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Savoir, est-ce pouvoir ?

Publié le 27/02/2005

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C'est le cas du savoir des spécialistes des langues mortes et plus généralement des philologues ou de ceux qui possèdent des connaissances littéraires fort étendues. L'histoire peut bien servir à l'action politique mais l'historien lui-même ne tire pas des résultats de ses recherches un pouvoir particulier. Les mathématiques, données, non sans raison, comme le type même du savoir, sont bien devenues l'instrument universel des sciences qui augmentent le pouvoir de l'homme ; mais, prises en elles-mêmes, elles ne procurent pas un pouvoir particulier à celui qui consacre sa vie à les étudier. C. Enfin, même lorsqu'il le conditionne, le savoir ne se transforme pas de lui-même en pouvoir. Sans doute, l'homme qui sait peut plus que l'ignorant, mais à science égale les capacités d'action peuvent être fort inégales. En effet, le savoir abstrait et théorique doit être adapté aux situations concrètes et pratiques. Or cette faculté d'adaptation est un don naturel que l'expérience peut développer : il ne s'apprend pas comme une formule de chimie. L'observation vaut dans les activités qui supposent des connaissances étendues dans le domaine des sciences de la nature : l'ingénieur ou l'architecte les plus inventifs ne sont pas nécessairement ceux qui obtenaient les meilleures notes dans les examens théoriques ; le diagnostic médical et la détermination de la thérapeutique qui convient dans un cas particulier supposent autre chose que la connaissance de la physiologie normale et pathologique. Elle vaut encore plus dans le domaine, ouvert assez récemment, qui relève des sciences humaines.
Contrairement à ses prédécesseurs qui cherchaient seulement à savoir, Bacon faisait de la science un moyen pour l'homme d'augmenter son pouvoir sur la nature. Cette conception d'un théoricien de la science qui n'était pas lui-même un savant est devenue assez commune. A notre époque où l'expansion industrielle exige de plus en plus de techniciens, elle semble s'imposer : le savoir, pense-t-on assez couramment, donne la mesure même du pouvoir d'agir sur la nature et d'organiser le monde pour le mieux-être de l'humanité ; c'est donc pour ce pouvoir, condition de ce mieux-être, qu'il faut chercher à savoir. Pouvons-nous accepter ces thèses sans réserves ?

« scepticisme, invention habile des savants »On peut d'ailleurs se demander si cette conception utilitaire à la science n'est pas conforme à la sagesse et s'il nefaut pas tenir que la science est pour l'homme et non pas l'homme pour la science.

Or quoi de meilleur pour celle-ciqu'une humanisation progressive de la vie grâce à une maîtrise de plus en plus complète des forces de la nature ?Voilà bien, il est vrai, un but immédiat de première importance, et peut-être le premier en importance.

Mais il reste àpréciser les caractères d'une vie vraiment humaine et à se demander si, en définitive, le savoir n'y doit pas primer lebien-être ? S'il en était ainsi, notre réponse devrait être profondément modifiée. B.

Pour la négative.

— « Primum vivere, deinde philosophari », répète le sens commun.

Comme l'art pour l'art, lascience pour la science ne peut servir de mot d'ordre que dans un milieu parvenu à un certain niveau de civilisationmatérielle et pour des individus dont les conditions d'existence sont suffisamment assurées.

Toutefois, la prioritémême que marque l'opposition « primum, deinde » le suggère, ce n'est pas vivre qui constitue la fin, mais philosopherou savoir : le vivre ou le bien-vivre ne sont qu'un moyen de quelque autre chose qui leur est supérieur, en particulierde la science.Effectivement, penseurs et savants ne manquent pas pour qui le savoir est à chercher indépendamment du pouvoirqu'il procure : « La science aussi bien que la morale, écrit Renan, a sa valeur en elle-même et indépendamment detout résultat avantageux ».

Et Poincaré : « On s'est étonné de cette formule : la Science pour la Science : etpourtant cela vaut bien la vie pour la vie, si la vie n'est que misère ; et même le bonheur pour le bonheur, si l'on necroit pas que tous les plaisirs sont de même qualité, si l'on ne veut pas admettre que le but de la civilisation soit defournir de l'alcool aux gens qui aiment à boire ».D'ailleurs « les découvertes scientifiques ont été faites pour elles-mêmes et non à cause de leur utilité, et une raced'hommes sans un amour désintéressé de la connaissance n'aurait jamais créé notre technique scientifique actuelle».

On l'a souvent .répété depuis Auguste Comte : le succès de la recherche est conditionné par le désintéressementdu chercheur. D'ailleurs, pour qui observe sans préjugé, ce désintéressement n'est pas le propre des théoriciens : il devient de plusen plus commun ; il suffit pour s'en rendre compte de l'intérêt que le grand public manifeste à l'égard de toutessortes de recherches scientifiques, y compris celles qui, par exemple en astronomie, ne comportent pasd'applications pratiques.

Comme le disait Bachelard aux Rencontres de Genève de 1952, il faut reconnaître, au fondde l'âme humaine « une volonté de connaissance, un devoir de connaissance ». Conclusion. — Le propre du philosophe est de poser des pourquoi.

Au « pourquoi savoir », il est sans doute assez commun de répondre : « pour pouvoir ».

Mais pourquoi pouvoir ?Pour être heureux », semble bien la réponse la plus naturelle.

Mais pourquoi être heureux ? L'esprit quelque peuexigeant hésite à faire du bonheur personnel une fin dernière, et il cherche au-delà.

Cet au-delà fait bien l'objet d'unsavoir, mais qui transcende celui qu'on oppose au pouvoir et dans lequel maint savant refuse de 'reconnaître unvéritable savoir.

Il importe cependant beaucoup plus que tout autre, ce savoir du sens de la vie, faute duquell'homme ne saurait faire un usage rationnel ni de ses pouvoirs ni de ses autres savoirs.. »

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