N'y a-t-il que des passions déraisonnables ?
Publié le 03/12/2005
Extrait du document
- I. La conception classique de la passion
- II. L'opposition passion-raison. La passion comme une maladie de l'âme (Kant)
- III. Les passions ne sont pas toutes mauvaises (Descartes)
«
A : Dans le Traité des passions de l'âme Descartes réhabilite les passions en montrant qu'elles sont naturelles puisqu'elles résultent de l'union du corpsavec l'âme.
Descartes définit les passions comme des émotions de l'âmeprovoquées par le mouvement des esprits animaux ( cf art 37 ).
AvecDescartes on comprend que les passions ne peuvent pas être éradiquées carelle font partie de la vie humaine.
De plus les passions sont nécessaires àl'existence car elles permettent selon Descartes à inciter l'âme à vouloir cequi est utile et à fuir ce qui lui est nuisible ( voir art 40, 52, 137 ).
Lespassions ne sont donc pas mauvaises en elles-mêmes mais c'est plutôtl'usage que nous en faisons qui doit faire l'objet de toutes les considérations (voir art 212 ).
Descartes considère que les passions sont bonnes en elles-mêmes mais il souligne tout de même le fait que nous devons nous en rendremaître.
Par conséquent est-il impossible d'affirmer que tout emportementpassionnel est bénéfique ?
B : Hegel affirme dans La Raison dans l'histoire que « rien de grand ne s'est fait dans le monde sans passion ».
Pour Hegel les passions constitue leressort subjectif qui permet l'accomplissement d'actions qui indirectementréalise la marche en avant de l'Esprit dans son entreprise de prise deconscience.
Pour Hegel, l'histoire tend vers une fin qui est la réalisation de l'Esprit, l'avènement de la liberté qui se réalise dans un Etat universel où l'individu dispose du droit et de la liberté.Ainsi le passionné qui agit pour lui-même contribue à travers son action à réaliser un plan divin.
La passion a souvent été méprisée comme une chose qui est plus ou moins mauvaise.
Le romantisme allemand et, enparticulier, Hegel restituent à la passion toute sa grandeur.
Dans une Introduction fameuse (« La Raison dans l'histoire ») à ses « Leçons sur la philosophie de l'histoire » - publiées après sa mort à partir de manuscrits de l'auteur et de notes prises par ses auditeurs -, on peut lire (trad.
Kostas Papaioannou , coll.
10118):
« Rien ne s'est fait sans être soutenu par l'intérêt de ceux qui y ont participé.
Cet intérêt nous l'appelonspassion lorsque, écartant tous les autres intérêts ou buts, l'individualité tout entière se projette sur un objectifavec toutes les fibres intérieures de son vouloir et concentre dans ce but ses forces et tous ses besoins.
En cesens, nous devons dire que rien de grand ne s'est accompli dans le monde sans passion. »
L'histoire est en apparence chaos et désordre.
Tout semble voué à la disparition, rien ne demeure : « Qui a contemplé les ruines de Carthage , de Palmyre , Persépolis , Rome , sans réfléchir sur la caducité des empires et des hommes, sans porter le deuil de cette vie passée puissante et riche ? Ce n'est pas comme devant la tombe desêtres qui nous furent chers, un deuil qui s'attarde aux pertes personnelles et à la caducité des fins particulières:c'est le deuil désintéressé d'une vie humaine brillante et civilisée. »
L'histoire apparaît comme cette « vallée des ossements » où nous voyons les réalisations « les plus grandes et les plus élevées rabougries et détruites par les passions humaines », « l'autel sur lequel ont été sacrifiés le bonheur des peuples, la sagesse des Etats et la vertu des individus ».
Elle nous montre les hommes livrés à la frénésie des passions, poursuivant de manière opiniâtre des petits buts égoïstes, davantage mus par leurs intérêts personnelsque par l'esprit du bien.
S'il y a de quoi être triste devant un tel spectacle, faut-il, pour autant, se résigner, y voirl'œuvre du destin ? Non, car derrière l'apparence bariolée des événements se dévoile au philosophe une finalitérationnelle : l'histoire ne va pas au hasard, elle est la marche graduelle par laquelle l'Esprit parvient à sa vérité.
LaRaison divine, l'Absolu doit s'aliéner dans le monde que font et défont les passions, pour s'accomplir.
Telle est: « la tragédie que l'absolu joue éternellement avec lui-même: il s'engendre éternellement dans l'objectivité, se livre souscette figure qui est la sienne propre, à la passion et à la mort, et s'élève de ses cendres à la majesté ».
Ainsi, l'histoire du devenir des hommes coïncide avec l'histoire du devenir de Dieu.
Etats, peuples, héros ou grandshommes, formes politiques et organisations économiques, arts et religions, passions et intérêts, figurent la réalité del'Esprit et constituent la vie même de l'absolu .
« L'Esprit se répand ainsi dans l'histoire en une inépuisable multiplicité de formes où il jouit de lui-même.
Mais sontravail intensifie son activité et de nouveau il se consume.
Chaque création dans laquelle il avait trouvé sajouissance s'oppose de nouveau à lui comme une nouvelle matière qui exige d'être oeuvrée.
Ce qu'était son œuvredevient ainsi matériau que son travail doit transformer en une œuvre nouvelle. »
Dans cette dialectique ou ce travail du négatif, l'Esprit, tel le Phénix qui renaît de ses cendres, se dresse chaque fois plus fort et plus clair.
Il se dresse contre lui-même, consume la forme qu'il s'était donnée, pour s'élever à uneforme nouvelle, plus élevée.
De même que le Fils de Dieu fut jeté « dans le temps, soumis au jugement, mourant dans la douleur de la négativité », pour ressusciter comme « Esprit éternel, mais vivant et présent dans le monde », de même l'Absolu doit se vouer à la finitude et à l'éphémère pour se réaliser dans sa vérité et dans sa certitude.
Dès lors, ce n'est pas en vain que les individus et les peuples sont sacrifiés.
On comprend aussi que les passionssont, sans le savoir, au service de ce qui les dépasse, de la fin dernière de l'histoire: la réalisation de l'Esprit ou deDieu.
Chaque homme, dans la vie, cherche à atteindre ses propres buts, cache sous des grands mots des actions.
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