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Malebranche: Ce ne sont pas nos sens qui nous trompent

Publié le 08/05/2005

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malebranche
Ce ne sont pas nos sens qui nous trompent, mais c'est notre volonté qui nous trompe par ses jugements précipités. Quand on voit, par exemple, de la lumière, il est très certain que l'on voit de la lumière; quand on sent de la chaleur, on ne se trompe point de croire que l'on en sent, [...]. Mais on se trompe quand on juge que la chaleur que l'on sent est hors de l'âme qui la sent [...]. Les sens ne nous jetteraient donc point dans l'erreur si nous faisions bon usage de notre liberté, et si nous ne nous servions point de leur rapport pour juger des choses avec trop de précipitation. Mais parce qu'il est très difficile de s'en empêcher, et que nous y sommes quasi contraints à cause de l'étroite union de notre âme avec notre corps, voici de quelle manière nous nous devons conduire dans leur usage pour ne point tomber dans l'erreur. Nous devons observer exactement cette règle de ne juger jamais par les sens de ce que les choses sont en elles-mêmes, mais seulement du rapport qu'elles ont avec notre corps. MALEBRANCHE

Il est d'usage de critiquer le témoignage des sens, réputés trompeurs comme le montre la très fameuse illusion d'optique. Mais l'erreur vient-elle vraiment des sens eux-mêmes? Malebranche, en reprenant la genèse de l'erreur, veut établir deux points importants pour l'analyse de la connaissance et la recherche de la vérité: d'une part, c'est la volonté qui, par sa précipitation, est à l'origine de l'erreur. D'autre part, c'est sur notre corps et non sur la réalité que la sensation nous informe : Malebranche en déduit une règle de méthode pour le bon usage des sensations. Tout en élucidant les termes du texte, nous pourrons nous interroger sur la façon dont nos sens nous donnent accès à la « réalité «. Celle-ci demeure-t-elle à jamais inaccessible?  

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« Nous savons que nous avons chaud.

L'induction qui remonte à une cause hors de nous semble pourtant bien fondéepuisque (hélas) nous ne pouvons changer à volonté notre sentiment de chaleur ou de froid : cela n'indique-t-il pasune cause extérieure à notre vouloir? Sans doute, mais cette cause n'est pas fournie pour autant.

En parlant de « lachaleur » nous ne faisons que mettre un nom sur un point d'interrogation.

Nous ne pouvons en effet saisir « lachaleur » en tant que telle que par notre sentiment de chaleur ou par des effets matériels, par exemple la hauteurdu mercure dans le thermomètre, qui indiquent eux aussi la cause recherchée mais ne nous la donnent pas commetelle.

Et de fait, la « chaleur » n'est pas un concept physique pertinent.Nous tenons ainsi la clef du problème tel que le comprend Malebranche : nous ne devons pas passer « avec trop deprécipitation » des sens aux choses.Les sens nous donnent de bonnes informations sur nous-mêmes et sur notre situation dans le monde, ils sont desindicateurs relativement fiables pour l'action (j'ai chaud donc je m'hydrate), mais ils ne nous découvrent pas lemonde lui-même.

De là à conclure que ce que nous appelons communément « le monde extérieur » n'est que lenégatif de nos sensations sans que nous en sachions rien de positif, il n'y a qu'un pas qu'il est tentant de franchir: iln'y aura alors aucun moyen de passer de la sensation à la connaissance, et il faudra puiser cette dernière à uneautre source, par exemple celle des idées innées ou d'une vision intellectuelle.

Malebranche pense que nous n'avonspas d'accès au monde en tant que tel mais que notre esprit peut « voir » la vérité « en Dieu ».Il faut néanmoins tenir compte de notre constitution : Descartes avait lui aussi coutume de rappeler que tous lesprogrès de la connaissance et de la méthode ne font pas de nous de purs esprits et que nous sommes donc toujoursenclins à retomber dans nos vieilles habitudes et dans nos croyances naïves.

De même pour Malebranche, « à causede l'étroite union de notre âme avec notre corps », nous ne pouvons éviter une tendance naturelle à hypostasierdans « le monde extérieur » une cause de nos sensations.

Cette « étroite union » est un des thèmes majeurs de laphilosophie classique: il faut sauvegarder l'immortalité et l'immatérialité de l'âme, tout en rendant compte de façonplausible du fait que nous ne pouvons pas nous détacher du corps purement et simplement.

L'âme dans le corpsn'est pas « comme un pilote en son navire », avait coutume de dire Descartes.La règle de méthode préconisée par Malebranche pourrait être appelée une règle de réduction ou encore une règlecritique.

Il y a un usage légitime du témoignage des sens, mais il est rigoureusement limité et il convient deconnaître et respecter scrupuleusement cette limite.

Citons cette règle « ne juger jamais par les sens de ce que leschoses sont en elles-mêmes, mais seulement du rapport qu'elles ont avec notre corps ».Il semble bien que nous ayons là une rupture franche par rapport à toute tentation empiriste.

Nos sens ne nousindiquent qu'une relation et non un être.

Autrement dit ils n'ont qu'une fiabilité pratique et non pas ontologique.

Ilsnous disent notre situation et non l'être de ce monde dans lequel nous sommes en situation.

Il n'y a pas decontinuité entre la sensation et le savoir intellectuel comme si la sensation était la première étape d'un savoir qu'ilsuffirait ensuite d'affiner et de préciser grâce à des concepts abstraits.

Les sens sont les éléments premiers dumonde vécu, de l'expérience du monde comme milieu, mais non du monde que prétend connaître la science. Conclusion Ce passage de Malebranche annonce une position assez radicale de discrédit de la sensation, un « intellectualisme »ou « spiritualisme » contre lequel les empiristes anglais dirigeront leurs attaques.

Mais au-delà de ce débathistorique, nous pouvons voir dans ce passage l'esquisse du concept de « rupture épistémologique » quedéveloppera Bachelard : nous ne pouvons placer dans une évolution continue notre expérience du monde vécu,orientée par nos besoins et notre imagination, et le projet de connaissance objective.. »

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