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Montaigne: Peut-on se fier à la raison ?

Publié le 11/03/2005

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montaigne
La participation que nous avons à la connaissance de la vérité, quelle qu'elle soit, ce n'est pas par nos propres forces que nous l'avons acquise. Dieu nous a assez appris cela par les témoins qu'il a choisis du vulgaire, simples et ignorants, pour nous instruire de ses admirables secrets : notre foi, ce n'est pas notre acquêt', c'est un pur présent de la libéralité d'autrui. Ce n'est pas par discours ou par notre entendement que nous avons reçu notre religion, c'est par autorité et par commandement étranger. La faiblesse de notre jugement nous y aide plus que la force, et notre aveuglement plus que notre clairvoyance. C'est par l'entremise de notre ignorance plus que notre science que nous sommes savants de ce divin savoir. Ce n'est pas merveille si nos moyens naturels et terrestres ne peuvent concevoir cette connaissance supernaturelle et céleste ; apportons-y seulement du nôtre l'obéissance et la sujétion. (...] Si me faut-il voir enfin s'il est en la puissance de l'homme de trouver ce qu'il cherche, et si cette quête qu'il a employée depuis tant de siècles, l'a enrichi de quelque nouvelle force et de quelque vérité solide. Je crois qu'il me confessera, s'il parle en conscience, que tout l'acquêt qu'il a retiré d'une si longue poursuite, c'est d'avoir appris à reconnaître sa faiblesse. L'ignorance qui était naturellement en nous, nous l'avons, par longue étude, confirmée et avérée. Il est advenu aux gens véritablement savants ce qui advient aux épis de blé : ils vont s'élevant et se haussant, la tête droite et fière, tant qu'ils sont vides ; mais, quand ils sont pleins et grossis de grain en leur maturité, ils commencent à s'humilier et à baisser les cornes. Pareillement, les hommes ayant tout essayé et tout sondé, n'ayant trouvé en cet amas de science et provision de tant de choses diverses rien de massif et ferme, et rien que vanité, ils ont renoncé à leur présomption et reconnu leur condition naturelle.

Dans un premier temps, Montaigne présente sa thèse, que nous pouvons retrouver dans la première phrase de notre texte : « La participation que nous avons à la connaissance de la vérité, quelle qu'elle soit, ce n'est pas par nos propres forces que nous l'avons acquise «. Par le terme même de « participation «, nous comprenons que nous avons part à la connaissance, sans que cette participation ne vienne entièrement de nous, ce qui est confirmé par la fin de la phrase.  Montaigne choisit comme paradigme de la connaissance la connaissance de Dieu. Il y a une incommensurabilité entre le savoir humain et la vérité divine, exprimée plus loin dans le texte par les termes antithétiques « connaissance supernaturelle et céleste « et « nos moyens naturels et terrestres «.  L’homme ne pourrait donc par ses propres forces comprendre une vérité divine qui n’a rien de commun avec ses propres capacités. Cela est confirmé par le fait que Dieu a choisi pour se révéler non pas les plus sages et les érudits, mais les simples d’esprit : les gens les plus pieux sont aussi les gens les plus simples, ceux qui savent faire preuve d’humilité. Cela montre bien que ce n'est pas de leur propre chef et par la force de leur raison qu’ils ont pu accéder à une réalité divine, mais bien parce qu’ils ont reçu la vérité divine par la « libéralité d’autrui «, c'est-à-dire par le bon vouloir de Dieu.

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« d'humilité.

Cela montre bien que ce n'est pas de leur propre chef et par la force de leur raison qu'ils ont pu accéderà une réalité divine, mais bien parce qu'ils ont reçu la vérité divine par la « libéralité d'autrui », c'est-à-dire par lebon vouloir de Dieu. B.

Nous n'accédons pas à la vérité par le « discours », c'est-à-dire par l'argumentation réfléchie et organisée, ni parl'entendement, c'est-à-dire par sa faculté de comprendre, mais au contraire parce que nous recevons la véritéd'une autorité.

Il ne faudrait pas confondre autorité et pouvoir : l'autorité est une supériorité légitime, reconnuecomme telle.

Ici, c'est bien de l'autorité divine, légitime s'il en est, qu'il est question.

Montaigne utilise donc leparadigme de la connaissance divine pour deux raisons : tout d'abord parce que la vérité divine est celle qui nousest le plus clairement inaccessible par nos propres moyens, et ensuite parce que les porteurs de la vérité divine nesont pas des sages, mais des ignorants.

Cela lui permet de tirer une conséquence quelque peu paradoxale : « C'estpar l'entremise de notre ignorance plus que notre science que nous sommes savants de ce divin savoir ».

Pour êtresavant, il faut être ignorant : nos facultés ne nous sont d'aucune aide pour découvrir la vérité, elles deviennentmême un obstacle puisqu'elles pourraient nous incliner à résister à l'autorité. C.

Grâce à l'analyse du cas paradigmatique de la foi, Montaigne peut revenir dans un second temps à une réflexion plus large, concernant la vérité quelle qu'elle soit : « Si me faut-il voir enfin s'il est en la puissance de l'homme detrouver ce qu'il cherche, et si cette quête qu'il a employée depuis tant de siècles, l'a enrichi de quelque nouvelleforce et de quelque vérité solide ».

Il n'est donc plus question ici de vérité divine, mais de toute la connaissanceque l'humanité a pu cumuler au cours de l'histoire.

L'homme a-t-il acquis une « vérité solide », c'est-à-dire unevérité absolue, sur laquelle tous s'accordent, et qui ne saurait être remise en question ? La réponse de Montaigneest tout à fait sceptique, puisque la seule chose que l'homme aurait découvert, c'est sa faiblesse : à force de testerses forces, il en découvre les limites.

Bien loin d'avoir progressé en matière de connaissance, nous avons bien aucontraire découvert que notre ignorance était notre état naturel, et qu'aucun effort ne saurait dépasser cela. D.

Cela permet à Montaigne de finir son argumentation sur une métaphore qui illustre la vanité de l'esprit humain : les épis de blé qui sont les plus vides sont aussi ceux qui se tiennent les plus droits, la tête haute étant l'expressionde leur fierté, tandis que les épis pleins sont humbles et regardent vers le sol, comme s'ils faisaient une révérence.Cette métaphore est très visuelle, puisqu'elle représente bien les deux attitudes, celle de la vanité et celle del'humilité.

Autrement dit, la connaissance et l'étude a avant tout un effet sur l'homme lui-même.

Il n'a peut-êtredécouvert aucune vérité fixe, mais il a compris quelle était sa véritable condition. Intérêt philosophique du texte. A.

La connaissance de soi. Ce texte de Montaigne ne va pas sans rappeler les propos de Socrate qui, pour sage qu'il était, disait que tout ce qu'il sait, c'est qu'il ne sait rien.

Dans cette perspective, la connaissance est avant tout laconnaissance de soi et de se propres limites.

L'expérience de l'étude n'est pas dirigé vers l'extérieur, mais avant toutvers l'intérieur : en apprenant, nous faisons l'expérience ne nos propres facultés d'apprendre avant de fairel'expérience du monde.

Se connaitre soi-même ne relève donc pas d'une introspection, mais au contraire d'unexercice d'apprentissage. B.

Le scepticisme .

Ce texte nous montre aussi que Montaigne, souvent qualifié par la tradition de « sceptique », ne renie pas l'intérêt de l'étude.

En effet, sceptique est celui qui rejette la possibilité d'une vérité absolue, c'est-à-direinébranlable et assurée.

Pourtant, cela ne signifie en aucun cas que l'étude est vaine, mais au contraire, que c'estpar l'étude que l'homme peut parvenir à la connaissance de sa propre condition, à la connaissance de ses limites.C'est justement celui qui ne met pas les forces de son entendement à l'épreuve qui croit qu'elles peuvent luipermettre à elles seules de découvrir la vérité absolue.

Étudier, raisonner sont au contraire des exercices essentielspour découvrir ses propres limites.

C'est pourquoi les épis qui sont lourds, ce qui signifient que les esprits qui onttravaillé laborieusement et se sont mis à l'épreuve sont les plus humbles.

Le scepticisme de Montaigne invite àl'étude, ce n'est en aucun cas un pré requis à toute réflexion, mais au contraire l'aboutissement de l'usage de laraison. C.

Pourtant, la notion d'autorité telle qu'elle nous est présentée par Montaigne n'est pas complètement satisfaisante.

En effet, en étudiant le paradigme de la foi, Montaigne en conclut que si nos forces ne peuventsuffire à nous faire découvrir une vérité absolue, une autorité et un commandement extérieur seuls peuvent nousapporter une connaissance certaine.

Dans le cadre de la connaissance divine, on comprend bien que cette solutionest envisageable justement parce que qu'il existe une autorité supérieure et légitime, celle de Dieu, qui par larévélation peut s'adresser aux hommes.

Mais quel sera l'équivalent de cette autorité dans le domaine des questions. »

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