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MALEBRANCHE: Raison et amitié

Publié le 31/03/2005

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Lorsqu'on est riche et puissant, on n'en est pas plus aimable, si pour cela on n'en devient pas meilleur à l'égard des autres par ses libéralités, et par la protection dont on les couvre. Car rien n'est bon, rien n'est aimé comme tel, que ce qui fait du bien, que ce qui rend heureux. Encore ne sais-je si on aime véritablement les riches libéraux, et les puissants protecteurs. Car enfin ce n'est point ordinairement aux riches qu'on fait la cour, c'est à leurs richesses. Ce n'est point les grands qu'on estime, c'est leur grandeur ; ou plutôt c'est sa propre gloire qu'on recherche, c'est son appui, son repos, ses plaisirs. Les ivrognes n'aiment point le vin, mais le plaisir de s'enivrer. Cela est clair : car s'il arrive que le vin leur paraisse amer, ou les dégoûte, ils n'en veulent plus. Dès qu'un débauché a contenté sa passion, il n'a plus que de l'horreur pour l'objet qui l'a excité ; et s'il continue de l'aimer, c'est que sa passion vit encore. Tout cela, c'est que les biens périssables ne peuvent servir de lien pour unir étroitement les coeurs. On ne peut former des amitiés durables sur des biens passagers, par des passions qui dépendent d'une chose aussi inconstante qu'est la circulation des humeurs et du sang ; ce n'est que par une mutuelle possession du bien commun, la Raison. Il n'y a que ce bien universel et inépuisable, par la jouissance duquel on fasse des amitiés constantes et paisibles. Il n'y a que ce bien qu'on puisse posséder sans envie, et communiquer sans se faire tort. MALEBRANCHE

Quel lien peut sérieusement unir les hommes dans leur existence quotidienne ? Il ne s' agit pas ici de réfléchir sur le contexte sociopolitique : Malebranche analyse les enjeux de tout attachement, pour inviter à penser que seule la raison est susceptible d'en produire de durables et profonds. Avant d'avancer une telle considération, il lui faut souligner l'instabilité des relations uniquement fondées sur des « biens passagers «.  

Seule la raison permet d'établir solidement de véritables amitiés: telle est l'idée directrice. Idée qui relève plus d'un acte de foi que d'une démonstration rigoureuse ! Même si pour Malebranche, la Raison est au fondement de tout.

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« Cette ambiguïté est confirmée par l'analyse des passions ordinaires.

Ce que l'on y poursuit, c'est moins un objetapparent que le plaisir du sujet passionné lui-même.

Par exemple, un ivrogne aime, non le vin en lui-même, mais leplaisir de s'enivrer ; et il refusera un vin ayant un goût amer (sans doute risque-t-il toutefois de le remplacerrapidement par un autre s'il aime toujours s'enivrer).De manière générale, le contentement de la passion la fait disparaître : ce qui y est excitant pour le sujetpassionné, c'est la quête, et le plaisir de la possession, la satisfaction de son désir.

Mais ce dernier une fois exaucé,l'objet initial perd tout intérêt (on pourrait ici évoquer Don Juan, aimant, non telle ou telle femme ni même lesfemmes en général, mais bien la quête qui l'invite à en conquérir toujours davantage).

À l'inverse, si l'objet d'unepassion reste stimulant, c'est que la passion elle-même n'est pas morte et continue à animer le sujet. [III.

Suprématie de la raison] Une telle fuite en avant dans la recherche répétée des satisfactions est due au fait que ne sont recherchés que «des biens périssables », qui n'ont pas en eux-mêmes de valeur, et qui n'offrent donc une apparence (un fantôme) devaleur que dans la mesure où ils peuvent être investis par le désir.

En conséquence, le caractère temporaire de ces« biens » ne peut aucunement fonder un lien durable entre les « coeurs » ou les esprits » : les passions qu'ilssuscitent sont elles-mêmes dépendantes d'une simple « circulation des humeurs et du sang » (ce qui renvoie toutmouvement passionnel à une source physique, au corps — et témoigne sur ce point de l'influence de Descartes).D'un côté, la passion a une origine physiologique.

De l'autre, les liens sérieux et constants entre individus participentnécessairement de quelquechose de noble ou d'élevé.

On constate un tel écart entre les seconds et la première qu'ils ne peuvent êtredéterminés par une source aussi médiocre.C'est pourquoi le seul bien « universel et inépuisable » qui puisse fonder « des amitiés durables » entre les hommes,c'est la raison elle-même.

Elle est un bien commun, elle est aimée pour elle-même, indépendamment des intérêtsmomentanés ou égoïstes.

Bien « inépuisable », puisque la raison est apte à nous révéler des vérités toujoursnouvelles et qu'aucun esprit ne saurait en épuiser les capacités ou les trésors.Partager la raison, c'est faire bénéficier un autre d'un bien qui vaut pour lui-même, dont l'universalité est pardéfinition indépendante de tout point de vue individuel, et telle que sa « communication » ne peut appauvrir qui quece soit.

Communiquer la raison, ou communiquer dans la rai-son, c'est alors produire une double satisfaction — maispure et sans rapport avec un intérêt médiocre : satisfaction de soi-même puisqu'on en élargit l'efficacité,satisfaction de l'autre qui y découvre un bien sans égal. [Conclusion] La raison est traditionnellement admise comme caractérisant la véritable humanité.

Elle apparaît de surcroît, dansl'analyse de Malebranche, comme seule capable de fonder des liens sérieux entre les hommes.

Si on le compare àl'universalité de la raison, tout autre bien révèle sa médiocrité, son inconsistance.

Au contraire, le partage de larationalité est anoblissant pour tous : on voit ici combien les Lumières, dans leur souci d'aider au progrès global del'humanité, héritent en fait du rationalisme du siècle antérieur.. »

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