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Les mutations du religieux en régime d'ultramodernïté J.-P. WILLAIME

Publié le 26/01/2020

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Le sociologue Jean-Paul Willaime s'intéresse au présent de la situation religieuse : assistons-nous à une disparition, comme certains l'avaient prédit, ou au contraire à un retour des religions dans la société moderne ? La réalité est plus complexe.

La question se pose (...) de savoir ce qu’il advient du religieux en régime d’ultramodemité. Dans une telle situation, le religieux tend à être réinvesti comme lieu de mémoire au niveau sociétal et individuel (comme s’il s’agissait de répondre à la déstructuration des espaces et des temps) et comme pourvoyeur d’identités collectives et individuelles, de fêtes et de rites. Si la modernité conquérante tendait à dissoudre les cultures, elle n’a pas tout digéré et la réalité sociale ne s’est jamais réduite aux effets de la froide rationalité instrumentale. Il y a tout d’abord tout ce qui est révélé inassimilable : les émotions et passions, les dimensions imaginaires des liens sociaux, les traditions et coutumes.

On peut aussi se demander si les traditions, en particulier religieuses, ne digèrent pas la modernité autant que la modernité les digère : quand on pense à la sécularisation interne du christianisme, à certaines de ses productions théologiques et à l’évolution de certaines de ses pratiques, le changement proprement religieux y apparaît considérable et montre la capacité dynamique des religions à se maintenir tout en se renouvelant

Mais le fait particulièrement marquant est la démythologisation de la modernité elle-même. La modernité se désenchante en appliquant à elle-même sa capacité autoreflexive, sa dynamique critique : la modernité est devenue critique du modernisme, de sa propre utopisation et absolutisation. Cette critique se déploie dans le domaine politique avec la crise du marxisme et l’effondrement des régimes communistes. Elle se manifeste aussi dans les rapports modernité - religion avec une modernité qui tend moins à se concevoir comme une alternative à la religion, que comme un cadre pluraliste où diverses expressions religieuses peuvent se déployer. C’est dans une telle perspective que nous avons pu parler de « laïcisation de la laïcité » et de « sécularisation de la science ». Le désamorçage de la modernité dans sa capacité philosophique et politique à produire des conceptions alternatives de l’homme et du monde, constitue, en tant que sécularisation des utopies séculières, une radicalisation de la sécularisation. Une radicalisation qui se traduit, paradoxalement, par une certaine revalorisation socioculturelle du religieux.

Jean-Paul Willaime, Sociologie des religions ( 1995), coll. « Que sais-je ? », éd. PUF, 1995, pp. 106-107.

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