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Le sens des mots et la réalité des choses

Publié le 12/03/2015

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Le sens des mots n'est pas dans les choses mêmes

Dans les Voyages de Gulliver, le sage de Balnibarbi de l'illustre

Académie des langues de Lagado avait décidé que «puisque les mots

ne servent qu'à désigner les choses, il vaudrait mieux que chaque

homme transportât sur soi toutes les choses dont il avait l'intention de

parler«. Le linguiste Roman Jakobson fait remarquer, non sans humour,

que l'adoption de ce nouveau langage par choses n'irait pas sans

quelques inconvénients : «Il serait difficile de parler en choses d' «une

baleine«, plus embarrassant encore de parler «des baleines«, et pratiquement

impossible de communiquer quoi que ce soit sur «toutes les

baleines« ou sur «les baleines absentes«. À supposer même qu'on arrive

miraculeusement à réunir toutes les baleines du monde, comment

exprimer par des choses qu'elles y sont vraiment toutes ?1« Comment

dès lors expliquer le sens d'un mot?

« LE LANGAGE : COURS Roman Jakobson répond que «le sens du mot est si peu dans la chose que si l'on hume ou goûte du fromage, personne en revanche, n'a jamais goûté ni humé le sens du fromage».

En outre, le fait de montrer du doigt l'objet que le mot désigne n'apprendra pas à l'interlocuteur si «fromage est le nom du spécimen donné ou de n'importe quelle boîte de camembert, du camembert en général ou de n'importe quel fromage, de n'importe quel produit lacté, nourriture ou rafraîchissement, ou peut-être den 'importe quelle boîte, indépendamment de son contenu 1».

Enfin, le mot prononcé associé à ce geste peut, selon la culture de l'interlocuteur, impliquer «l'idée de vente, d'offre, de prohibition ou de malédiction».

Le sens du mot «fromage» ou de n'importe quel autre mot n'est donc pas dans la chose.

Il est tout simplement dans le dic­ tionnaire.

L'interlocuteur en comprendra le sens s'il sait que dans la langue française ce mot signifie «aliment obtenu par fermentation du lait caillé».

Nous n'avons jamais vu de nectar ni d'ambroisie, car c'étaient des êtres mythiques qui en faisaient usage (les dieux de l'Olympe), et pourtant nous comprenons ces mots et savons dans quels contextes les utiliser.

Le sens du mot est donc un fait linguistique.

Si l'on veut faire com­ prendre un mot, il est donc nécessaire de recourir à d'autres mots dans lesquels il se trouve complètement clarifié.

Ce renvoi des signes aux signes circonscrit un domaine autonome de significations linguistiques à l'intérieur duquel jouent des relations d'équivalence de signes.

Le sens est donc «tout engagé dans le langage».

2 Les mots nous masquent les choses Si le sens est enfermé dans l'univers des mots, qu'en est-il de la réa­ lité, des choses elles-mêmes? Entre nous et les choses ne s'interpose­ t-il pas le voile des mots? 1 Nous ne voyons pas les choses elles-mêmes Nous ne voyons pas la réalité elle-même.

Pour s'en convaincre, il n'est que de considérer notre propre expérience.

Nous faisons une dif­ férence entre un pommier et un prunier mais distinguons-nous un pom­ mier d'un pommier, un prunier d'un prunier? Inutile de multiplier les exemples.

Nous le savons tous aussi bien: «l'individualité des êtres et des choses nous échappe».

1.

Roman Jakobson, Essais de linguistique générale, trad.

N.

Ruwet.

Coll.

«Points», éd.

de Minuit, 1963.

26. »

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