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L'ineffable est-il vraiment inexplicable ?

Publié le 15/03/2009

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Descartes, dans sa lettre à Mersenne du 21 janvier 1641 nous dit ainsi que l'idée de Dieu est paradoxalement à la fois l'idée la plus claire et la plus distincte que l'esprit puise former et celle d'un être qui dépassant infiniment la portée de notre entendement est incompréhensible : " Nous ne pouvons embrasser par des paroles tout ce qui est en Dieu, et c'est pourquoi Dieu est l'ineffable et l'incompréhensible, mais pourtant il y a en vérité beaucoup de choses en Dieu ou touchant Dieu que nous pouvons atteindre par l'esprit et exprimer par des paroles, et même beaucoup plus que sur n'importe quelle autre chose, et c'est pourquoi il est le plus connaissable et le plus exprimable. ". Il nous offre ainsi à la fois une définition de l'ineffable (ce que nous ne pouvons embrasser par des paroles) tout en ne renvoyant pas l'ineffable à l'inconnaissable. Ainsi, c'est bien la question du langage que la notion d'ineffable nous conduit à interroger et plus particulièrement celle de ses limites. On parlera alors d'ineffable lorsque les mots nous manquent. Or, les mots peuvent nous manquer pour trois raisons différentes : soit parce qu'on ne maîtrise pas suffisamment une langue, soit parce qu'il n'y a rien à dire soit encore parce qu'il y a trop à dire. Il s'agirait de se demander si dans ces trois cas différents on peut parler d'ineffable.

« spirituelle avec l'être infini de Dieu ne trouvent pas ensuite de paroles pour exprimer cette union.

Là où les motsnous manquent parce que les mots ne sont que des mots se dévoile l'ineffable, cette richesse infinie, toujourssingulière que seule une certaine expérience nous permet de saisir qu'il s'agisse de l'intuition dont nous parleBergson, de l'extase dont nous parlent les mystiques ou encore de la plénitude du sentiment vécu.

C'est pourquoiBergson nous dit que " Celles-là seules de nos idées qui nous appartiennent le moins sont adéquatement exprimablespar des mots ".Dès lors, on peut saisir en quoi accorder une valeur à l'ineffable suppose une critique du langage quant à ses limites.Mais peut-on, ainsi que l'affirme Bergson ne pas prendre les mots aux mots ? Une telle attitude ne repose-t-elle passur un discrédit du langage considéré uniquement comme un simple outil ? 2.

Hegel : pas de pensée en dehors du langage :Il y aurait ainsi une richesse dans la singularité de l'expérience etqui serait inaccessible au langage.

Mais si ce que nous saisissons en dehors du langage nous semble à première vuetrès riche, n'est-il pas en fait avant tout entièrement indéterminé ? Le risque est grand en effet de confondrerichesse et indétermination.

Si la tentation est grande de vouloir accorder une dimension et une valeur à l'ineffable,il semble bien que ce soit, en dernière instance, au détriment de la pensée.

Refuser alors de prendre les mots auxmots, c'est privilégier l'indétermination sur le déterminé, l'impensé sur la pensée au risque de privilégier sans cesse leflou, la particularité de l'expérience au détriment de ce qui nous fait appartenir à la communauté des hommes àsavoir la raison, le logos.

C'est une telle critique de l'ineffable que Hegel va opérer dans la Philosophie de l'esprit.

Sesituer en dehors du langage, c'est être immédiatement submergé par l'indétermination.

Seule l'opinion qui refuse leprivilège de la pensée accorde une valeur à l'ineffable, elle oubli alors que le langage n'est pas un simple outil, uninstrument qui servirait à agir ou à communiquer nos pensées ; le langage est ce qui donne forme à la pensée.

Il n'ya pas de pensée en dehors du langage.

L'indétermination à laquelle nous renvoyait l'ineffable n'est qu'une marque defaiblesse.

L'ineffable est flou, imprécis et obscur.

Seul le mot déterminé structure et forme la pensée.

En d'autrestermes, c'est le langage qui est le plus vrai et non cette pseudo réalité que nous croyons viser dans la singularité del'expérience.

Refuser ce privilège du langage c'est refuser de se reconnaître comme appartenant à la communautédes hommes en tant qu'êtres doués de logos.

Dès lors, l'ineffable ne serait pas un au-delà du langage mais un en-deçà.Pourtant, rien ne nous semble plus réel et vrai que la particularité d'une sensation, que la singularité d'uneexpérience dont le langage semble incapable de rendre compte.

C'est ce que Hegel dans la Phénoménologie del'esprit nomme la certitude sensible à savoir la saisie de l'être singulier immédiat comme singulier, le " ceci ", le " iciet maintenant " dans laquelle nous croyons saisir la richesse même, dans laquelle nous croyons nous tenir audessous du langage dans une intuition indivisible de notre être.

Mais toutes les autres consciences, tous les autresmoi prétendent à la même intuition et leur confrontation fait disparaître l'immédiateté prétendue de leur point devue.

Dans la certitude sensible nous croyons saisir l'être singulier mais ce que nous disons c'est ce qu'il y a de plusuniversel, un " ceci ", un " celui-ci ", or tout est un ceci, tout moi est un celui-ci.

En d'autres termes, la particularitéde l'expérience, cet ineffable n'est qu'un indéterminé qui ne prendra forme et structure que dans le langage.

C'estainsi que ce que nous désignons comme ineffable n'est qu'un impensé auquel nous accordons à tort une richessefaute de saisir que le langage n'est pas qu'un simple outil, qu'un simple moyen de communication.

Nous aimons àaccorder à ce dernier une réalité infinie là où nous faisons que l'expérience d'une pensée non encore développée.C'est ainsi au regard de la pensée conceptuelle que l'ineffable est rejeté.

Il n'y a de réalité que rationnelle.

Commentalors dire l'irrationnel ? On peut remarquer que dans l'analyse menée par Hegel, c'est avant tout le mot qui estévoqué puisque c'est ce dernier qui donne forme et structure à la pensée.

Dès lors, on peut se demander s'il n' a desens qu'à travers le mot.

Autrement dit, le silence ne peut-il pas dire ? 3.

Les limites du langage : Dans l'alchimie du Verbe Rimbaud déclare avoir "[écrit] des silences [...], not[é]l'inexprimable [...] fix[é] des vertiges".

On définit traditionnellement le silence comme une absence.

Absence debruit, de son, il renvoie d'abord au néant, au rien.

C'est d'ailleurs en ce sens que nous parlons d'un silence de mort.Pourtant, le silence comme absence n'est pas nécessairement sans signification et peut même être lourd de sens.Dès lors semble disparaître cette opposition traditionnelle rapide entre le son qui fait sens et le silence qui n'est rien.C'est ce qu'évoque ici Rimbaud.

Au lieu de se situer du côté soit de la plénitude soit du vide, de la présence ou biende l'absence, le silence semble alors se confondre avec la ligne de partage, la lisière infime et dynamique, qui permetl'articulation de ces couples antinomiques.

La poésie semble alors s'affranchir des oppositions, des dichotomies etc'est ainsi que Mallarmé déclare "qu'entre les feuillets et le regard règne un silence encore, condition et délice de lalecture" (Mallarmé "Mimique").

La tâche de la poésie moderne semble consister alors à inscrire de façon concrète etpragmatique dans ses textes mêmes ce silence.

Il en sort littéralement pour s'élancer vers le lecteur qui, dans ceque Hans-Georg Gadamer appelle "l'oreille intérieure", "perçoit la forme idéale du langage - quelque chose quepersonne ne pourra jamais entendre.

C'est que la forme idéale du langage exige ce qui est hors d'atteinte pour lavoix humaine - et c'est là précisément le mode d'être du texte littéraire" ("Philosophie und Literatur").

Si la questionde la poésie devient centrale ici c'est parce qu'elle nous renvoie à la fois à la question du langage et à celle de l'art.Nous pouvons alors mieux saisir encore le sens de l'analyse de Bergson dans le Rire, analyse qui conduisait à rejeterde langage comme déformant.

Lors de cette critique, Bergson oppose à cette attitude réductrice du langage leregard de l'artiste.

Si l'ineffable est cet indéterminé que le langage n'a pas saisi, il semble bien que l'art puisse alorssurmonter cette indifférenciation en donnant à saisir, à voir ce que le langage ne peut enfermer.

On peut ici penseraux analyses de Merleau-Ponty sur Cézanne dans Signes et en particulier aux différentes " Montagne sainte victoire".

Nous disons, en effet, évoquant Jankélévitch que l'ineffable est peut-être ce dont il y a infiniment à dire et onpeut saisir dans cette répétition de la différence que manifeste le travail de Cézanne sur un même objet cettenécessité de donner à voir ce qui ne peut être circonscrit d'un coup.

On pourrait aussi se reporter ici aux analysesde Jankélévitch sur la musique.

Néanmoins, cette critique que Bergson opère du langage ne conduit pas à lediscréditer mais à montrer comment une croyance naïve dans les mots nous fait manquer la réalité.

C'est pourquoi il. »

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