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l'histoire peut-elle être contemporaine ?

Publié le 02/01/2004

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histoire

• Il n'est pas rare que l'acteur ou même le spectateur d'un événement ait le sentiment de vivre un « moment historique « — soit une situation appelée à s'inscrire durablement dans la mémoire collective parce qu'elle aura eu un rôle déterminant dans l'évolution des choses. Mais peut-on décrire immédiatement un tel moment ? Peut-on, non seulement le décrire, mais encore en déceler les origines, en deviner les aboutissements ? Cela semble évidemment difficile — et c'est pourtant ce que prétendrait faire une histoire du contemporain. Cette dernière est-elle envisageable ?

  • Paradoxe apparent: toute histoire n'est-elle pas du passé ? Il n'en reste pas moins que l'expression "histoire contemporaine" est volontiers utilisée.
  • Que suppose un point de vue historique ?
  • Qu'est-ce que le contemporain ? Comment le reconnaît-on ?

Quel est -théoriquement- le métier qui se consacre au contemporain ? Peut-on le confondre avec le métier d'historien ?

histoire

« • Il n'est pas rare que l'acteur ou même le spectateur d'un événement ait le sentiment de vivre un « moment historique » — soit unesituation appelée à s'inscrire durablement dans la mémoire collective parce qu'elle aura eu un rôle déterminant dans l'évolution deschoses.

Mais peut-on décrire immédiatement un tel moment ? Peut-on, non seulement le décrire, mais encore en déceler les origines,en deviner les aboutissements ? Cela semble évidemment difficile — et c'est pourtant ce que prétendrait faire une histoire ducontemporain.

Cette dernière est-elle envisageable ?• Il est clair qu'en général la notion d'histoire paraît impliquer une référence immédiate, pour ainsi dire obligatoire, au passé.

Pardéfinition, le récit historique se veut connaissance de ce dernier, si reculé soit-il- et il semble exiger pour se constituer un certain délaipar rapport aux événements.• Ce délai a pour objectif d'effectuer d'abord un choix dans ce qui a eu lieu : il s'agit, en histoire, non de reconstituer intégralement unensemble d'événements (tâche d'ailleurs impossible), mais bien de ne retenir de cet ensemble que les événements de poids ousignificatifs — c'est-à-dire ceux qui ne peuvent être jugés tels qu'après coup, à distance, parce que leurs conséquences sont apparues.• En second lieu, l'étude historique suppose une recherche de causalité : raconter par simple juxtaposition ne suffit pas, il fautexpliquer pourquoi telle décision a été prise, quels sont les facteurs déterminants qui ont provoqué un conflit, etc.

Cette quête d'un (oude plusieurs) déterminisme(s) suppose, non une stricte répétition des phénomènes — et c'est bien pourquoi l'histoire ne peut pas êtretout à fait une science comme les autres — mais au minimum la considération d'une durée suffisante pour qu'une relation de cause àeffet puisse être intellectuellement construite.

Le récit historique cherche, non une énumération de faits, mais leur intelligibilité.• A priori, le contemporain semble interdire aussi bien la sélection du significatif que le repérage de la causalité.

Relativement à ce quia lieu maintenant, l'esprit est toujours dans la position de Fabrice à Waterloo : ce qui compte (ce qui apparaîtra plus tard comme ayantcompté) peut lui échapper tandis qu'il risque d'être aveuglé par des phénomènes qui ne sont que des détails sans grande portée, desanecdotes sans réel avenir.• Il n'en reste pas moins que le contemporain se présente comme exigeant en quelque sorte à la fois sa mise en mémoire et sonéclaircissement.

Et c'est bien en s'intéressant à des événements, soit contemporains, soit d'un passé très proche, que l'histoire a prisnaissance, sous l'aspect de l'enquête (puisque c'est son premier sens) telle que la concevait Hérodote.

Au Moyen Age, la rédaction desChroniques (qui précisément ne sont pas encore, à strictement parler, un récit historique) a bien pour fonction de fixer par écrit ladiversité de ce qui a lieu : on y consigne des événements hétérogènes dès lors que, d'une façon ou d'une autre, ils paraissent tousdignes de ne pas être oubliés.• Il est clair que l'actualité, aujourd'hui, risque d'apparaître comme un univers d'une extrême confusion.

Plus s'accumulent à son sujetles informations disponibles, plus on peut constater à la fois la diversité des domaines qu'elle inclut (politique, militaire, social, culturel,religieux, jusqu'aux faits divers tout à fait locaux) et leur caractère énigmatique.

Le lecteur d'un journal ne peut trouver quelque sens àce sur quoi il est informé que s'il est déjà doté d'un « savoir » minimal sur les périodes (plus ou moins longues selon les secteurs)antérieures : apprendre tel jour qu'un combat a lieu à tel endroit de la planète serait rigoureusement insignifiant pour qui ignoreraittout du contexte politique ou militaire dans lequel ce combat s'inscrit.• Ce qui est toujours « sensationnel » dans le fait divers tel qu'il est originellement annoncé, c'est précisément sa brutalité, sadimension imprévue, imprévisible dès lors que le fait ne peut être relié à ce qui l'a précédé.

Le fait divers est d'abord sans causeapparente ou perceptible : s'il frappe et attire l'attention, c'est par ce qui, à première vue, le rend injustifiable et incompréhensible.

Demanière plus générale, tout fait contemporain demeure semblablement incompréhensible si l'on demeure incapable de le situer dansun environnement et de le rattacher à quelques antécédents.• Complémentairement, on peut constater que, plus les moyens dits d'information se développent, plus l'homme d'aujourd'hui estaverti de faits parmi lesquels il est d'abord incapable d'effectuer un tri et de trouver des repères.

L'information tous azimuts ne facilitepas l'interprétation, loin de là, elle semble plutôt la différer, sinon l'interdire, faisant glisser tout événement du côté du fait divers.

Unetelle situation détermine un besoin de compréhension qui devrait, semble-t-il, être satisfait par une histoire du contemporain si ellepouvait se constituer sereinement : l'historien prendrait alors le relais du journaliste, et le monde du contemporain accèderait àl'intelligibilité.• Mais l'histoire est-elle à même de rendre compte à chaud de la confusion dans laquelle le contemporain se présente ? On entrevoitdes objections immédiates : outre l'absence de recul par rapport aux événements, qui interdit leur mise en perspective et, enconséquence, leur véritable explication, c'est le fait même de la proximité entre l'historien et ce qu'il devrait analyser qui risqued'empêcher son interprétation, dans la mesure où l'historien est lui-même un des acteurs du contemporain, comme citoyen ayant deschoix politiques et des engagements particuliers.• Sans doute de tels choix interviennent-ils également lorsque son domaine d'étude est éloigné dans le temps.

Raymond Aron afortement souligné qu'en histoire tout particulièrement, un jugement de fait est déjà un jugement de valeur —qui intervient donc dès lechoix des événements, et plus encore lorsque l'étude met en place une forme de causalité.

De ce point de vue, l'historien ducontemporain ne ferait que ressentir de façon particulièrement intense les contraintes de son métier habituel.

Si l'on n'admet plusaujourd'hui que le bon historien devrait n'être « d'aucun temps ni d'aucun pays », si cette « objectivité » illusoire a laissé place à lanécessaire affirmation de ses principes explicatifs et du courant de pensée auquel il se rattache, on doit reconnaître qu'expliquer lecontemporain risque de surcroît d'impliquer des conséquences tout autres que l'explication du passé.• Expliquer le contemporain, c'est en effet en souligner certaines potentialités et, de la sorte, s'inscrire parmi ceux qui entendent lefaire évoluer dans telle ou telle direction.

Si l'historien évoquant la Révolution française ou l'accession au pouvoir de Mao Tse Tungrévèle nécessairement les valeurs idéologiques qui sont les siennes, son texte ne risque pas de modifier la suite des événements qu'ilraconte.

À l'inverse, le même texte, s'il porte sur le contemporain, tracera des lignes de force dans ce dernier et déterminera desréactions susceptibles de le prolonger dans un sens plutôt que dans un autre.

On voit que sa responsabilité n'est pas la même dans lesdeux cas.• C'est précisément parce qu'il n'y a pas de récit historique « objectif » qu'il n'y en a pas davantage de définitif : l'histoire estinlassablement à refaire — parce qu'elle est toujours produite à partir d'un point de vue, lui-même pris dans une évolution sociale.Dans cette optique, toute histoire est contemporaine...

Mais celle qui tente de rendre compte du présent risque d'y être piégée parcequ'elle s'inscrit dans ce que trame le présent lui-même.

Libre à l'historien de ressentir le besoin, sinon le devoir, d'inscrire sa pratiquemême dans le champ des forces qui agitent le contemporain : il se rapproche alors du commentateur journalistique, sinon dupropagandiste — et s'éloigne d'autant des exigences scientifiques de sa discipline.. »

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