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Rousseau versus Hobbes

Publié le 27/02/2008

Extrait du document

rousseau
"Il y a d'ailleurs un autre principe que Hobbes n'a point aperçu et qui, ayant été donné à l'homme pour adoucir, en certaines circonstances, la férocité de son amour-propre, ou le désir de se conserver avant la naissance de cet amour, tempère l'ardeur qu'il a pour son bien-être par une répugnance innée à voir souffrir son semblable. Je ne crois pas avoir aucune contradiction à craindre, en accordant à l'homme la seule vertu naturelle, qu'ait été forcé de reconnaître le détracteur le plus outré des valeurs humaines. Je parle de la pitié, disposition convenable à des êtres aussi faibles, et sujets à tant de maux que nous le sommes, vertu d'autant plus universelle et d'autant plus utile à l'homme qu'elle précède en lui l'usage de toute réflexion, et si naturelle que les bêtes mêmes en donnent quelquefois des signes sensibles (...). Tel est le pur mouvement de la nature, antérieur à toute réflexion: telle est la force de la pitié naturelle, que les moeurs les plus dépravés ont encore peine à détruire, puisqu'on voit tous les jours dans nos spectacles s'attendrir et pleurer aux malheurs d'un infortuné tel, qui, s'il était à la place du tyran, aggraverait encore les tourments de son ennemi. Mandeville a bien senti qu'avec toute leur morale les hommes n'eussent jamais été que des monstres, si la nature ne leur eût donné la pitié à l'appui de la raison: mais il n'a pas vu que de cette seule qualité découlent toutes les vertus sociales qu'il veut disputer aux hommes." ROUSSEAU

Dans ce passage du Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, Rousseau aborde le versant anthropologique qui sous-tend sa théorie politique. En s’opposant à la théorie hobbesienne de la nature conflictuelle des rapports humains, exposée dans Léviathan dès 1651, l’auteur articule sa thèse autour de deux qualités qu’il considère présentes dès l’état de nature : l’amour de soi et la pitié, lesquelles préserveraient les hommes d’une guerre perpétuelle de tous contre tous : ces qualités innées sont les mères de la sociabilité humaine.

L’intérêt du texte repose sur la façon dont l’auteur résout la contradiction existante entre sa conception politique et celle de Hobbes en brisant non pas l’ensemble de la théorie anthropologique de son adversaire, mais en altérant par deux vertus cardinales l’ensemble de l’édifice adverse.

Quelle est la nature des relations intersubjectives que Rousseau s’emploie à analyser dans l’état de Nature ? En quoi s’avèrent-elles fondamentales dans le dessein politique ?

[on respectera la partition du texte tel qu’il est ici présenté]

 

rousseau

« à celui qui l'exerce.

Hobbes, aux yeux de Rousseau, est ainsi « le détracteur le plus outré des valeurs humaines »car il n'existe, dans sa pensée de l'état de nature, aucune vertu désintéressée chez l'homme : il n'est guidé que parla volonté, à tout prix, de se conserver.

La pitié, chez Rousseau, ne peut être le fruit d'aucun calcul : elle « précède[…] l'usage de toute réflexion ».

Cette mention pourrait surprendre car elle est employée ici comme soulignant unequalité positive : mais la réflexion, chez Rousseau, est déjà synonyme de la dépravation de l'homme.

Dans l'état denature, l'homme ne réfléchit pas mais vit selon ses besoins, à l'écoute de son cœur et non de sa raison.

De plus,réfléchir, c'est le plus souvent exercer des comparaisons, ériger la légitimité d'une pensée au profit d'une autre, etc.La pitié, elle, est une vertu innée, comme l'écho d'une voix de la Nature qui s'exprimerait en l'homme.

Elle est parailleurs « utile » puisqu'elle est synonyme de la préservation de tous par tous, puisque aucun homme ne peut laissersouffrir son semblable sans éprouver de l'empathie.

Le rapprochement avec les bêtes peut surprendre, puisque latradition philosophique fait de l'homme une exception dans la nature : il est « animal politique » pour Aristote, etc'est certainement le terme d'animal qui est le plus souvent critiqué : l'homme, être de culture et de nature, quitend sans cesse à réduire l'importance de cette dernière origine, est ici par Rousseau rehaussé par cette attache àla nature qu'est la pitié.

Si les bêtes montrent parfois de la pitié, elles qui ne vivent que dans la médiateté, dans lesouci du pur instinct de survie, c'est que cette vertu nous est dictée par la Nature directement, Nature innocenteet bienveillante.

On pourrait y voir, également, un clin d'œil à la théorie hobbesienne selon laquelle « l'homme est unloup pour l'homme » : dans le dire rousseauiste, le loup serait susceptible de pitié… Après avoir souligné l'origine et la force de cette vertu naturelle qu'est la pitié, Rousseau s'emploie à étudier sasurvivance dans la société de son temps, qu'il considère comme dépravée, et ce à plusieurs titres.

On pourraits'interroger sur la pertinence de l'exemple qu'il considère, celui des spectacles.

Pourquoi ne pas avoir choisi celui-cidans la sphère des rapports communs de la société civile ? C'est que le spectacle cristallise pour l'auteur une sériede critiques qu'il adresse à la société de son temps, notamment dans son Discours sur les Sciences et les Arts .

La scène, c'est le lieu de l'illusion, d'une double illusion, puisque non seulement les rapports « réels » dans la sociétésont pervertis par l'hypocrisie et l'amour-propre, mais la scène reporte ces rapports dans un espace privilégié,comme particulier dans la Cité.

De plus, aller au théâtre, dans la vision rousseauiste, ce n'est pas assister à unspectacle, mais exprimer sa volonté de voir et de se de se faire voir : c'est le règne de l'artifice.

Ainsi les spectaclesne constituent-ils que l'apposition d'un obstacle supplémentaire dans les rapports humains, c'est le lieu de latricherie et de l'argent.

Or, l'auteur souligne que même au spectacle on assiste de la part des spectateurs à desmouvements de pitié, preuve que cette vertu de la nature s'avère d'une force indestructible.

Même dans ce quenous savons être la facticité de l'action scénique, la pitié trouve à s'exprimer, comme si l'artifice était par là fendillé.C'est dans la dernière phrase du texte que se trouve le plus explicitement contenue la thèse de l'auteur : c'est de lapitié que découlent toutes les vertus sociales des hommes.

La référence à Mandeville précise cette dernière : cen'est pas dans l'exercice de la moralité que les hommes sont réellement bons.

En effet, dans l'état de nature décritpar Rousseau, les hommes primitifs ne sont à vrai dire ni bons ni mauvais, ils sont amoraux puisque vivant en accord avec la nature et ce qu'elle leur dicte.

Par ailleurs, les seuls principes moraux ne peuvent suffire à assurer lapaix entre les hommes.

Dans son écrit La Fable des abeilles , Mandeville s'emploie à démontrer qu'il n'existe pas d'actions viles ou bonnes en soi, mais qu'il faut les considérer à la lumière de ce qu'elles apportent à la société.Rousseau ajoute à la théorie de Mandeville que c'est précisément de la pitié que proviennent les actions bonnes, etqu'elle est au cœur de tout ce dont les hommes sont capables dans le but de ne pas nuire, de se préserver ou depréserver son prochain.

Dans le domaine pratique, il est à penser que cette conception rousseauiste s'exprimeraitpar la volonté de faire son bien en nuisant le moins possible à autrui.

Au terme de cette analyse, il est manifeste que Rousseau fait de la pitié la vertu cardinale de sa penséeanthropologique dont les conséquences politiques s'expriment pleinement dans l'affrontement avec la doctrinehobbesienne.

Tandis que ce dernier réduit la pitié à un rapport de force, Rousseau y voit une expression d'unvestige de l'état de nature, vestige qui nous rattache, dans une société viciée, à la pureté primitive et à latransparence des rapports humains.Cet élément ajoute à la compréhension du contrat social comme proposé par l'auteur dans son ouvrage éponyme :puisque l'empathie est possible, il n'est guère nécessaire de voir dans l'Etat une machine anonyme etessentiellement répressive.

Quant aux liens tissés entre les citoyens, on serait à même de penser, après la lecturede ce passage, qu'ils ne peuvent demeurer exclusivement dans la sphère du rapport de force et que la pitié participeencore au maintien de la paix dans la société civile.

ROUSSEAU (Jean-Jacques). Né à Genève en 1712, mort à Ermenonville en 1778. Il n'est pas dans notre propos de résumer la vie de Rousseau, sou séjour aux Charmettes chez Mme de Warens, à. »

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