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Le DIVERTISSEMENT dans les Pensées de Pascal

Publié le 21/05/2010

Extrait du document

pascal
"Quand j'ai pensé de plus près, et qu'après avoir trouvé la cause de tous nos malheurs, j'ai voulu en découvrir la raison, j'ai trouvé qu'il y en a une bien effective, qui consiste dans le malheur naturel de notre condition faible et mortelle, et si misérable, que rien ne peut nous consoler lorsque nous y pensons de près. De là vient que le jeu et la conversation des femmes, la guerre, les grands emplois, sont si recherchés. Ce n'est pas qu'il y ait en effet du bonheur, ni qu'on s'imagine que la vraie béatitude soit d'avoir l'argent qu'on peut gagner au jeu, ou dans le lièvre qu'on court : on n'en voudrait pas, s'il était offert. Ce n'est pas cet usage mol et paisible, et qui nous laisse penser à notre malheureuse condition, qu'on recherche, ni les dangers de la guerre, ni la peine des emplois, mais c'est le tracas qui nous détourne d'y penser et nous divertit. Raison pourquoi on aime mieux la chasse que la prise. De là vient que les hommes aiment tant le bruit et le remuement; de là vient que la prison est un supplice si horrible; de là vient que le plaisir de la solitude est une chose incompréhensible. Et c'est enfin le plus grand sujet de félicité de la condition des rois, de ce qu'on essaie sans cesse à les divertir et à leur procurer toute sorte de plaisirs. Le roi est environné de gens qui ne pensent qu'à divertir le roi, et à l'empêcher de penser à lui. Car il est malheureux, tout roi qu'il est, s'il y pense. Voilà tout ce que les hommes ont pu inventer pour se rendre heureux. Et ceux qui font sur cela les philosophes, et qui croient que le monde est bien peu raisonnable de passer tout le jour à courir après un lièvre qu'ils ne voudraient pas avoir acheté, ne connaissent guère notre nature. Ce lièvre ne nous garantirait pas de la vue de la mort et des misères, mais la chasse — qui nous en détourne — nous en garantit." PASCAL, Pensées. Sous la forme d'un commentaire composé, vous étudierez ce texte de Pascal, extrait des Pensées; vous montrerez en particulier comment la rigueur de l'argumentation, l'habileté dans la disposition des idées et des exemples, la sobre utilisation des moyens stylistiques se joignent pour confronter le lecteur de bonne foi avec sa misère et l'amener à chercher un remède réel au tragique de sa condition.
Le texte proposé est constitué de passages d'un assez long fragment des Pensées ayant pour titre Divertissement et portant le numéro 205 dans l'édition de la Pléiade (pages 1138 et suivantes) ou le numéro 139 dans l'édition Brunschvicg. Les principales difficultés de ce texte sont de deux ordres. Tout d'abord, il importe d'avoir une connaissance suffisante des Pensées de Pascal dans leur ensemble pour saisir, au-delà du détail du texte, la raison profonde de son propos. Sans vouloir résumer ici le dessein général de l'Apologie de la religion chrétienne que Pascal avait entreprise et dont les Pensées constituent les fragments, rappelons que parmi les « puissances trompeuses «, marques de la misère de l'homme sans Dieu, le divertissement possède un double aspect. D'une part il est indispensable à l'homme pour se sentir heureux : « Sans divertissement il n'y a point de joie, avec le divertissement il n'y a point de tristesse,« (p. 1143)1, mais il est d'autre part et du même coup « la plus grande de nos misères « (p. 1147) puisqu'il « nous fait perdre insensiblement « (id.) et nous empêche de « chercher un moyen plus solide'« (id.) de sortir de l'ennui, à savoir le recours à la religion et à la Foi. Ce double caractère du divertissement, positif en apparence et profondément néfaste en réalité doit rester présent à l'esprit si l'on veut comprendre la liaison entre le premier paragraphe du texte et les suivants. Le second ordre de difficultés provient en effet du découpage du texte. Il est d'autant plus difficile de mettre en relief « la rigueur de l'argumentation «, comme y invite expressément l'énoncé, que le début du fragment ainsi qu'un assez long passage prenant place entre le premier et le second paragraphes du texte proposé ont été supprimés. Nous les reproduisons ci-dessous en document afin de rétablir l'enchaînement des idées de ce fragment. Soulignons enfin que l'étude des moyens stylistiques ne doit en aucun cas être séparée de celle des idées et des exemples soutenant l'argumentation, ces différents éléments « se joignant « comme le précise justement l'énoncé.

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« Pensées existent en collections de poche, par exemple chez Garnier-Flammarion ou dans la collection le Livre dePoche.

L'édition des Pensées dans le tome des Oeuvres complètes de Pascal de la collection de la Pléiade estremarquable par la clarté de son plan.

Ce volume a d'autre part le mérite de contenir les divers opuscules de Pascal,en particulier l'Entretien avec M.

de Saci et le discours De l'esprit géométrique et de l'art de persuader, tous deuxd'une lecture facile, ainsi que l'ensemble des oeuvres scientifiques, d'u abord beaucoup plus ardu.Les élèves qui seraient pourtant intéressés par ce dernier et non moindre aspect de la personnalité de Pascal lirontavec profit le texte de Jean Beaufret, Pascal savant (dans Dialogue avec Heidegger, tome II, éd.

de Minuit).L'auteur y expose de façon particulièrement rigoureuse l'itinéraire spirituel de Pascal et la relation profonde qui unitchez lui la démarche scientifique et la démarche philosophique.Enfin, en relation plus directe avec le sujet même de notre texte, signalons aux élèves qui chercheraient des échosmodernes à la conception pascalienne du divertissement qu'ils liront avec intérêt les premiers ouvrages de E.

M.Cioran, Précis de Décomposition (Gallimard, 1949 et collection Idées, n° 94) et Syllogismes de l'Amertume (Gallimard,1952).

SUJET TRAITE Parmi les puissances trompeuses qui sont les marques de la misère de l'homme, le « divertissement » occupe uneplace particulière en ce sens qu'il apparaît à première vue comme une condition nécessaire au bonheur : « Sansdivertissement, il n'y a point de joie, avec le divertissement, il n'y a point de tristesse » (p.

1143).

C'est, dit ailleursPascal que le divertissement se présente comme le seul remède à l'ennui qui s'empare de l'homme dès qu'il se trouveseul face à lui-même : « ôtez-leur [aux hommes] le divertissement, vous les verrez se sécher d'ennui » (p.

1146).L'ennui, tel semble bien être le mot fondamental du texte qui nous occupe, encore qu'il n'y soit nulle part prononcé.A vrai dire, ce texte ne constitue que le début, agrémenté d'ailleurs de quelques coupures malencontreuses, d'unfragment assez développé des Pensées, celui au long duquel Pascal explicite sa conception du divertissementcomme remède apparent à l'ennui, celui aussi où il met à jour la cause profonde de l'ennui lui-même, la « raison...

detous nos malheurs..., qui consiste dans le malheur naturel de notre condition faible et mortelle ». * * La force de l'antithèse qui soutient le premier paragraphe de notre texte : « tous nos malheurs...

[dont] rien ne peutnous consoler » marque bien le caractère décisif de la question évoquée, d'autant que Pascal n'emploie passystématiquement cette figure de style et condamne « ceux qui font les antithèses en forçant les mots [et qui]sont comme ceux qui font de fausses fenêtres pour la symétrie : leur règle n'est pas de parler juste, mais de fairedes figures justes » (p.

1099).

Mais ce n'est là que la seconde étape du raisonnement de Pascal, la conclusion àlaquelle il est arrivé en ayant « pensé de plus près », locution qui ouvre le paragraphe et qui est reprise pour ainsidire mot pour mot à la fin de celui-ci « lorsque nous y pensons de près ».En effet, quand on se prend, comme Pascal l'a fait, dit-il, « quelquefois », « à considérer les diverses agitations deshommes » on constate seulement dans un premier moment « la cause de tous nos malheurs » : c'est, dit Pascaldans le paragraphe qui précède immédiatement le début de notre texte, « que tout le malheur des hommes vientd'une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre » (pp.

1138-1139).

Ici encorel'antithèse entre la totalité de l'effet et l'unicité de la cause marque l'importance fondamentale de celle-ci : c'est «parce qu'on ne peut demeurer chez soi avec plaisir » qu'on « recherche les conversations et les divertissements desjeux ».

Autrement dit.

« l'ennui » « au fond du coeur des racines [si] naturelles » que l'homme cherche par n'importequel moyen à s'en détourner, c'est-à-dire à s'en divertir, les deux mots ayant au XVIIe siècle rigoureusement lemême sens.Le divertissement n'est donc pas seulement au sens qu'a le mot aujourd'hui, ce qui est plaisant et aimable comme «le jeu et la conversation des femmes » mais tout aussi bien, comme le montre l'enchaînement des exemples dans ledeuxième paragraphe, « les grands emplois » ou même « la guerre », en un mot des choses qui ne sont nullementplaisantes en elles-mêmes mais seulement pas leur effet, « le tracas qui nous détourne d'y penser [à notremalheureuse condition] et nous divertit ».

C'est pourquoi Pascal peut écrire dans un autre fragment : « sansexaminer toutes les occupations particulières, il suffit de les comprendre sous le divertissement », autrement dit ledivertissement n'est pas pour l'homme une activité parmi d'autres, mais au contraire, dès que l'homme se livre àquelque activité que ce soit, il s'adonne du même coup au divertissement.L'articulation des phrases et des exemples dans les deuxième et troisième paragraphes de notre texte (la phraseisolée « Raison pourquoi on aime mieux la chasse que la prise » est en effet une remarque écrite en marge dumanuscrit et qui ne doit pas interrompre le développement du texte) doit nous permettre à la fois de discerner ladémarche de Pascal et les moyens stylistiques qu'il emploie pour emporter notre adhésion.On comprend mal toutefois la liaison de ces paragraphes avec ce qui précède si l'on ignore qu'ils suivent un longdéveloppement (voir notre Document) qui insiste sur le malheur de l'homme hors du divertissement et non, commepourrait le faire croire le découpage du texte proposé, sur l'absence de consolation véritable pour notre « conditionfaible et mortelle ».

Les mots « de là vient », plusieurs fois répétés soulignent la dépendance logique de la recherched'une occupation et du malheur que crée l'inactivité.

Mais surtout la progression entre les deux paragraphes nouspresse de suivre les conclusions de l'auteur : dans le premier de ces deux paragraphes (« de là vient que le jeu...etc.

») la conséquence du malheur hors du divertissement est longuement développée, des exemples d'occupationstant frivoles (jeu) que sérieuses (grands emplois) sont donnés; mais l'opposition est fortement dessinée entrel'apparence et la réalité : les deux dernières phrases du paragraphe sont rigoureusement construites sur le même. »

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