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Les sciences humaines pensent-elles l'homme comme un être prévisible ?

Publié le 19/01/2004

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  La méthode statistique n'énonce que des moyens et ne peut préjuger du futur d'un individu en particulier Pourtant il faut bien voir que les sciences humaines ne disposent que d'outils statistiques qui ne permettent de donner que des moyennes. Ainsi Boudon réaffirme la nécessité de comprendre que des relations statistiques ne peuvent être interprétées comme des relations causales, qu'avec de grandes précautions. De plus, le caractère universel des lois proposées en sciences humaines ne peut s'appliquer directement à l'individu. Si pour la psychanalyse, le complexe d'Oedipe vaut pour tous les hommes, il diffère pourtant pour chaque individu en fonction de son vécu particulier. De même, si le taux de suicide est le plus élevé en été, on ne peut pas en conclure que tel individu particulier se suicidera lors de cette saison. Ainsi, Max Weber s'oppose à Durkheim en affirmant qu' une explication simple des faits sociaux par des méthodes mathématiques doit être remplacée par une véritable compréhension sociologique. En effet, par exemple, la sociologie descriptive définit un fait social qui ne dépend en rien des volontés individuelles et les individus comme soumis à une logique qui leur est extérieure. Pour Max Weber, tout acte individuel a un sens et le sociologue doit restituer cette signification. Les sciences humaines donc énoncent des lois qui ne constituent pas au niveau individuel des nécessités, des certitudes de même nature que celles des lois de la nature. Elles se prononcent à des niveaux généraux mais doivent tenir du sens des destinées humaines.

On nomme sciences humaines les disciplines qui entreprennent d'étudier scientifiquement l'être humain dans ses dimensions spécifiques. L'appellation regroupe donc l'histoire, la psychologie( comme étude de l'esprit mais aussi des comportements) et la sociologie. S'y ajoutent bien entendu une pluralité de disciplines intermédiaires telles que l'ethnologie, la psychologie sociale... Les sciences de l'homme ont tenté de se calquer sur les méthodes des sciences dites de la nature pour gagner en crédibilité. Cependant une science a pour but de déterminer des lois qui permettent de comprendre le fonctionnement d'un objet ou d'un mécanisme et de pouvoir ensuite déduire l'effet de la cause. Ainsi, grâce à la loi de la pesanteur, on peut savoir à l'avance qu'une pomme tombera sur le sol et on peut même en deviner la vitesse. Les sciences humaines seraient alors amener à essayer de prévoir les comportements humains. Mais la méthode scientifique marche-t-elle vraiment en sciences humaines ?

« [Introduction] Depuis leur apparition au cours du XIXe siècle, le statut des sciences humaines n'en finit pas d'être périodiquement remis en question.

C'est qu'à se vouloirdes sciences au sens habituel, elles risquent de ne pas respecter ce qui fait la spécificité de leur « objet », et donc la leur : il n'est pas évident que l'hommepuisse être expliqué de la même façon que les phénomènes naturels.

Outre des problèmes de méthode (l'expérimentation est pour le moins limitée, et ellepeut même être impossible, en histoire par exemple ou pour des raisons éthiques), la psychologie, la sociologie, l'histoire, la linguistique, etc., se heurtent àla présence, dans l'être humain, de ce que l'on nomme traditionnellement sa liberté.

Doivent-elles, ou peuvent-elles, en tenir compte ? Dans sa conception,même banale, la liberté s'oppose au déterminisme : ce dernier n'est-il pas nécessaire à admettre pour qu'il y ait science ? Les sciences humaines setrouvent-elles dès lors amenées à penser l'homme comme un être prévisible - de la même façon qu'une éclipse de soleil ou que l'ébullition d'un liquide -, ouparviennent-elles à articuler de façon inédite les besoins du savoir scientifique et les exigences de la personne ? [I.

Science et prévisibilité] Par définition, une loi scientifique vaut pour tous les phénomènes qu'elle prétend expliquer.

C'est-à-dire aussi bien pour les phénomènes futurs que pourceux qui ont déjà été observés.

Le pouvoir que nous donne une loi est précisément la possibilité de prédire comment une situation évoluera nécessairement.Cela suppose que les phénomènes considérés se répètent, et à l'identique.

La prévisibilité va donc de pair avec le principe même du déterminisme, enl'absence duquel aucune connaissance scientifique n'est classiquement envisageable.Cette prévisibilité suppose d'autre part que les phénomènes sont radicalement semblables entre eux : leurs différences (qualitatives par exemple) sonttotalement négligeables, parce qu'elles ne concernent pas leur déroulement.

La science, on le sait depuis Aristote, ne s'intéresse qu'au général, et elle n'apas à tenir compte des qualités accessoires.Vouloir étudier l'homme scientifiquement - puisque c'est bien le projet des diverses disciplines que l'on regroupe sous l'appellation de « sciences humaines» -, c'est nécessairement le considérer comme déterminé, prévisible et répétitif.

Faute de quoi aucune approche scientifique n'en serait possible.

A insi,c'est pour des raisons immédiatement pratiques que les sciences humaines « pensent » l'homme comme un être prévisible.

Ce qui appelle sans attendrequelques remarques. [Il.

De quelle « pensée » s'agit-il ?] Lorsque Heidegger affirme que « la science ne pense pas », on peut admettre que sa formule concerne aussi lessciences humaines.

On peut même considérer que plus ces dernières se veulent scientifiques, plus elles sontconcernées par ce qui est, non pas un reproche, mais un constat.

De ce point de vue, on peut noter qu'en effet le travaildes sciences humainesne consiste pas à « penser l'homme » - qu'il s'agisse de le penser de telle façon ou de telle autre.

On peut mêmeconsidérer qu'il est sousentendu dans leur constitution même qu'elles ne doivent surtout pas essayer de penserl'homme : cette tâche appartient traditionnellement à la philosophie et, dès leur origine, les sciences humaines ontcherché à se séparer de toute influence philosophique, en redoutant un fatras métaphysique évidemment peu compatibleavec un projet scientifique.On admettra en conséquence que cette « pensée » de l'homme n'est pas une pensée authentique ; tout au plus s'agit-ild'une implication rendue nécessaire d'un point de vue méthodologique : pour aborder scientifiquement l'être humain, ilest nécessaire de sous-entendre qu'il peut être prévisible.Reste à préciser ce qui, dans l'homme, peut ainsi être considéré comme prévisible.

Deux éléments doivent ici être prisen considération : d'une part, le fait que l'homme dont il est question ne peut en aucun cas être l'individu singulier, maisqu'il s'agit de l'homme au sens générique ; d'autre part, le fait que l'homme semble se modifier lui-même dans le temps(faute de quoi l'histoire n'existerait pas) et que son caractère prévisible sera en conséquence nécessairement limité.En effet on ne peut connaître de l'être humain que ce qu'il a de commun avec ses semblables : les sciences humaines nepeuvent s'intéresser à l'individuel ; ou plutôt elles ne peuvent le prendre en compte qu'en l'intégrant dans des donnéescollectives, qui se traduisent statistiquement.

Ce qui, par exemple, est prévisible dans cette optique, c'est lepourcentage d'électeurs qui iront aux urnes à telle occasion.

Mais, à l'intérieur de ce pourcentage, l'attitude singulièrede Mr X.

demeure non connue.

Tout comme le reste, par exemple son évolution psychique, et ce même si l'on connaîtl'histoire de sa famille : considérer que, si l'un de ses parents était cyclothymique, il a tant de chances de devenir schizophrène ne garantit absolument pas qu'il le deviendra, tant son évolution dépend aussi d'autres facteurs encore à venir.Enfin, ces statistiques n'ont de validité que relativement à une situation socio-historique donnée.

D'où la nécessité de les recalculer périodiquement, pourrestaurer une prévisibilité vraisemblable. [III.

La liberté respectée] La prévisibilité de l'homme n'est donc pas comparable à celle des phénomènes de la nature.

Et les chercheurs en sciences humaines ne sauraient êtresoupçonnés de vouloir réduire l'être humain au rang d'un simple objet, soumis à un déterminisme absolu.Ils confirment ainsi d'anciennes (puisque antérieures aux sciences humaines elles-mêmes) remarques de Kant.

Évoquant la constitution nécessaire d'uneanthropologie (soit d'un savoir sur l'homme : ce que doivent précisément viser les sciences humaines), Kant en distingue deux tendances, correspondant audouble « caractère » de l'être humain.

Du caractère empirique (soit les aspects déterminés de l'existence humaine) se chargera une anthropologiepragmatique, tandis qu'une anthropologie philosophique prendra en charge le caractère rationnel.

C e dernier désigne en effet la capacité qu'a l'homme, aulieu d'obéir en totalité aux lois de la nature, de formuler par sa raison les lois de sa conduite.

À ce que Kant prévoyait comme anthropologie pragmatiquecorrespondent à peu près nos sciences humaines contemporaines - qui n'ont donc pas à se préoccuper d'étudier « scientifiquement » les performances de laraison ou de la liberté...Aussi la prévisibilité de l'homme qu'admettent les sciences humaines peut-elle finalement être comprise dans son intérêt : repérer les différentsdéterminismes (sociaux, psychiques, historiques) auxquels peut être soumis l'être humain, ce n'est pas le condamner à les subir passivement en perdant desa liberté.

Ce peut être au contraire - c'est notamment la thèse actuelle du sociologue Pierre Bourdieu - lui donner la possibilité de s'en méfier, ou de leuréchapper.

Et de la sorte lutter pour une plus grande liberté concrète de l'homme lui-même, ce qui viendrait simplement confirmer que la liberté, même si onpeut la considérer d'un point de vue métaphysique, doit aussi se vivre au quotidien. [Conclusion] Si l'on admet que la connaissance augmente le pouvoir de l'homme, on peut comprendre qu'une connaissance plus précise des aspects par lesquelsl'existence humaine est prévisible confère à l'homme lui-même davantage de pouvoir sur ce qui le détermine.

Cela suppose simplement que lesconnaissances en question soient amplement diffusées, et ne soient pas monopolisées (par le pouvoir ou l'économie).

On rejoint là le problème de lavulgarisation du savoir scientifique, dont on sait, hélas, qu'il est encore mal réglé dans la société contemporaine.. »

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