle, l’autre immatérielle et spirituelle mystérieusement unie à la première. L’anthropologie préfère opposer à la nature animale, limitée à ses instincts innés, une culture que l’homme peut transmettre, faire évoluer de génération en génération, et par laquelle il s’avère capable de transformer radicalement son rapport au milieu naturel et à lui-même. C’est précisément l’articulation en l’homme d’une nature biologique à laquelle il appartient par son corps, et d’une culture par laquelle il ne cesse de s’en « échapper « (l. 14) dans ses comportements, qu’interroge ce texte de Merleau-Ponty.

« marquera sa colère ou sa méfiance par le sourire, du baiser « à la russe » ou du japonais qui exprimeral'acquiescement en redressant la tête vers le ciel, quand l'européen traduira plutôt par cette mimique saconsternation. Mais si ces pratiques ne sont pas génétiquement « inscrites dans le corps humain » (l.

6), Merleau-Ponty refusetout autant d'y voir une deuxième strate « superposée » à une « première couche de comportements » restés, sil'on peut dire, à l'état brut ou natif.

Il serait vain et naïf de chercher à séparer les comportements humains en deuxclasses : ceux qui sont culturels et acquis par éducation (savoir-faire, apprentissage d'une langue, bonnesmanières, rituels sociaux…) ; et ceux (respiration, alimentation, marche, sexualité… ) qui seraient restés naturelsparce qu'innés.

Une telle conception ne serait qu'une résurgence modernisée des théories dualistes qui s'efforçaientde recomposer l'homme à partir de deux entités irréductibles l'une à l'autre : l'âme et le corps, la matière et l'esprit(comme le suggère dans le texte la synonymisation de culturel avec spirituel, l.

9).

Contre ceux qui -intelligemmentet faute de mieux- opposaient hier appétits du corps et mouvements de l'âme, et ceux qui aujourd'hui -sottement etsans excuse- prétendent faire le tri entre besoins « primaires » et « sociaux », l'auteur affirme l'unité, à la foisvécue et perçue, concrètement indécomposable, d'un comportement humain toujours ambigu : « tout est fabriquéet tout est naturel chez l'homme, comme on voudra dire » (l.

10).

Deux manières de s'exprimer -celle du biologisteet celle de l'anthropologue- également acceptables pourvu qu'on ne les sépare pas, et qu'on garde à l'esprit ce« génie de l'équivoque » (l.

15) -cette aptitude à jouer constamment sur deux tableaux- qui ,nous dit l'auteur, « pourrait servir à définir l'homme ».

Car si aucun de nos comportements n'est d'avance « inscrit dans le corpshumain » sous forme d'un instinct génétiquement préprogrammé, aucun non plus ne peut « prendre corps »autrement qu'en « détournant de leur sens (c'est-à-dire de leur fonction biologique) des conduites vitales » (l.

13)pour les investir d'une signification culturelle.

Ainsi, un nourrisson sait naturellement crier ; s'il n'était capable de coordonner d'instinct son souffle avec une vibration des cordes vocales, jamais il ne parlerait.

Reste que la maîtrised'un langage articulé lui donne accès à une réflexion, une possibilité toujours ouverte de création de sens dont estexclu à jamais l'animal -condamné à miauler, bêler ou braire toute sa vie.

Le concept d' échappement (souligné) suggère une analogie imagée entre la façon dont la culture « détourne » les conduites naturelles, et celle dont ledispositif du même nom « asservit » le mouvement de l'horloge.

L'insertion ingénieuse, sur la roue dentée principale,d'une ancre couplée au balancier et ne laissant échapper qu'une dent par oscillation, « détourne » le mouvement naturel de chute du poids ou de détente du ressort pour y introduire une régularité chronométrique qui n'existe pasdans le mécanisme physique initial, mais qui serait néanmoins impossible sans lui. La fin du texte (l.

15-22) développe cette idée de seuils, de paliers successifs séparant le monde physique dubiologique, l'univers biologique (naturel) du « monde culturel » (l.

9).

Ainsi, la pousse de l'herbe et des fruits n'estrien d'autre qu'un phénomène naturel de végétation ; les anfractuosités du sol, les irrégularités de la roche résultentde phénomènes physico-chimiques d'érosion.

C'est seulement la constitution biologique de l'animal -les besoins quelui assigne son fonctionnement physiologique- qui lui font trouver ici une nourriture à son goût, là un gîteconvenable.

De même que le phénomène physique (l'herbe, le trou, l'anfractuosité), sans cesser d'être ce qu'il est,se trouve « transcendé » en élément vital (pâture, terrier, abri) par la fonction animale, de même ces fonctionsvitales (le « dispositif anatomique », l.

20) sont à leur tour « transcendées » par les significations (l.

19) culturellesque le comportement humain y introduit : le grognement ou le cri en langage, l'instinct sexuel ou génital en amourou en « paternité », le besoin de dépense physique en danse rythmée ou en prouesse sportive.

Mais Merleau-Pontyinsiste sur le fait que ces significations culturelles restent « immanentes au comportement comme tel », sousl'argument qu'il « s'enseigne et se comprend ».

Qu'est-ce à dire ? C'est, nous semble-t-il, à nouveau le refus d'unspiritualisme qui recourt trop aisément au « deus ex machina » d'une âme immatérielle.

Nos comportements nepeuvent pas plus s'arracher au monde de la chair, à la vie du corps qui les porte, que ce corps lui-même, à l'instarde l'animal qu'il ne cesse pas d'être, ne peut survivre hors du monde physique.

C'est ainsi qu'ils peuvent être perçuspar autrui, se transmettre par imitation spontanée, apprentissage ou éducation (s'enseigner), s'interpréter (secomprendre), c'est-à-dire s'échanger.

Qu'est-ce au demeurant que la signification d'un comportement ainsi entendu(une phrase prononcée, un geste, une attitude), sinon l'ensemble des réponses qu'il est susceptible de susciter -oud'exclure- chez autrui ? Se comporter en père ou en mère, ce n'est plus la réaction instinctive de l'animal protégeant sa progéniture, c'est la réponse , toujours culturellement cadrée mais potentiellement originale et inventive, à un ensemble complexe d'attentes de l'entourage (enfant, famille, société), elles-mêmes manifestées parses comportements. Que veut-on dire lorsqu'on définit l'homme comme un être de culture ? Et en quoi consiste cette culture qui nousfait « humains » en même temps qu'elle est faite par nous ? On peut dire de ce texte qu'il prend clairement positionsur ces questions en nous invitant à penser l'univers des significations culturelles comme « immanentes », auxcomportements des êtres vivants qui les créent et les portent, c'est-à-dire indétachables d'eux.

En soutenantnettement que la culture est « transcendante » aux seules fonctions biologiques du corps, Merleau-Ponty refuse dela réduire à une simple excroissance organique, à un moyen -spécifique à l'homme- de satisfaire un ensemble debesoins : on ne saurait en effet lui trouver aucune nécessité biologique.

Ne force-t-il pas la note en tenantl'expression des passions pour aussi conventionnelle que les noms d'une langue ? En affirmant qu'elle est immanenteau comportement, il s'oppose à toute conception dualiste de l'homme, autant qu'aux embaumeurs qui voudraient lamomifier dans je ne sais quel « patrimoine de l'humanité » fait de livres poussiéreux, de monuments lézardés,d'oeuvres d'art sanctifiées… Pas plus que la philosophie n'est dans les livres, mais dans le questionnement vivant deceux qui s'interrogent en les lisant -ou à toute autre occasion-, la culture n'est certes pas un trésor déposé dans. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles