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QUELLES SONT LES CONDITIONS SPIRITUELLES DES RAPPORTS ENTRE LES PERSONNES ?

Publié le 14/06/2009

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La relation avec autrui fait partie intégrante de la condition humaine. Tous les philosophes contemporains y insistent et avec raison : je suis avec autrui et par autrui, je ne puis — isolé des autres — me réaliser comme existant. « Le moi n'existe que dans la réciprocité avec l'autre, écrit GUSDORF, le moi isolé n'est à vrai dire qu'une abstraction. « Dans un livre au titre significatif : La réciprocité des consciences, M. NÉDONCELLE considère la communication des consciences comme le fait primitif de la nature humaine. Il écrit : « Le moi n'est lui-même que par autrui, les consciences sont l'une en l'autre et l'une pour l'autre... La personnalité est non pas atomique, mais collégiale. « Que le lien entre les personnes humaines soit un fait, une structure première et fondamentale, c'est possible, mais cela n'exclut pas les difficultés de celte relation; c'est pourquoi il nous faut en examiner les conditions non plus extérieures, mais spirituelles. a) La présence d'autrui et la loi d'amour. La présence d'autrui est un fait, encore faut-il que nous évitions de considérer les autres comme des objets du monde physique. MARTIN BUBER a montré que pour traiter autrui comme il convient, il fallait substituer la relation Je-Tu à la relation Je-Cela, en d'autres termes le rapport sujet-sujet au rapport sujet-objet. La communication authentique suppose un dialogue entre le moi et le toi, un effort pour former ou retrouver le nous de la conscience collégiale ou intersubjective. Il est donc indispensable de prendre conscience d'autrui comme d'un autre moi susceptible d'aimer et d'être aimé. Il va sans dire, en effet, que l'amour est l'indispensable condition d'une telle réciprocité des personnes. Comme le dit G. MADINIER : « L'amour est essentiellement inventeur du toi... Le toi et le moi ne préexistent pas à l'amour : ils sont constitués par lui, qui invente le toi. C'est le nous qui est premier. « Il faut faire en sorte que le moi et e toi existent réciproquement l'un pour l'autre, et même l'un par l'autre.

« naturellement la pareille, sans y mettre aucune intention malveillante, mais en vertu des structures mêmes de laréalité humaine.

Le commerce des consciences n'est pas une communication, c'est un duel où les libertésrespectives se croisent comme des épées, où les moi se réduisent en esclavage et se transfixent en objectité (enétat d'objet), c'est pourquoi il y a une infernalité de l'autre : l'enfer, c'est les autres, s'écrie un personnagede Huis-clos.Seul l'amour pourrait dominer cette situation fâcheuse, mais il n'est jamais qu'un échec.

Si j'aime, je dépossèdel'autre de sa liberté et si je suis aimé j'en suis dépossédé moi-même.

L'amour consiste à conquérir la liberté d'autruipour n'être pas gêné par elle, pour éviter d'être par elle dénaturé en objet.D'un certain côté je pourrais souhaiter que l'amour que l'autre me porte me fonde et me justifie, mais c'estprécisément impossible : je ne puis me justifier que moi-même, je ne puis compter sur l'autre pour me sauver etcroire en moi, je suis abandonné à la solitude existentielle absolue.

Bien plus, sous le regard de l'autre je me senscoupable et condamné.

Pas de rémission : nous ne pouvons que nous faire souffrir les uns les autres.Celui qui aime veut être tout au monde pour l'être aimé niais c'est impossible : la personne aimée ne saurait utilisersa liberté à s'aliéner, à se captiver elle-même; le voulût-elle, elle ne pourrait le faire : la liberté est incessible et nese donne pas.

Reste qu'on peut consentir à se laisser traiter en objet par la personne aimée, mais il en résulte lespires dégradations et la chute dans l'en-soi des choses inférieures à la conscience.De la sorte, la communication des consciences est vouée à l'échec et SARTRE souscrirait sans peine à ce mot deHEGEL : « chaque conscience poursuit la mort des autres consciences ». e) Discussion de la thèse sartrienne. Nous ne retiendrons que quelques-unes des objections appelées par la thèse sartrienne :• Au cri : « l'enfer, c'est les autres », on peut opposer le mot prêté à GABRIEL MARCEL à l'issue d'une représentationde Huis-clos : « Eh bien, pour moi les autres, c'est le ciel.

» Les autres peuvent être pour nous, nous pouvons êtreles uns à l'égard des autres, des occasions, des instruments de grâce et de salut, naturel ou surnaturel.

L'amour estbien la justification d'un être par un autre être : il nous est possible de donner à l'autre une raison de vivre ou mêmede constituer en personne sa raison de vivre.

L'expérience humaine le prouve directement.• Aux yeux de SARTRE, l'échec de l'amour rend impossible la communication des consciences mais celle-ci existe belet bien et, par contre-coup, on est en droit de se demander si la négation de l'amour n'est pas chez lui une idéepréconçue, directement issue de ce fond de pessimisme et de nihilisme que la conscience contemporaine porte ensoi depuis la mort de Dieu, annoncée par NIETZSCHE.• Il est vrai que les consciences s'opposent dans une certaine mesure, ne fût-ce qu'en affirmant leur originalitérespective, mais il ne s'ensuit pas qu'elle se nient et se détruisent mutuellement.

L'altérité est essentielle à la naturehumaine : c'est elle qui permet précisément la rencontre et l'amour.

« Il y a plus de perfection dans la pluralitéharmonieuse que dans la solitude », écrit NÉDONCELLE.

La réciprocité des consciences nous montre que la sociétédes personnes est une unipluralité, un concert où s'harmonisent les voix diverses, une réalité spirituelle où les moiréalisent à la fois leur existence originale et leur liaison profonde. f) Le lien perdu et retrouvé. Jetées dans la multiplicité, l'altérité, la séparation et la solitude, les consciences individuelles peuvent avoirl'impression d'être condamnées à l'incommunicabilité.

Il n'en est rien pourtant et la réflexion philosophiqueprolongeant l'expérience humaine retrouve facilement le lien qui était d'abord perdu.• Nous passerons sur la solidarité sociale : elle est évidente mais elle nous laisse encore à la surface du problème.• Tous les hommes participent d'une même nature fondamentale dont ils sont les représentants et les détenteurs : ilest donc possible de retrouver, au-dessous des différences individuelles, l'identité spécifique qui rétablit l'unitéfoncière de leur statut métaphysique.

Les consciences communiquent parce qu'elles portent en elles une communeessence, un ensemble d'attributs qui définit l'être de l'homme pris dans son universalité.• Pour entrer en relation, les consciences n'ont pas besoin de sortir d'elles-mêmes : c'est à l'intérieur de la personneque retentit l'appel des autres personnes, c'est à l'intérieur du Cogito que se découvre la présence de l'être dans saplénitude, l'infinité de l'esprit dont participent tous les sujets pensants.

Notre plus profonde intimité est à la foisuniverselle et singulière : c'est la marque même de l'esprit.• Pour communiquer, les consciences doivent découvrir une source commune dont elles procèdent, un sommet quiles unisse parce que vers lui convergeraient leurs regards, un pôle d'attraction qui infléchisse dans le même sens leslignes de leur vocation spirituelle.Les philosophes ont plusieurs principes d'union à nous proposer : la raison, la considération de la dignité humaine etdes autres valeurs, le passage par l'absolu; ils ne sont pas exclusifs mais c'est la relation à l'absolu qui nous semblela condition la plus profonde de la communication des consciences.

Non pas un absolu abstrait invoqué comme unsimple principe d'explication, mais Dieu même, conçu ou plutôt rencontré comme la Personne suprême, par lamédiation de qui les consciences se retrouvent et communient dans la spiritualité.

L'enseignement de saint PAULselon lequel nous sommes tous les membres vivants du corps mystique du Christ peut être repris et transposé sur leplan purement philosophique : la communion humaine s'effectue en Dieu et par Dieu, que nous soyons ou nonconvaincus de son existence, ou bien alors elle n'est qu'une illusion, dont se bercent les consciences altérées demusique et d'amour mais à jamais emmurées dans leur solitude.Approfondissant la relation du je au tu, spécifiquement humains, BUBER y découvre une relation plus profonde, celledu moi humain au toi divin, au tu éternel, transcendant mais intérieur, dont saint AUGUSTIN avait déjà dit qu'il étaitplus intérieur que mon intimité même (interior intimo meo).Analysant la notion de solitude, BERGSON écrit : « C'est dans l'amour de Dieu que se fondent les amitiés parfaites etque disparaît tout à fait l'illusion d'isolement.

». »

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