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Les habitudes empêchent-elles d'être libre ?

Publié le 11/11/2005

Extrait du document

Pour expliquer cette mécanisation, regardons les effets de l'habitude sur les fonctions psychiques qui conditionnent le jeu de la volonté.A. Par ses effets sur les fonctions cognitives. - L'acte libre est l'aboutissant d'un processus mental complexe, qui devient de plus en plus difficile à mesure que les habitudes prennent plus d'emprise.Pour se déterminer librement, il faut d'abord avoir l'idée d'un but à atteindre, par exemple, d'un meuble à construire ou d'un nouveau mode de production à expérimenter ; ou plutôt, pour qu'une idée réalisable se forme dans l'esprit, il y faut ce jeu spontané de la pensée que les scolastiques appelaient la Cogitative et que nous attribuons à l'imagination. Or comme le dit justement Rousseau, « l'habitude tue l'imagination » ; elle rend incapable de concevoir autre chose que ce qu'on a vu.Aurait-il l'idée d'une oeuvre originale, par incapacité à se libérer de ses routines et à adapter son action à une donnée nouvelle, l'individu chez qui règnent les habitudes n'arriverait probablement pas à ses fins.La liberté suppose un esprit en alerte, et l'habitude l'endort.B. Par ses effets sur les fonctions affectives.

« II.

- L'HABITUDE, CONDITION DE LA LIBERTÉ Cette opposition que nous venons d'esquisser entre habitude et liberté suppose que l'habitude s'établit et s'exerceindépendamment de la volonté et souvent contre elle.

Or, si nombre d'habitudes appartiennent à cette catégorie, ilen est d'autres qui, au lieu de faire obstacle à l'exercice de la liberté, en sont la condition nécessaire.A.

L'habitude, instrument indispensable de la liberté.

— On l'a dit bien souvent, sans habitudes il nous seraitimpossible d'exécuter les actes les plus simples, comme de rouler une cigarette ou de lacer nos souliers, et les acteslibres comme les autres.

Examinons notre activité, aussi bien notre activité mentale que notre activité physique,nous verrons qu'elle met en jeu une multitude d'automatismes sans lesquels nous ne saurions rien faire.Prenons un ouvrier qualifié.

Sa qualification tient bien moins à un certain savoir qu'à un savoir-faire, à uneadaptation intime de tout son être, physique et moral, aux opérations qu'il doit effectuer ; bref, à ses habitudes.Aussi a-t-il eu besoin d'un long apprentissage destiné à assouplir ses muscles et à affiner ses sens.Si nous réfléchissons sur un travail intellectuel quelconque, comme la rédaction d'un rapport ou d'une dissertation,nous y verrons également un concours complexe d'automatismes sans lesquels la pensée n'arriverait pas às'expliciter clairement.

Laissons de côté les automatismes organiques de l'écriture pour nous en tenir auxautomatismes mentaux : c'est automatiquement que les idées suggèrent les mots et les mots les idées ; c'est parsuite d'habitudes prises au cours de nos lectures ou de nos exercices de composition que les idées s'organisentd'une façon logique ; c'est encore l'habitude d'écrire qui suscite l'image destinée à illustrer la pensée abstraite ou lemot à l'emporte-pièce qui attire l'attention... B.

L'habitude, acte idéal de la liberté.

— On pourrait, sans doute, objecter que, si elles facilitent l'exécution d'unedécision librement prise, les habitudes n'en restreignent pas moins le champ de la liberté et que, par suite, dans lamesure même où ils comportent des éléments automatiques, nos actes ne sont pas libres.Mais cette objection se fonde sur le préjugé, assez courant, il est vrai, qui mesure le degré de volonté ou de libertéd'un acte à l'effort que celui-ci comporte, à l'énergie nécessaire pour surmonter les difficultés qui s'opposent àl'action.

Or, c'est le contraire qui est vrai : quand je dois faire effort pour vouloir, je ne veux pas à fond puisqu'il y aen moi des forces qui résistent la volonté n'est parfaite que lorsqu'elle n'éprouve aucune résistance et que lepassage du jugement à l'action est comme automatique.Par suite, l'habitude qui facilite l'action et monte en nous des automatismes grâce auxquels ce que nous jugeonssage s'effectue presque de lui-même, augmente notre liberté au lieu de la restreindre.

Ce n'est pas au cours de sapremière opération que l'apprenti chirurgien, calculant tous ses coups de bistouri, est maître de ses mouvements etfait exactement ce qu'il veut.

La liberté véritable, il l'acquerra peu à peu, à mesure qu'il contractera des habitudes,et c'est dans les opérations les plus habituelles pour lui qu'il atteindra le maximum de liberté.Ainsi, au lieu de restreindre la liberté, l'habitude et les automatismes élargissent son champ d'action.

Un systèmeautomatique qui répond fidèlement à tous les appels de la volonté prolonge celle-ci : le directeur d'entreprise reliétéléphoniquement avec tous ses services agit vraiment partout où le fil porte ses ordres ; et, de même, c'est moiqui agis dans ces habitudes grâce auxquelles je puis sans effort et rapidement exécuter des opérations difficiles etlongues pour celui qui n'est pas habitué. C.

La liberté, créatrice d'habitudes.

— Aussi, loin de se défendre des habitudes, l'individu soucieux d'assurer laliberté de son action cherche à les multiplier.

Les précieux automatismes qui facilitent le travail et la pensée ne sontpas montés tout seuls.

Que nous prenions la dextérité manuelle de l'ouvrier ou la facilité de plume de l'écrivain, noustrouvons à l'origine un long apprentissage, avec des exercices méthodiques, au cours desquels l'apprenti lui-mêmeaussi bien que ses moniteurs ou professeurs procédaient à la sélection des opérations réussies.

Ce sont ces libreschoix qui, à force de pratique, sont devenus automatiques.Ainsi les habitudes ne constituent pas nécessairement ni même généralement une puissance hostile à la liberté :dans beaucoup d'entre elles nous devons reconnaître son oeuvre et sa plus précieuse conquête. D.

La liberté, conquête de l'habitude.

— Mais on peut aussi, sans paradoxe, soutenir la réciproque et voir dans laliberté une conquête de l'habitude ou, mieux, une habitude véritable.Si les hommes naissent libres », comme le dit la Déclaration des Droits, ce n'est pas de la liberté morale aupsychologique dont nous traitons ici.

L'homme ne naît pas libre moralement : il le devient.

« La liberté, aime-t-ondire, n'est pas un don ; elle est une conquête.

» Une conquête de qui ? de l'habitude.Il n'est, en effet, qu'un moyen d'acquérir la maîtrise de soi qui caractérise l'homme libre : multiplier les actes deliberté.

se comporter comme si on était parvenu à cette maîtrise à laquelle on aspire.

En somme, la liberté s'acquiertcomme les habitudes, et on peut la considérer comme la plus noble des habitudes. Conclusion.

— Ceux qui opposent habitude et liberté ne songent qu'à certaines formes d'habitudes, celles quecertains psychologues qualifient de « passives » et qu'il serait préférable d'appeler les besoins acquis et lesaccoutumances.

L'habitude proprement dite, celle qui développe ou spécifie nos facultés naturelles d'action, nousrend plus libres au lieu de nous asservir.

Comme le dit Charles Blondel : « notre activité se libère en se mécanisant», et sa mécanisation est le « principe d'économie spirituelle » qui lui permet de maintenir à son budget toujours lesmêmes crédits pour ses réalisations nouvelles.. »

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