Devoir de Philosophie

L'expérience du mal est-elle source de progrès moral ?

Publié le 01/09/2012

Extrait du document

Celui qui agit pour la première fois ne connaît pas les conséquences malheureuses de ses actes. L'enfant fait le mal sans le savoir : irréflexion, essai, “test”, tentative au hasard … Pour Nietzsche (Généalogie de la morale), cet état d'innocence est l'état idéal de l'humanité. Puis vient la mauvaise conscience née de la peur ressentie par l'homme dont l'esprit est faible. De cette mauvaise conscience apparaissent les notions de Bien et de Mal. La morale qui empêche de faire le mal, est née du ressentiment des faibles à l'égard des forts. Est perdue la spontanéité innocente de l'action, à cause d'une dissociation perfide entre intention et action elle-même. C'est donc l'expérience comme leçon tirée des conséquences du mal redoutées qui rend l'homme plus moral. Mais pour Nietzsche, ce n'est pas un progrès ! Transition : Est-ce l'expérience du mal qui crée et développe le sens moral ?

« Contre Nietzsche, on peut opposer que, même si mal et mauvaise conscience sont liés, il n'est pas juste de dire que c'est la peur du mal qui engendre la mauvaiseconscience.

En effet, l'acte moral n'a rien à voir avec la peur de la sanction, qui reste une conduite intéressée.

Avec Kant, il faut tenir que l'acte moral est l'acte fait envertu d'une bonne volonté, d'une bonne intention.

L'expérience du mal commis, c'est donc d'abord l'expérience de la volonté reconnue comme pervertie.

Conséquence: pour être tenu coupable du mal, il faut déjà avoir accompli un certain progrès moral, et être pourvu de principes moraux.

C'est donc bien plutôt le progrès moral quipermet de faire une véritable expérience du mal.

D'où en radicalisant la position de Simone Weil : “On n'a l'expérience du bien qu'en l'acomplissant.

On n'al'expérience du mal qu'en s'interdisant de l'accomplir, ou, si on l'a accompli, qu'en s'en repentant.” (La Pesanteur et la Grâce) 2) Mais la raison calculatrice pervertit le sens moral : l'expérience d'une division interne. Il reste qu'il est difficile à comprendre comment l'homme qui a une conscience morale assez aiguisée, puisse se sentir poussé à agir mal.

Rousseau, (Émile,“Profession de foi du vicaire savoyard”) explique la dissonance entre la création d'un homme bon et un monde mauvais comme la perversion de la conscience moraleoriginellement pure, par la raison calculatrice et intéressée.

Le calcul engendre l'égoïsme, le repli sur soi, la recherche de l'intérêt particulier, là où la pure consciencemorale est un sentiment instinctif et divin.

L'expérience du mal est alors l'expérience d'une division interne du sujet entre raison et sentiment.

C'est la face aveuglantede l'expérience qui est alors déficiente : “Quand on a accompli le mal, on ne le connaît pas, parce que le mal fuit la lumière.” (Simone Weil, Ibid.) 3) Dans l'expérience du mal, nécessité de distinguer le mal physique (l'adversité, le nuisible, mesuré aux conséquences) et le mal moral (qui n'est pas de l'ordre d'unfait) Il faut alors distinguer dans l'expérience du mal, mal moral et malheur nuisible, simple conséquence.

Kant (Critique de la Raison Pratique, I, I, 2) distingue le malmoral (Böse) du malheur, du désagrément (Übel, Weh).

Le mal moral est repoussé par la raison en vertu d'une loi universelle, car a priori, et donc désintéressée.

Ils'oppose au bien moral.

Le malheur s'oppose au bonheur particulier de l'individu.

En soi, il ne concerne pas la moralité.

C'est le nuisible, le désagréable.

D'oùproblème : Si le mal dont on fait l'expérience et dont on éprouve les conséquences est sans rapport avec la moralité de l'homme, on ne voit pas comment il pourraitêtre facteur d'un progrès moral. Transition : Mais si le sens moral précède l'expérience du mal, cette expérience paradoxale ne contribue-t-elle pas alors à un certain progrès moral ? En effet, n'y a-t-il pas pourtant un progrès moral possible ? Même si le sens moral est “donné”, n'est-il pas possible de l'aiguiser, de l'affermir ? III/ L'expérience du mal ne produit pas elle-même un progrès moral, mais elle peut contribuer à affermir le sens moral 1) Le mal, accélérateur paradoxal du progrès moral Historiquement, on entend dire que le malheur (guerre,…) accélère le progrès moral, en provoquant un changement radical d'orientation.

Les drames de l'histoire ontcette “vertu” de faire ressortir avec plus force les grands principes moraux (respect inconditionnel de la personne, “droits de l'homme”, sens de la dignité et del'égalité entre les hommes…). 2) Retour sur le “Felix Culpa” Néanmoins, ce constat ne doit sous aucun prétexte fonctionner comme une justification de ces grands drames.

Il mettent seulement à jour, dénoncent, éradiquent unmal rampant, et laissé dans l'obscurité de l'indifférence.

Kant nie que l'expérience du mal moral soit un passage obligé vers un progrès moral, mais admet pourtantque les conséquences du mal moral peuvent avoir un impact positif sur la moralité des hommes.

Ainsi ce qu'il appelle “l'insociable sociabilité” (sentimentcontradictoire, et moralement condamnable) a pour effet le passage de “l'état brut à la culture” (Idée d'une histoire universelle d'un point de vue cosmopolite, 4).

C'estle sens du “Felix culpa” (“Bienheureuse faute qui nous valut un tel Rédempteur”) qui n'est pas une autojustification de l'expérience du mal, mais une relecture aposteriori de l'histoire marquée par le mal et par le Salut.

C'est aussi le dernier mot de la Genèse dans la bouche de Joseph : “Le mal que vous aviez dessein de mefaire, le dessein de Dieu l'a transformé en bien.” 3) Distinguer le sens moral (formel, théorique) et la moralité concrète (l'homme vertueux) En quoi consiste alors le “progrès moral”, si l'homme porte déjà en lui une conscience morale, un sens moral.

Ne faut-il pas alors distinguer ce sens moral (capacitépurement formelle de distinguer le bien du mal), et la moralité effective, qui a un contenu précis ? Hegel, dans les Principes de la philosophie du droit considère quele progrès moral réside dans le passage de la moralité subjective (sincérité du sentiment moral au niveau de la seule intention) à la moralité objective (dont le contenuest inscrit dans les lois d'un État).

On sait que pour Hegel, ce passage est une “ruse de la raison” qui utilisent les instincts égoïstes des hommes en vue de fins plusélevées.

L'expérience du mal permettrait alors le passage d'un sentiment moral formel à des conduites morales concrètes. Conclusion : L'expérience du mal peut seulement contribuer à affermir le sens moral La contradiction semble pouvoir être dépassée : d'un côté l'expérience du mal comme sortie de l'innocence naïve inaugure la responsabilité morale, de l'autre,l'expérience du mal exige une moralité déjà là chez l'enfant innocent.

La solution consiste à considérer qu'il y a un net progrès entre le sens moral même mal formuléde l'enfant (capacité à distinguer le bien et le mal, faire la différence entre bonne et mauvaise intention), et la moralité concrète de l'adulte qui est cohérent parce qu'ilincarne réellement les principes qui lui semblent relever de l'exigence morale.

En ce sens, l'expérience du mal en soi et autour de soi, en rendant manifeste le risquepermanent du mal, encourage à affermir son sens moral, en le dotant de principes clairs.

Il y a affermissement et donc progrès.

Néanmoins, c'est toujours laconscience morale, la bonne ou mauvaise volonté qui décident de l'action, car aucune détermination concrète, objet d'expérience, ne saurait forcer la liberté humaine.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles