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Que vaut une preuve contre un préjugé ?

Publié le 16/04/2009

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  • Rappel de l'analyse du sujet :

 
- De l'analyse de la formulation du sujet, nous avons vu qu'il ne peut s'agir de montrer uniquement la supériorité de la preuve sur le préjugé d'un point de vue théorique. Ce serait éviter le problème que pose la question, à savoir : que se passe-t-il lors de la confrontation réelle entre preuve et préjugé ? La préposition « contre « indique bien, en effet, un rapport de simultanéité et d'opposition qui ne peut avoir lieu ailleurs que dans la réalité (voir la métaphore de la rencontre de football par exemple). On est presque dans un combat « au corps à corps «, au sens où l'on peut imaginer une discussion animée, avec des éclats de voix, des échauffements, des postures, des grands gestes...
- Dans l'analyse des termes, nous avons pu constater que, de par leurs caractéristiques propres, preuve et préjugé sont radicalement éloignés (universel / particulier, rationnel / affectif, réfléchi / irréfléchi, etc.).
Ces deux premières phases de l'analyse ont permis de comprendre le sens de la question et ce qu'on nous demande.
- Enfin, de l'analyse des présupposés et de l'intérêt du sujet, nous avons appris que le préjugé renferme une certaine capacité de résistance qu'il ne faut pas négliger. Il est retors à la preuve et transforme la réalité en sa faveur. Mais la preuve n'est pas vaine pour autant et conserve toujours son pouvoir de fonder des « vérités « : c'est ce que nous montre l'étude des trois exemples traités lors de la phase de repérage de l'intérêt du sujet. Il y a donc une tension dans la réalité qui conduit à formuler deux idées contradictoires... Ces deux dernières phases d'étude du sujet ont favorisé l'éclosion et la formulation du problème : il s'agit en l'occurrence du heurt entre la capacité de résistance du préjugé et les atouts ou qualités dont dispose la preuve pour combattre ce même préjugé. Le sujet invite donc à se pencher sur le caractère hermétique du préjugé, et sur les stratégies que doit déployer à partir de là celui qui détient des preuves. 
  • Introduction :

     L'histoire de l'homme montre que la vérité a toujours fini par s'imposer avec le temps : l'héliocentrisme que soutenait Galilée, malgré le dogme religieux du géocentrisme qui dominait à l'époque, est resté et restera éternellement. La raison, preuves à l'appui (et notamment grâce à cette invention du télescope), a vaincu ce préjugé religieux.
     Pourtant, Galilée en a payé le prix (il fut mis en résidence surveillée). Ceci montre que le préjugé, profondément enraciné en l'homme, a la vie dure et résiste même aux évidences rationnelles.
Que vaut donc une preuve contre un préjugé ?
Pour répondre à cette question, il faut se demander si la résistance du préjugé ne cache pas, plutôt qu'une simple ignorance, un refus de reconnaître l'évidence, c'est-à-dire un mensonge à soi-même... Quelle(s) stratégie(s) celui qui plaide la cause de la raison doit-il alors adopter ? Doit-il, pour chasser le préjugé, chercher à susciter l'adhésion du plus grand nombre en jouant sur le fait que la preuve est universellement valable et intelligible (elle s'adresse à la raison en chacun de nous)... ou bien doit-il s'attaquer au préjugé en révélant son fond inconscient et en remontant à ses racines psychologiques (dans le cas du dogme du géocentrisme défendu par l'Eglise, c'est le désir de voir l'homme au centre de l'Univers, puisque l'homme est créature de Dieu) ?
  • Enjeu :

 
     Il ne peut suffire, comme on le voit, de reconnaître en théorie la supériorité de la preuve sur le préjugé sans se soucier de ce qui a lieu dans la pratique, « sur le ring «, à l'endroit même de la confrontation entre preuve et préjugé. Si la raison ne daignait descendre dans l'« arène « pour affronter le préjugé, elle le laisserait proliférer. Il s'agirait d'un aveu de défaite de sa part. Il est donc question de cerner le pouvoir et les limites de la raison d'un point de vue pratique.  
 
     Par ailleurs, il était possible, en soulignant plus encore l'idée de mensonge à soi-même qui caractérise le préjugé, de se demander quelle est la responsabilité de l'homme par rapport à ses préjugés. Si, en effet, au nom d'un préjugé, l'homme est capable de tout nier en bloc (comme le montre le préjugé racial), c'est peut-être parce qu'il choisit de mentir ou « s'adonne « au mensonge. Ce dernier n'est ni une maladie, ni une fatalité... Il semble plutôt se rapporter invariablement à la même chose : l'expression de sentiments cachés ou refoulés...
  • Remarque importante :

La manière dont on pose la problème, et avant cela : la manière dont on lit la question posée, sont essentielles !! C'est par là qu'on « trace les rails « de la réflexion à venir et parvient à dessiner les contours du corps de la dissertation (= le plan).

« La manière dont on pose la problème, et avant cela : la manière dont on lit la question posée, sont essentielles !!C'est par là qu'on « trace les rails » de la réflexion à venir et parvient à dessiner les contours du corps de ladissertation (= le plan).

Développement : I] La preuve ne vaut rien contre le préjugé puisqu'elle ne peut rien contre lui : l'homme qui a des préjugés refuse dese soumettre aux règles élémentaires de la raison.

En droit, la preuve est universelle : elle parle à la raison qui est en chacun de nous.

Pourquoi n'est-elle pasreconnue par celui qui possède des préjugés ? D'où vient la capacité de résistance du préjugé ? Nous verrons danscette partie que le préjugé ne s'inscrit pas sur le terrain de la raison, mais répond à une logique passionnelle.

Il estdonc en quelque sorte « immunisé » contre le pouvoir de la preuve.

a) Première protection : celui qui a des préjugés fait passer ces derniers pour des « opinions ».

Ce faisant, ilaffirme que toutes les opinions sont égales et se défend en prônant la « liberté d'opinion ».

Ceci le met horsd'atteinte des arguments rationnels.

Il n'a pas besoin de se justifier, de rendre compte de ce qu'il dit (puisqu'àchacun son opinion : on est libre de penser ce qu'on veut).

C'est pourquoi Sartre dit : « Ce mot d'opinion fait rêver.[...] Il suggère que tous les avis sont équivalents, il rassure et donne aux pensées une physionomie inoffensive enles assimilant à des goûts.

»b) Seconde protection : le préjugé est hermétique à la raison parce qu'il provient de la structure affective mêmede l'être.

C'est aussi ce qui lui confère son si grand sentiment de certitude : « Si donc l'antisémite est [...]imperméable aux raisons et à l'expérience, ce n'est pas que sa conviction soit forte ; mais plutôt sa conviction estforte parce qu'il a choisi d'être imperméable ».

Le préjugé est au fond une passion qui commande des réactionscorporelles manifestes.

L'homme homophobe se sent plus que mal à l'aise à côté d'un autre homme qui a des alluresefféminées, il ne peut supporter cette présence qui est vécue comme une atteinte à sa virilité, une dégradation del'image de la masculinité.

Il ne peut le toucher, de peur d'être lui-même « contaminé » par ce qu'il considère commeune maladie, ou du moins comme une « perversion sexuelle ».

Il y a là un processus de diabolisation qui signale laprésence d'un affect caché.

Sartre donne un autre exemple : celui d'une personne antisémite qui, du fait de sahaine viscérale du Juif, fut frappé d'impuissance sexuelle le jour où il apprit que sa femme l'a trompé avec un Juif !Le fait que le préjugé soit une passion rend celui qui le défend fermé à tout discours rationnel ; il lui donne cetteattitude légère et moqueuse qui jette le discrédit sur celui qui, en face, a fait le choix de raisonner.

c) S'adonner à la passion plutôt qu'à la raison est un choix ! Avoir des préjugés, ce n'est pas être ignorant decertaines évidences ou de certains faits.

Si celui qui a des préjugés est capable de nier la réalité à ce point, c'estparce qu'il se ment à lui-même, il est de « mauvaise foi ».

Il y a à l'origine un choix : de la même manière, dit Sartre,que « nous devons consentir à la colère pour qu'elle puisse se manifester, et que, suivant l'expression si juste, on semet en colère, nous devrons convenir que l'antisémite a choisi de vivre sur le mode passionné.

» Pourquoi suivre sespassions plutôt que sa raison ? Il y a fort à parier que ce choix est lié à certains intérêts inexprimés et cachés...

Ilest connu par exemple que, dans le préjugé racial, la figure toute faite de l'étranger « envahisseur » et « sansrespect » pour la culture du pays d'accueil constitue un prétexte à déverser des frustrations accumulées et venuesd'ailleurs.

C'est la logique du bouc-émissaire ! Il y aurait pour l'antisémite un gain à croire que tous les Juifs sont desvoleurs qui détruisent le patrimoine de son cher et doux pays.

Ceci est valable aussi pour les préjugés homophobeset misogynes.

Transition : La preuve qui s'adresse à la raison humaine ne peut qu'échouer à combattre le préjugé puisque celui-cise moque du sérieux qu'on accorde aux mots et aux discours rationnels.

Mais peut-on en rester là ? Ce constatd'échec, qui établit la ruine de la raison, ne dessert-il pas les idéologies de tout bord ? II] Dénoncer la manipulation des faits à laquelle procède celui qui a des préjugés afin de remonter auxracines inconscientes du préjugé Ce qui fait la force du préjugé, c'est sa capacité à nier l'évidence, qu'il s'agisse des sens ou de la raison, et ceen vertu de son ancrage dans le domaine affectif et passionnel.

Comment peut-on mettre en évidence le rapportentre la capacité de négation du préjugé et ses origines psychologiques en présentant sur des preuves ? a) L'homme guidé par le préjugé fait malgré tout un effort d'argumentation en faisant référence à des faits soi-disant « objectifs ».

C'est là un point de départ pour celui qui détient des preuves, car il peut y avoir enfin uneouverture au dialogue.

En cherchant à établir des preuves, l'homme qui a des préjugés montre qu'il peut argumenter,il pose une première exigence rationnelle, et laisse à son interlocuteur la possibilité d'en faire autant.

Que peut-onalors faire avec des preuves sachant cela ?b) On pourrait montrer au raciste que le concept de « race » n'a aucune pertinence à partir des preuves quefournissent les sciences modernes, que ce soit d'un point de vue génétique (où tout génome humain comprend lemême nombre de chromosomes), ou d'un point de vue anthropologique (qui nous apprend que les croyances destributs du fin fond de l'Afrique ne sont pas niaises mais ont une fonction sociale évidente).

Mais il vaut sans doutemieux se pencher sur la manière dont les préjugés déforment les faits, présentés alors comme des « preuves ».Sartre là encore donne de bons exemples : une femme lui explique qu'elle a eu des démêlés avec des fourreurs etajoute : « ils étaient tous Juifs », et Sartre de se demander : « Mais pourquoi a-t-elle choisi d'haïr les Juifs plutôt. »

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