Devoir de Philosophie

Rousseau: Nature humaine et situation historique

Publié le 27/02/2008

Extrait du document

rousseau
... L'homme, dites-vous, est tel que l'exigeait la place qu'il devait occuper dans l'univers. Mais les hommes diffèrent tellement selon les temps et les lieux qu'avec une pareille logique on serait sujet à tirer du particulier à l'universel des conséquences fort contradictoires et fort peu concluantes. Il ne faut qu'une erreur de géographie pour bouleverser toute cette prétendue doctrine qui déduit ce qui doit être de ce qu'on voit. C'est l'affaire des castors, dira l'Indien, de s'enfouir dans des tanières, l'homme doit dormir à l'air dans un hamac suspendu à des arbres. Non, non, dira le Tartare, l'homme est fait pour coucher dans un chariot. Pauvres gens, s'écrieront nos Philopolis d'un air de pitié, ne voyez-vous pas que l'homme est fait pour bâtir des villes ! Quand il est question de raisonner sur la nature humaine, le vrai philosophe n'est ni Indien, ni Tartare, ni de Genève, ni de Paris, mais il est homme. J.-J. ROUSSEAUPeut-on définir l'homme à partir de la situation qu'il occupe dans le temps et l'espace, et de la version particulière de l'existence qui s'y rattache ? Rousseau répond par la négative, dans la mesure où il semble convaincu qu'on risquerait alors de généraliser abusivement des données particulières. Il en appelle donc à une exigence critique et réflexive : tout raisonnement sur la nature humaine doit s'affranchir selon lui des fausses évidences engendrées par des situations historiques ou géographiques particulières. Il faut donc proscrire la généralisation abusive qui entendrait «tirer du particulier l'universel».
rousseau

« comme réalité dont il faut rendre compte, la diversité de fait des situations des hommes, et des civilisations danslesquelles s'organisent leurs existences.

S'il vise l'universel, le philosophe doit certes donner un statut à cettediversité, ne pas la méconnaître : dès lors, il doit s'efforcer de s'affranchir non des particularités de sa situationspatio-temporelle, mais des représentations spontanées qui peuvent s'y attacher.

C'est notamment de cesreprésentations que relèvent les généralisations abusives, et ce que Marx appelait les hypostases idéologiques(hypostase : fait de placer au-dessus, d'absolutiser).

Un travail critique et réflexif est donc nécessaire pour sedélivrer soi-même de telles tendances.

La question la plus générale de l'éthique philosophique peut montrer lechemin, du moins sur le plan de l'action : qu'est-ce qui vaut pour tout homme ? Cette question est liée à larecherche de la vérité, et met enjeu une autre interrogation, décisive elle aussi : qu'est-ce qui peut être reconnucomme vrai par tout homme ? La raison rapproche les hommes, alors que leurs passions et les particularismestendant à les opposer.La diversité, interrogée à partir de ces deux questions, doit être redéfinie dans la perspective d'une réflexion surl'unité de la condition humaine - soit qu'elle en procède selon un processus positif de diversification, soit qu'elle secomprenne par rapport à elle comme en référence à un horizon, à une fin idéale.

Toute la difficulté réside, commenous l'avons vu, dans la conception d'une démarche propre à affranchir des situations relatives et desaveuglements, ou des étroitesses idéologiques, qu'elles tendent à déterminer.

Est requise en premier lieu l'affirmationde la liberté de jugement, comme possibilité de se mettre à distance des représentations les plus spontanées, afinde cultiver une recherche raisonnée de l'universel.

Le mérite de Rousseau est de définir une exigence - se placer dupoint de vue de tout homme -, et de situer l'objet d'une anthropologie philosophique à la hauteur de cette exigence.Dans le Discours sur l'origine des langues (Chapitre VIII), Rousseau suggère une des modalités de la distanciationcritique nécessaire pour assumer l'exigence évoquée : observer les différences et viser l'universel à partir de leurprise en compte, car les propriétés communes à tous les hommes ne peuvent être véritablement définies que surcette base : « Pour étudier l'homme, il faut apprendre à porter sa vue au loin ; il faut d'abord observer lesdifférences pour découvrir les propriétés.

»On peut bien sûr objecter qu'un inventaire des différences réelles n'épuise pas le possible, dès lors qu'on admetl'existence de la liberté humaine.

Du moins cet inventaire permet-il de saisir comme telles les particularités, etd'éviter les généralisations abusives évoquées plus haut.

C'est sans doute en ce sens que Rousseau entendait sonrôle critique et démystificateur.

La liberté humaine, liée chez lui à la perfectibilité, constitue le principe même dedépassement de ce qui est, de l'invention de nouvelles façons d'être.

L'idée que l'homme peut se faire de son propreaccomplissement n'est sans doute pas séparable de ce qu'il est ici et maintenant, c'est-à-dire des formes prises parson existence réelle.

Mais elle ne l'est pas non plus de ce qu'il peut être, c'est-à-dire d'autres formes possibles, àengendrer.

La variété des conditions faites à l'homme n'est donc pas seule en cause : il y a aussi la variation quel'initiative humaine peut provoquer en agissant sur ces conditions.

( 'est pourquoi une anthropologie ne peutconduire à une sorte de relativisme sociologique ou ethnographique, qui prétendrait dessiner tout le possible à partirde ce qui est réalisé, et conclure à une diversité radicale des hommes à partir de la diversité effective de leursconditions d'existence.

Aux multiples facettes du différencialisme racial ou social répond la tranquille affirmation duphilosophe qui rappelle l'unité du genre humain selon la «vérité de l'intérieur» qu'est l'universalité de la raison :« Dans l'homme, on pourrait aussi distinguer les espèces logiquement parlant, et si on s'arrêtait à l'extérieur, ontrouverait encore, en parlant physiquement, des différences qui pourraient passer pour spécifiques.

Aussi se trouva-t-il un voyageur qui crut que les Nègres, les Chinois, et enfin les Américains n'étaient pas d'une même race entreeux ni avec les peuples qui nous ressemblent.

Mais comme on connaît l'intérieur essentiel de l'homme, c'est-à-dire laraison, qui demeure dans le même homme, et se trouve dans tous les hommes, et qu'on ne remarque rien de fixe etd'interne parmi nous qui forme une sous-division, nous n'avons aucun sujet déjuger qu'il y ait parmi les hommes,selon la vérité de l'intérieur, une différence spécifique essentielle...» (LEIBNIZ, Nouveaux Essais sur l'entendementhumains, III, chapitre VI.

- Édition Garnier-Flammarion, page 283.)La raison propre à l'homme n'est pas seulement théorique, mais aussi pratique, comme le faisait remarquer Kant.

Entant que telle, elle est l'autre nom de la liberté.

« La connaissance physiologique de l'homme vise à explorer ce quela nature fait de l'homme, la connaissance pragmatique, ce que l'homme, être libre de ses actes, fait ou peut et doitfaire de lui-même.

»(Anthropologie du point de vue pragmatique, Préface).. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles