Sociologie de l'Action

« que, suivant une seule et même route, dont les différentes fractions sont plus ou moins avancées vers un but commun.

Du même coup, la sociologie- science tend à se trans­ former en sociologie-philosophie de l'his­ loire.

Des lois simples et grandioses - celles des trois états, relatifs aux façons de penser , celle du passage de l'activité militaire à l'activité industrielle - commandent le de­ venir de l'humanité , co nsidérée clans ses lignes directrices.

Ces lois constituent le fondement du déterminisme social, dont Montesquieu avait posé les bases, et du progrès, que Condorcet avait exalté, qu'il avait reconnu à la fois inévitable et indis­ pensable.

· L'esprit de la science moderne est-il bien celui qu'Auguste Comte définissait et qu'il avait l'illusion d'appliquer à la réalité so­ ciale ? Celle-ci doit-elle être comprise en sa totalité avant même que l'analyse en ait déchiffré pas à pas les éléments ? Est-il légitime d 'évoquer la société, celle de l'huma­ nité entière , au lieu d'observer modestement et de comparer les sociétés ? Il n 'est guère de sociologue aujourd'hui qui donnerait à de telles interrogations la réponse d'Auguste Comte.

La sociologie du fondateur du posi­ tivisme est une philosophie de l'histoire, inspirée par une conception totale et déter­ ministe de la réalité .

!\lais cette présocio­ logie n'en est pas moins, aujourd'hui encore, l'expression de deux intentions propres à la sociologie - esprit scientifique et spécificité du social - ainsi que des directions possi­ bles dans lesquelles le sociologue, par le fait de ses deux intention s, peut s'engager : science de la totalité sociale par opposition aux disciplines parcellaires comme l'écono­ mie politique, science elu mouv ement histo­ rique (dynamique) en même temps que de l'anatomie et de la physiologie de l'orga­ nisme social (statique).

La sociologie-philosophie d'Auguste Comte appartient à l'histoire ct il n'y a pas de so­ ciologie qui s 'attache à la lettre du posi­ tivisme.

En revanche, une doctrine, à peine postérieure, celle de Karl 1\Iarx, appartient encore à notre temps, an point de vue idéo­ log ique et même, partiellement, au point de vue scientifique.

En 1848, la doel ri ne dite matérialiste de l'histoire était, pour l'essen­ tiel, constituée bien que le premier tome du Capital n'ait paru qu'en 1867.

Or, Marx n'emploie pas le mol de sociologie et il s'est exorimé avec indifférence, hostilité ou mé­ pris au sujet d'Auguste Comte; le marxisme n'en est pas moins à l'origine d"un des grands courants de la théorie sociologique et, lui aussi , comme le positivisme d'Auguste Comte, se présente comme un complément à l'économie politique ou une correction de celle-ci.

En effet, la théorie marxiste, relative à la société moderne , peut être considérée comme une sorte de macro-économie (étude du sys­ tème économique dans son ensemble) en fonction de données structurelles d'ordre so­ cial.

Dans la fameuse introduction à la Contribution à la critique de l'économie politique, Marx distingue les régimes écono­ miques, en apparence selon les relations qui s 'établissent entre les hommes au tra­ vail (esclavage, ser v age, mode asiatique de production, salariat ct finalement socia­ lisme) Mais ces relations sont le critère des régimes parce qu'elles déterminent la ma­ nière dont la plus-valut: est prélevée et répartie.

Il y a plus-value dès lors que la valeur créée par le travailleur dépasse ce dont celui­ ci a besoin pour vivre.

L'esclavage a été rentable dès le jour où l'esclave a produit plus qu'il ne consomme .

Le propriétaire entretient ses esclaves qui sont sa pro­ priété, mais il garde pour lui le produit de leur travail et ce produit vaut plus que le cotit de l'entretien.

Dans le mode de produc­ tion asiatique, c'est la bureaucratie d'Etat qui prélève, répartit et garde partiellement pour elle-même la plus-value.

Enfin, dans le régime du salariat, celui que nous con­ naissons sous le nom de capitalisme, la réalité demeure la même, bien qu 'elle soit camouflée sous une apparence de liberté et d'égalité.

L'ouvrier est libre ct il contracte libre­ ment avec son employeur sur le marché du travail.

Il lui loue non son travail mais sa force de travail.

Le contrat libre se présente sous une forme équitable.

L'ouvrier reçoit un salaire en contrepartie du travail qu'il fournit.

!\lais les dés sont pipés : ce que l'ouvrier reçoit comme salaire n'est pas l'équivalent de la valeur qu'il crée mai~ l'équivalent de la valeur des marchandises nécessaires à sa vie et à celle de sa famille.

L'écart entre la valeur du salaire et la va­ leur de la production constitue la plus­ value que le propriétaire des moyens de production s'approprie.

Un tel mode d'analyse combine inévita­ blement ce que nous appelons aujourd'hui analyse économique et analyse sociologique .. »