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ROUSSEAU: Passage de la nature à la société civile

Publié le 28/04/2005

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rousseau
Ce passage de l'état de nature à l'état civil produit dans l'homme un changement très remarquable, en substituant dans sa conduite la justice à l'instinct et donnant à ses actions la moralité qui leur manquait auparavant. C'est alors seulement que, la voix du devoir succédant à l'impulsion physique et le droit à l'appétit, l'homme, qui jusque-là n'avait regardé que lui-même, se voit forcé d'agir sur d'autres principes, et de consulter sa raison avant d'écouter ses penchants. Quoiqu'il se prive dans cet état de plusieurs avantages qu'il tient de la nature, il en regagne de si grands, ses facultés s'exercent et se développent, ses idées s'étendent, ses sentiments s'ennoblissent, son âme tout entière s'élève à tel point que, si les abus de cette nouvelle condition ne le dégradaient souvent au-dessous de celle dont il est sorti, il devrait bénir sans cesse l'instant heureux qui l'en arracha pour jamais et qui, d'un animal stupide et borné, fit un être intelligent et un homme. ROUSSEAU

Pourquoi le passage se fait-il ? Comment se fait-il ? Se fait-il dans un seul sens (ce qui poserait la question non pas d’une progression qui semble aller de soi mais au contraire la question d’une régression) ? Ces questions possibles sont tues au profit de la seule description des effets de ce passage, inscrits sous la thèse générale de changement (le passage produit le changement).  Le texte présenté est extrait de « Du Contrat Social « (1762), livre i, chapitre VIII : « De l ‘état civil «.

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« celle de principes (« autres principes » qui ne sont plus du domaine de la nécessité, mais maintenant du domaine dela légalité).Cette élévation à la dignité de sujet amène l'homme à se dédoubler.

Jusqu'alors il « collait » à lui-même : il neregardait que lui-même.

Maintenant il est en distance avec lui, dans la mesure où ce ne sont plus l'instinct etl'impulsion physique qui le font agir de l'intérieur.

On passe du regard (où on se voit soi-même) à la consultation dela raison (ce qui suggère une rencontre, un colloque, pour le moins une conversation à deux, un dialogue),consultation qui vient se substituer au monologue – ou plutôt au discours muet du penchant qu'il suffit d'écouterpour le suivre.

Ici on pense au contraire à un débat –où ce qui est le plus raisonnable l'emporte.

Certes, cette raisonest en l'homme, elle est intérieure à lui, mais jusqu'alors elle était seulement en germe. 2) Une fois accomplie la partition entre l'avant et l'après, vient la seconde partie du texte qui est le temps du bilan,construit sur la balance des avantages perdus (« il se prive… de plusieurs avantages ») et des avantages gagnés («il en regagne de si grands »).

Les avantages dont l'homme naturel se prive (dans ce passage inéluctable) ont beauêtre « plusieurs », Rousseau ne les indique pas.

Au contraire, les avantages regagnés sont affirmés être si grandsque non seulement les pertes sont compensées, mais que le bilan, comparant les débits et les crédits, estnettement positif.Les facultés, qui n'étaient qu'en germe, s'exercent dans le commerce que les hommes entretiennent entre eux.L'exercice lui-même entraîne le développement.

L'âme, composée à la fois des idées –l'homme est un être de raison-et des sentiments –l'homme est aussi un être de cœur- s'élève.

La classification que l'on percevait auparavantcomme un avant et un après, laisse la place ici à une topologie : un état premier (état de nature) sur lequel s'établitun état second (état civil).

Tout ce qui signifie d'abord le développement quantitatif (développer, s'étendre) prendson sens comme un progrès qualitatif (s'ennoblir, s'élever).L'homme tenait à la nature, comme à un sol, il s'en détache et opère une élévation toute spirituelle : le haut estvalorisé, comme si l'homme accédait à la divinité.

Cette signification religieuse est marquée par le « il devrait bénir ».Mais ce n'est pas un prêtre ou un dieu qui doit bénir.

C'est l'homme lui-même qui devrait, dans un regard rétrospectifsur sa propre histoire, « louer » (c'est le sens premier de bénir : dire du bien) ce passage, responsable de tant dechangements.

« Cet instant heureux » peut s'entendre comme un passage soudain, instantané- la réflexion deRousseau étant plus celle d'un moraliste que d'un historien qui chercherait au contraire à définir dans le temps lesétapes progressives de l'évolution historique.Mais « instant » peut s'entendre aussi, dans un sens plus classique, comme moment proche, comme si ce passage àl'état civil s'était produit dans un temps relativement récent.

Cependant la symbolique de l'élévation « au-dessus de» ne va pas sans la chute « au-dessous de ».

Chute qui n'est pas celle, religieuse, d'un péché originel mais qui estdégradation forgée par l'homme lui-même et dont il est entièrement responsable.Autrement dit, l'homme peut faire, il fait « souvent » un mauvais usage de sa condition nouvelle, un mauvais usagede la société.

Il n'est pas inscrit comme un développement nécessaire que s'installent l'inégalité, l'opposition ou lalicence : au contraire, l'homme est responsable de son histoire, de son élévation, comme de sa chute.

Plus il s'élève,plus il réalise l'humanité en lui ; plus il s'abaisse, plus il dégrade son humanité, au point d'atteindre une inhumanitéinférieure même à l'animalité qui est celle de l'état de nature.Mais ce passage assure pour l'essentiel le changement de l'animal engourdi (« stupide ») à l'être intelligent (capablede lier les notions).

Ce qui est limité (« borné ») devient ouvert.

Telle est la définition de l'homme : un être sanslimites (le contraire d'un « animal borné »), capable de dépasser toutes les bornes fixées d'abord par la nature.Cette infinitude de l'homme est la condition d'un progrès indéfini. Il est intéressant de voir comment Rousseau a la capacité de présenter « dialectiquement » la situation de l'hommesocial, manière de rappeler que l'inégalité sociale n'est pas un fait de nature, mais un fait lié à un certain état social,qui n'a aucune nécessité.Ce texte insiste sur les avantages que procure la civilisation, ce qui montre bien que Rousseau n'a jamais affirméque l'état de nature avait existé ni a fortiori prôné un retour à un tel état.

C'est seulement dans l'espace social queles hommes peuvent actualiser leur perfectibilité, accéder à une existence d'une plus grande moralité et devenirvraiment « hommes », pour le meilleur et pour le pire. ROUSSEAU (Jean-Jacques). Né à Genève en 1712, mort à Ermenonville en 1778. Il n'est pas dans notre propos de résumer la vie de Rousseau, sou séjour aux Charmettes chez Mme de Warens, àMontmorency chez Mme d'Épinay, ses travaux de musique, sa persécution par les catholiques comme par lesprotestants, son voyage en Angleterre après sa fuite de Suisse ou l'hospitalité du marquis de Girardin à Ermenonville.Non plus que la mise à l'Assistance Publique des cinq enfants qu'il eut de Thérèse Levasseur, ou sa brouille avecGrimm et Diderot.

Jean-Jacques Rousseau fut seul, chassé de partout, et c'est en méditant sur son existencemalheureuse, qu'il a pu énoncer sa doctrine de philosophe.

Sa philosophie n'est pas un système, mais une vision de. »

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