Devoir de Philosophie

Le doute est-il l'échec de la pensée ?

Publié le 29/10/2005

Extrait du document

Montaigne avait visité l'Allemagne, l'Italie, mais avait surtout dans sa « librairie » voyagé parmi des systèmes philosophiques innombrables et tous différents. Pascal reprend les thèmes de Pyrrhon et de Montaigne : « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà. »     (b)   La régression à l'infini.   Une vérité ne peut pas être acceptée sans preuves comme telle car il n'existe pas un signe du vrai « comparable à la marque imprimée sur le corps des esclaves et qui permet de les reconnaître quand ils sont en fuite. » Mais si je propose une preuve pour une affirmation, le sceptique me dira « Prouve ta preuve ». ainsi la preuve qu'on apporte pour garantir l'affirmation a besoin d'une autre preuve et celle-ci d'une autre à l'infini. Pour connaître la moindre chose je suis d'autre part contraint de remonter à l'infini, c'est-à-dire de mettre ce donné en rapport avec une infinité d'autres faits. Car chaque chose est relative à toutes les autres et pour connaître le moindre objet il faudrait connaître son rapport avec tout l'univers. Nous ne connaissons le tout de rien, ce qui revient à ne connaître rien du tout.   (c)  La nécessité d'accepter des postulats invérifiables.

« Pascal, lecteur de Montaigne, reconnaît la force du doute sceptique : « nous avons une impuissance de prouver, invincible à tout le dogmatisme ».

Mais d'un autre côté, « nous avons une idée de la vérité,invincible à tout le pyrrhonisme » (Pensées, éd.

Brunschvicg, 395).

Pascal fait remarquer que le modèle démonstratif de la géométrie nous amène dans un cercle vicieux: car il suppose que les termes quel'on utilise soient toujours définis de manière claire et distincte.

Or, pour définir un terme, il faut d'autres termes: on entre ainsi dans une régression à l'infini dont on ne peut sortir.

Il est donc vain de croirepouvoir tout démontrer.

Seule la géométrie échappe relativement à ce problème.

Non pas parce qu'elle parvient à tout démontrer, mais parce qu'elle «ne suppose que des choses claires et constantes par lalumière naturelle».

Mais elle est la seule dans son genre.Des contrariétés essentielles de la raison humaine.Dès lors, nous sommes invités à rendre raison des « contrariétés » de l'homme par un dépassement du plan de la rationalité humaine.

Le doute philosophique, en ce sens, conduirait de la raisonphilosophique à la foi religieuse.

Il mettrait légitimement en cause la valeur de la raison et préparerait son propre dépassement dans un « pari » qui conduit à penser que « la philosophie ne vaut pas uneheure de peine ».

Ainsi le doute qui faisait accéder à la philosophie en ferait aussi sortir, non pour revenir aux opinions pré-philosophiques, mais pour s'engager sur un plan présenté comme supérieur à laphilosophie.

Ces différentes formes de doute, par des voies différentes, conduisent toutes à mettre en cause la valeur de la rationalité philosophique, dans la mesure où elles en soulignent les limites, lesdangers ou l'insuffisance.

Mais le doute, analysé de façon différente, peut avoir une portée philosophique tout autre.

Le doute philosophique, exercice de la raison, ne peut la mettre en cause.

Après le doute, la vérité Cette phrase (« Je pense donc je suis ») apparaît au début de la quatrième partie du « Discours de la méthode », qui présente rapidement la métaphysique de Descartes .

On a donc tort de dire « Cogito ergo sum », puisque ce texte est le premier ouvrage philosophique important écrit en français. Pour bien comprendre cette citation, il est nécessaire de restituer le contexte dans lequel elle s'insère.

Le « Discours de la méthode » présente l'autobiographie intellectuelle de Descartes , qui se fait le porte-parole de sa génération.

Descartes y décrit une véritable crise de l'éducation, laquelle ne tient pas ses promesses ; faire « acquérir une connaissance claire & assurée de tout ce qui est utile à la vie ». En fait, Descartes est le contemporain & le promoteur d'une véritable révolution scientifique, inaugurée par Galilée , qui remet en cause tous les fondements du savoir et fait de la Terre, jusqu'ici considérée comme le centre d'un univers fini, une planète comme les autres.

L'homme est désormais jeté dans un univers infini, sans repère fixe dans la nature, en proie au doute sur sa place et sa fonction dans ununivers livré aux lois de la mécanique.

Or, Descartes va entreprendre à la fois de justifier la science nouvelle et révolutionnaire qu'il pratique, et de redéfinir la place de l'homme dans le monde. Pour accomplir cette tâche, il faut d'abord prendre la mesure des erreurs du passé, des erreurs enracinées en soi-même.

En clair, il faut remettre en cause le pseudo savoir dont on a hérité et commencerpar le doute :« Je déracinais cependant de mon esprit toutes les erreurs qui avaient pu s'y glisser auparavant.

Non que j'imitasse en cela les sceptiques, qui ne doutent que pour douter ; car, au contraire, tout mondessein ne tendait qu'à m'assurer, et à rejeter la terre mouvante & le sable, pour trouver le roc & l'argile.

» (« Discours de la méthode », 3ième partie). Ce qu'on appelle métaphysique est justement la discipline qui recherche les fondements du savoir & des choses, qui tente de trouver « les premiers principes & les premières causes ».

Descartes , dans ce temps d'incertitude et de soupçon généralisé, cherche la vérité, quelque chose dont on ne puisse en aucun cas douter, qui résiste à l'examen le plus impitoyable.

Cherchant quelque chose d''absolumentcertain, il va commencer par rejeter comme faux tout ce qui peut paraître douteux.« Parce qu'alors je désirais vaquer seulement à la recherche de la vérité, je pensais qu'il fallait [...] que je rejetasse comme absolument faux tout ce en quoi je pourrais imaginer le moindre doute, afin de voir s'il ne resterait point après celaquelque chose [...] qui fut entièrement indubitable. » Le doute de Descartes est provisoire et a pour but de trouver une certitude entière & irrécusable. Or il est sûr que les sens nous trompent parfois.

Les illusions d'optique en témoignent assez.

Je dois donc rejeter comme faux & illusoire tout ce que les sens me fournissent.

Le principe est aussi facile à comprendre que difficile à admettre, carcomment saurais-je alors que le monde existe, que les autres m'entourent, que j'ai un corps ? En toute rigueur, je dois temporairement considérer tout cela comme faux.A ceux qui prétendent que cette attitude est pure folie, Descartes réplique par l'argument du rêve.

Pendant que je rêve, je suis persuadé que ce que je vois et sens est vrai & réel, et pourtant ce n'est qu'illusion.

Le sentiment que j'ai pendant la veille que tout ce qui m'entoure est vrai & réel n'est donc pas une preuve suffisante de la réalité du monde, puisque ce sentiment est tout aussi fort durant mes rêves.

Par suite je dois, si je cherche la vérité : « feindre que toutes les choses qui m'étaient jamais entrées en l'esprit n'étaient non plus vraies que l'illusion des songes ». Mais le doute de Descartes va bien plus loin dans la mesure où il rejette aussi les évidences intellectuelles, les vérités mathématiques.

« Je rejetai comme fausses toutes les raisons que j'avais prises auparavant pour démonstrations.

» Nous voilà perdu dans ce que Descartes appelle « l'océan du doute ».

Je dois feindre que tout ce qui m'entoure n'est qu'illusion, que mon corps n'existe pas, et que tout ce que je pense, imagine, sens, me remémore est faux.

Ce doute est radical, total, exorbitant.

Quelque chose peut-il résister ? Vais-je me noyer dans cet océan ? Où trouver « le roc ou l'argile » sur quoi tout reconstruire ? On mesure ici les exigences de rigueur et de radicalité de notre auteur, et à quel point il a pris acte de la suspicion que la révolution galiléenne avait jetée sur les sens (qui nous ont assuré que le soleil tournait autour de la Terre) et sur ce que la science avait cru pouvoir démontrer.« Mais aussitôt après je pris garde que, cependant que je voulais ainsi penser que tout était faux, il fallait nécessairement que moi, qui pensais, fusse quelque chose.

Et remarquant que cette vérité : je pense donc je suis, était si ferme et siassurée, que les plus extravagantes suppositions des sceptiques n'étaient pas capables de l'ébranler, je jugeai que je pouvais la recevoir, sans scrupule, pour le premier principe de la philosophie que je cherchais.

» Il y a un fait qui échappe au doute ; mon existence comme pensée.

Que ce que je pense soit vrai ou faux, je pense.

Et si je pense, je suis.

Le néant ne peut pas penser.

La première certitude que j'ai est donc celle de mon existence, mais commepure pensée, puisque, en toute rigueur, je n'ai pas encore de preuve de l'existence de mon corps.

Quand bien même je nierais que le monde existe, que mon corps existe, que je puisse penser correctement, je ne pourrais remettre en cause cefait : je pense, et par suite, je suis.

La volonté sceptique de douter de tout, l'idée qu'aucune vérité n'est accessible à l'homme, se brise sur ce fait : je pense.

Voilà le roc, voilà l'argile.

Voilà le point ferme grâce auquel j'échappe à la noyade dansl'océan du doute, par lequel je retrouverai la terre ferme de la science vraie.La difficulté provient de l'interprétation à donner à ce « je ».

Il n'est pas l'individu concret.

Ce n'est pas Descartes , homme du XVII ième siècle, c'est tout individu pensant qui peut dire « je pense donc je suis », pour peu qu'il refasse, pour lui- même, l'expérience entreprise.Ce « je » est, par définition, désincarné ; tout ce que je peux affirmer, à ce moment, de l'itinéraire cartésien, c'est mon existence comme pensée, puisque, répétons-le, je dois encore, temporairement, nier l'existence du corps. Les deux conséquences majeures que Descartes tire de sa découverte sont d'une importance cruciale pour l'histoire de la philosophie. v D'une part Descartes montre que la nature de la pensée et celle de la matière sot différentes.

Ce qu'on nomme dualisme : « Je connus de là que j'étais une substance dont toute l'essence ou la nature n'est que de penser [...] En sorte que moi, cad l'âme par laquelle je suis ce que je suis, est entièrement distincte du corps.

» Le corps, en effet, n'est qu'une portion de matière, ayant une forme, et susceptible de recevoir du mouvement.

La pensée est radicalement différente, c'est la faculté de concevoir, imaginer, sentir, vouloir.

Descartes ne nie pas que –en l'homme- il y ait interaction du corps et de la pensée, et il consacrera même un ouvrage, « Les Passions de l'âme » (1649), à ce qu'on nommerait aujourd'hui biologie des passions.

Mais il jette grâce au dualisme les bases de la science moderne, en limitant la physique à l'étude de la matière et de ses propriétés.

Il faut se souvenir qu' Aristote considérait l'étude de l'âme comme le couronnement de la physique, et que Pascal aura à batailler contre l'idée que la « nature a horreur du vide », comme si la matière était animée d'intention. v D'autre part, dans l'expérience du « cogito », du « je pense », je prends conscience de moi-même comme pensée.

Cela amènera notre auteur à identifier pensée et conscience, ce que contestera, outre Leibniz & Spinoza , Freud. Avec le « je pense donc je suis », Descartes place la conscience, le sujet, à la racine de toute connaissance possible.

La conséquence essentielle est le primat de la conscience, et sa différence d'avec la matière.

Redonner à l'homme une place dans un univers infini et vide de Dieu, assurer la dignité de la conscience, et jeter les bases de la science moderne, tels sont les objectifs que la métaphysique cartésienne s'est assignée. ConclusionLe doute philosophique qui met en cause la rationalité ne la condamne pas absolument.

Le doute menace moins la raison que l'absence de doute. « Douter, c'est examiner, c'est démonter et remonter les idées comme des rouages, sans prévention et sans précipitation, contre la puissance de croire qui est formidable en chacun de nous.

» Alain, Propos du 8 juin 1912. Socrate: « Je suis plus sage que cet homme-là.

Il se peut qu'aucun de nous deux ne sache rien de beau ni de bon; mais lui croit savoir quelque chose, alors qu'il ne sait rien, tandis que moi, si je ne sais pas, je ne crois pas non plus savoir.

»Platon, Apologie de Socrate, ive s.

av.

J.-C.

« La formule "je suspends mon jugement" signifie pour nous que le sujet est incapable de dire à quelle chose il convient d'accorder ou au contraire de refuser sa créance.

» Sextus Empiricus, Hypotyposes pyrrhoniennes, Ile-Ille s. « Je pensai qu'il fallait E...] que je rejetasse comme absolument faux tout ce en quoi je pourrais imaginer le moindre doute, afin de voir s'il ne resterait point, après cela, quelque chose en ma créance qui fût entièrement indubitable.

»Descartes, Discours de la méthode, 1637.

« Je nie que nous ayons le libre pouvoir de suspendre notre jugement.

Car, lorsque nous disons qu'on suspend son jugement, nous ne disons rien d'autre sinon qu'on voit qu'on ne perçoit pas une chose de façon adéquate.

» Spinoza, Éthique, 1677 (posth.) « Qui voudrait douter de tout n'irait pas même jusqu'audoute.

Le jeu du doute lui-même présuppose la certitude.

» Wittgenstein, De la certitude, 1969 (posth.). »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles