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Qu'est-ce que l'expérience ?

Publié le 17/02/2004

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On ne rattrape le manque d'expérience de l'âge tendre qu'avec l'émiettement, l'étalement dans l'espace de l'étendue contractée dans le temps : le jeune homme ne peut faire figure d'homme expérimenté que s'il a voyagé à travers le monde, en sorte que ses pérégrinations lui apportent un peu de la patine de l'âge mûr. L'expérience entre donc non par les livres ou l'étude, mais bien par les sens : Quiconque a beaucoup vu Peut avoir beaucoup retenu... Cependant, quel est le contenu de l'expérience vulgaire ? Quelles leçons peut-on en tirer ? L'empiriste - médecin ou paysan, pédagogue ou artisan - n'aboutit qu'à une sorte de conception privative : il ne faut jamais trop compter sur les hommes, pense le sens commun. Et l'ensemble du dictionnaire des « idées reçues » chères à Flaubert, les truismes et lapalissades empiriques reviennent à dire que tout arrive, même et surtout l'inattendu, comme l'exception confirme la règle. On croirait entendre quelque boutade pirandelienne : chacun sa vérité. Aussi Brunschwicg notait-il, non sans humour, que l'expérience voulait tout dire, puisque à chaque vérité s'opposait une contre-vérité : les apophtegmes du sens commun se contredisent tous. L'expérience de la vie courante est un tissu de contradictions et d'absurdités plus ou moins cohérentes. Le praticien ne cherche pas à comprendre pourquoi l'acuponcture a réussi dans trois cas sur cinq.

« doute ajoute-t-il qu'une telle épreuve élargit ou enrichit.

Aussi l'expérience ne serait-elle pas tout entière dans lamorne passivité de l'épreuve immédiate.

Car, telle quelle, désordonnée, protéiforme et vide, l'expérience recouvretout et n'aboutit à rien.

Elle désigne tout ce que l'on veut lui faire désigner.

Une telle expérience ne voudrait riendire. Aussi a-t-on pu assister à une étrange évolution terminologique, et ce mot d'expérience — après avoir désigné lesfaits dans leur passivité amorphe — a-t-il pris le sens d'activité intérieure et spontanée, en se modifiant dans unsens dynamique.

Pour Socrate, pour Descartes et pour Kant l'expérience est activité.

Mais plus encore pour Kantque pour Descartes, et plus chez Maine de Biran que chez Kant .

Il y a de nombreux textes dans les Prolégomènesoù Kant, assimilant expérience et phénomènesinsiste sur « le fertile Bathos de l'expérience ».

Mais il semble bien quel'expérience intérieure du « sens intime » joue un rôle plus important que le simple contenu de la vision.

Au fur et àmesure que l'idée d'expérience s'intériorise, elle devient en même temps dynamique et opérationnelle.

Tandis quel'expérience objection était subie ou constatée, l'expérience subjection est agissante et accomplie.

On n'a plusd'expérience : on la fait.

Ainsi Socrate faisait-il peut-être déjà l'expérience intérieure de son moi à travers le Gnothiseauton; mais il y avait déjà dans la connaissance de soi par soi une sorte de conscience « éprouvante » et nonéprouvée, d'expérience constituante et non pas constituée.Toute expérience est expérience de quelque chose ; mais l'analyse du cogito cartésien nous montrerait un contenuidentique.

Descartes essaye de réduire son champ d'expérience à la tabula rasa.

Il pratique le vide mental et chassede son esprit toute connaissance externe.

Le voici seul avec son propre esprit.

Il y a longtemps qu'il a révoqué endoute les connaissances sensibles.

Il ne reste au fond de son moi qu'une seule et unique expérience : celle de sapropre pensée.

La notion d'expérience intérieure s'éclaire singulièrement à la lumière du cogito.

Il ne s'agit pasd'ailleurs de l'expérience d'un homme unique ou singulier : sed quid sum ? se demande Descartes.

Je ne suis pasDescartes, mais bien res cogitans, une chose qui pense.

C'est par la médiation de la conscience active queDescartes a pu posséder l'expérience ou la connaissance de soi.

Pour lui, l'experientia doit d'ailleurs céder le pas auxexperimenta : il ne professe que le plus profond mépris pour cette « expérience » simple ou observation empirique duinonde : et certes l'épreuve de sa pensée ne se présente pas sous laexterne-interne, que le vocabulairephilosophique ~f dénomme expérience. Leibniz disait que le concret n'est tel que par l'abstrait.

Ainsi, l'expériencesensible, ou élémentaire, apparaissait comme opposée au conceptd'inexpérience ; l'expérience du moi se présentait plutôt comme le contrairede la raison : la notion d'expérience pure, ou celle d'expérience totale, nesaurait s'opposer qu'à l'idée de système, ou de théorétique.

L'expérience n'esttelle que par la théorie.

Et le dépassement du dualisme ou de la disjonctionsujet-objet peut seul nous fournir la notion d'expérience véritable : car si l'ona pu dégager les « variétés de l'expérience religieuse », comme on a distinguéles différents types d'expérience morale ou scientifique, il n'est d'expérienceréelle que singulière au singulier.

Après l'effort criticiste et positiviste pourretrouver sous le conceptuel un empirique véritable, la phénoménologie seprésente comme une recherche du fait primitif, de la connaissance la plusoriginelle, et plus fondamentale encore qu'elle n'apparaissait sous l'expériencecartésienne ou kantienne.

Car l'expérience kantienne reste, malgré les effortsultérieurs de l'opus postumum pour dépasser cette étape, une expériencegénérale conçue dans l'unité universelle et synthétique des principes.

Lesperceptions les plus variées se rattachent donc à un schématisme : et celasuffirait à ruiner le caractère de prétendue originalité de l'expérience (ilfaudrait reprendre un à un les Principes a priori de la possibilité de l'expériencedans la déduction).

Chronologiquement (der Zeit nach) aucune connaissancene la précède : mais Kant ne rend aucun compte de cette pureté première del'expérience originelle. Dans Erfahrung und Urleil, I Husserl dit excellemment que nous comprenons le monde de notre expérience comme un« vêtement d'idées » que nous avons jeté sur lui.

Ainsi, en effet, la science construit-elle son expérience ordonnée,schématique, géométrique en recomposant les faits les plus simples et en préfabriquant les données immédiates.L'expérience scientifique est une fausse expérience ; la découverte de l'expérience par les philosophies rationalistesse présente comme une invention, et non comme une découverte authentique.

L'erreur de l'expérience reconstituée,c'est qu'elle devient prédicative et judicative, au lieu de rester préjudicative et non-prédicative.

C'est précisémentl'erreur dénoncée lorsque l'on réfléchit sur l'irréfléchi.

L'expérience n'est pas une attitude réflexive : elle estessentiellement spontanéité jaillissante.

Sans doute Hegel pouvait-il déjà dire que la philosophie kantienne était unephénoménologie.

Mais il n'attribuait pas au terme le sens que lui donne la pensée de l'existence, cette sorted'empirisme métaphysique lié au sentiment de l'inquiétude humaine.

Car, pour Husserl, la notion d'expérience rejointces Erlebnisse, ce vécu, ce prédonné qui ne sauraient être conçus que par référence à l'ego.

L'effort husserlien seprésente tout entier comme un retour aux sources véritables de l'expérience : et il semble bien qu'il faille dépasserl'opposition néo-scolastique de l'a priori et de l'a posteriori, l'expérience s'élève chez Husserl dans « l'émergence d'unego meditans qui n'a point part à sa propre praxis ».

Mais cet ego pur doit s'élargir, car le sens concret et journalierde l'expérience nous oriente bien plus « vers le comportement pratique et évaluant » que « vers le comportementjugeant et connaissant ».. »

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