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Peut-on évaluer une civilisation de par ses progrès techniques ?

Publié le 17/12/2005

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Notons que ce n'est pas tant le progrès technique en lui-même qui serait à évaluer que l'abus de ce progrès, lorsque le progrès devient une fin en soi!C'est ce que tente de faire Freud, dans un passage de Malaise dans la civilisation (pp. 31-32).C'est sans doute un « gain positif de plaisir » que d'avoir rapidement des nouvelles d'un ami parti pour un voyage difficile, de pouvoir entendre la voix de l'enfant parti au loin dans une autre ville, de pouvoir espérer vivre plus longtemps grâce aux progrès de la médecine.Mais Freud compare ce gain de plaisir à celui que l'on peut éprouver une froide nuit d'hiver, à sortir une jambe de dessous la couette, pour le plaisir que l'on peut avoir à la remettre au chaud. C'est-à-dire que si la technique offre ces remèdes, c'est aussi parce qu'elle a au préalable causé le mal! C'est parce qu'il y a le chemin de fer que l'enfant est parti au loin, parce qu'il y a des transatlantiques que l'ami a entrepris ce voyage... La technique est la fois le remède et le mal, mais nous ne voyons que le remède.Pour ce qui est de l'augmentation de l'espérance de vie, Freud argumente que si la technique nous permet de vivre plus longtemps, en même temps la « Civilisation » (Kultur) nous impose plus de restrictions, de renoncer à certains plaisirs. On vit plus longtemps, mais moins heureux!On ne peut même plus dire que la technique est bonne, valorisable, parce qu' elle fait le bonheur de l'homme: elle en fait aussi bien le malheur.Nous avons donc vu que la technique en elle-même ne comporte aucun critère d 'évaluation: elle n'est qu'un ensemble de moyens indifférents à la fin. Elle demande encore à être évaluée par autre chose.

La technique, par son progrès, est souvent valorisée, au point d'être tenue pour un critère de civilisation. En effet, elle caractérise le mode d'être humain, en rupture avec le monde animal. De plus, les découvertes techniques jouent un rôle considérable dans l'amélioration des conditions de vie, avec toutes les conséquences que cela a sur les autres aspects culturels.  Cependant, le pouvoir que la technique donne à l'homme, sur la nature et sur les autres hommes, peut se retourner contre lui, jusqu'à l'aliéner ou le détruire, comme l'histoire le montre. Ainsi, le progrès technique est à double tranchant. Il conduit à poser un problème qui ne relève pas que de la technique, mais aussi de la politique et de la morale et, en général, des valeurs d'une civilisation.

« créative au Moyen Age et a fait des découvertes techniques considérables.

Et souvent, dans l'histoire, descivilisations plus avancées que d'autres techniquement, ont montré une puissance supérieure. Dans la sixième partie du « Discours de la méthode » (1637), Descartes met au jour un projet dont nous sommes les héritiers.

Il s'agit de promouvoir une nouvelle conception de la science, de latechnique et de leurs rapports, apte à nous rendre « comme maître et possesseurs de la nature ».

Descartes n'inaugure pas seulement l'ère du mécanisme, mais aussi celle du machinisme, de la dominationtechnicienne du monde. Si Descartes marque une étape essentielle dans l'histoire de la philosophie, c'est qu'il rompt de façon radicale et essentielle avec sacompréhension antérieure.

Dans le « Discours de la méthode », Descartes polémique avec la philosophie de son temps et des siècles passés : la scolastique, que l'on peut définir comme une réappropriationchrétienne de la doctrine d' Aristote . Plus précisément, il s'agit dans notre passage de substituer « à la philosophie spéculative qu'on enseigne dans les écoles » une « philosophie pratique ».

La philosophie spéculative désigne la scolastique, qui fait prédominer la contemplation sur l'action, le voir surl'agir.

Aristote et la tradition grecque faisaient de la science une activité libre et désintéressée, n'ayant d'autre but que de comprendrele monde, d'en admirer la beauté.

La vie active est conçue comme coupée de la vie spéculative, seule digne non seulement des hommes, mais des dieux. Descartes subvertit la tradition.

D'une part, il cherche des « connaissances qui soient fort utiles à la vie », d'autre part la science cartésienne ne contemple plus les choses de la nature, mais construit des objets de connaissance.

Avec le cartésianisme, un idéal d'action,de maîtrise s'introduit au coeur même de l'activité de connaître. La science antique & la philosophie chrétienne étaient désintéressées ; Descartes veut, lui, une « philosophie pratique ».

« Ce qui n'est pas seulement à désirer pour l'invention d'une infinité d'artifices qui feraient qu'on jouirait sans aucune peine des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s'y trouvent,mais principalement aussi pour la conservation de la santé [...] » La nature ne se contemple plus, elle se domine.

Elle ne chante plus les louanges de Dieu, elle est offerte à l'homme pour qu'il l'exploite et s'en rende « comme maître & possesseur ». Or, non seulement la compréhension de la science se voit transformée, mais dans un même mouvement, celle de la technique.

Si la science peut devenir pratique (et non plus seulement spéculative),c'est qu'elle peut s'appliquer dans une technique.

La technique n'est plus un art, un savoir-faire, une routine,elle devient une science appliquée. D'une part, il s'agit de connaître les éléments « aussi distinctement que nous connaissons les métiers de nos artisans ».

Puis « de les employer de même façon à tous les usages auxquels ils sont propres ».

Il n'est pas indifférent que l'activité artisanale devienne le modèle de la connaissance.

On connaît comme onagit ou on transforme, et dans un même but.

La nature désenchantée n'est plus qu'un matériau offert àl'action de l'homme, dans son propre intérêt.

Connaître et fabriquer vont de pair. D'autre part, il s'agit « d'inventer une infinité d'artifices » pour jouir sans aucune peine de ce que fournit la nature.

La salut de l'homme provient de sa capacité à maîtriser et même dominer techniquement,artificiellement la nature. Ce projet d'une science intéressée, qui doive nous rendre apte à dominer et exploiter techniquement une nature désenchantée est encore le nôtre. Or la formule de Descartes est aussi précise que glacée ; il faut nous rendre « comme maître et possesseur de la nature ».

« Comme », car Dieu seul est véritablement maître & possesseur.

Cependant, l'homme est ici décrit comme un sujet qui a tous les droits sur une nature qui lui appartient (« possesseur »), et qui peut en faire ce que bon lui semble dans son propre intérêt (« maître »). Pour qu'un tel projet soit possible, il faut avoir vidé la nature de toute forme de vie qui pourrait limiter l'action de l'homme , et poser des bornes à ses désirs de domination & d'exploitation.

C'est ce qu'a fait lamétaphysique cartésienne, en établissant une différence radicale de nature entre corps & esprit.

Ce qui relèvedu corps n'est qu'une matière inerte, régie par les lois de la mécanique.

De même en assimilant les animaux àdes machines, Descartes vide la notion de vie de tout contenu.

Précisons enfin que l'époque de Descartes est celle où Harvey découvre la circulation sanguine, où le corps commence à être désacralisé, et les tabous touchant la dissection, à tomber.. »

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