Devoir de Philosophie

Suffit-il de connaître le Bien pour le faire ?

Publié le 24/02/2004

Extrait du document

.../...

[Connaissant le Bien, l'homme demeure libre d'agir comme bon lui semble. C'est avec le judéo-christianisme qu'apparaît la notion de volonté libre. Dieu ayant quitté le monde des hommes, il leur a laissé la liberté de choisir entre le Bien et le Mal.]

Adam et le Mal Avant de manger le fruit défendu, celui de l'arbre de la connaissance du Bien et du Mal, Adam et Eve vivaient heureux. Le péché primordial accompli, l'homme devint une créature faillible, consciente d'elle-même, responsable de ses actes. En abandonnant l'homme à son destin, Dieu lui offrit, en guise de punition, le pouvoir d'être libre de faire le Bien ou le Mal. Connaître le Bien n'empêche pas de faire le mal involontairement homme est un être de passions, de désirs. Il est gouverné par des forces irrationnelles qui peuvent lui échapper.

Si diverses que soient les définitions du Bien, les moralistes sont d'accord pour affirmer qu'il se présente à nous sous deux traits opposés; le Bien est objet d'aspiration, il nous exalte et nous réjouit, mais en même temps, il nous abaisse et nous mortifie, car son accomplissements exige de nous de fréquents sacrifices.

Suffit-il de connaître le Bien pour le faire ? Il n'est pas étonnant que les réponses varient selon qu'on est plus sensible aux aspects attractifs et séduisants du Bien et qu'il est reconnu sous les traits d'un bonheur que l'on ne saurait pas ne pas vouloir, ou selon qu'il apparaît sous les espèces austères d'un devoir auquel on peut faillir ou d'une vertu que l'on peut, après tout, ne pas épouser. Le débat est ouvert entre Socrate, qui estime que « nul ne fait le mal sciemment «, et la conscience moderne, plus éveillée que l'antique à la transcendance du Bien et à la part de responsabilité personnelle que nous avons dans l'échec moral.

I. — Thèse: il suffit de connaître le Bien pour le faire.

II. - Réserves sur la thèse socratique.

III. — On connaît le Bien dans la mesure où on l'accomplit.

« C'est dans le « Gorgias » de Platon que l'on trouve exposé le paradoxe socratique : « Nul n'est méchantvolontairement ».

Cette thèse surprenante de prime abord doit être reliée aux deux autres : « Commettrel'injustice est pire que la subir » ; « Quand on est coupable il est pire de n'être pas puni que de l'être ».L'injustice est un vice, une maladie de l'âme, c'est pourquoi, nul ne peut vraiment la vouloir (on ne peutvouloir être malade), et la punition, qui est comparable à la médecine, est bénéfique à celui qui la subit.L'attitude commune face à la justice est résumée par Polos dans « Gorgias » et Glaucon au livre 2 de la «République ».

Les hommes souhaiteraient être tout-puissants et pouvoir commettre n'importe quelle injusticepour satisfaire leurs désirs.

Il vaut donc mieux, selon eux, commettre l'injustice que la subir.

Cependant,comme subir l'injustice cause plus de dommage que la commettre de bien, les hommes se sont mis d'accordpour faire des lois en vue de leur commune conservation.

Nous ne sommes donc justes, en vérité, que parpeur du châtiment.

Si nous pouvions être injustes en toute impunité, comme Gygès qui possède un anneau lerendant invisible, nous agirions comme lui : nous ne reculerions devant aucune infamie pour nous emparer dupouvoir, devenir tyran.

Bref, nous serions injustes pour satisfaire nos désirs.Platon réfute inlassablement cette thèse, cette hypocrisie qui consiste à ne vouloir que l'apparence de lajustice, l'impunité, pour pouvoir accomplir n'importe quelle injustice.Le nerf de l'argument consiste à montrer que, en réalité, « Commettre l'injustice est pire que la subir ».

C'estpar une ignorance du bien réel que les hommes souhaitent pouvoir être injustes.

Parce que nous confondonsle bien apparent (le plaisir, la satisfaction immédiate des désirs les plus déréglés) avec le bien réel, la santé del'âme.

Nous croyons vouloir commettre l'injustice, alors que c'est impossible, que « nul n'est méchantvolontairement », parce que nous voulons.

Etre injuste est faire son malheur en croyant se faire plaisir.L'antagonisme entre le point de vue habituel et la position de Socrate est magnifiquement exposé par le débatentre Calliclès et Socrate, dans le « Gorgias ».

Calliclès prétend : « Voici, si l'on veut vivre comme il faut, ondoit laisser aller ses propres passions, si grandes soient-elles, et ne pas les réprimer .

» Socrate pense, lui,que l'accès au bonheur, au Bien, « cela veut dire être raisonnable, se dominer, commander aux plaisirs et auxpassions qui résident en soi-même ».Pour tenter de réfuter Calliclès, Socrate lui montrera que son idéal de mode de vie ressemble bien à une «passoire ».

L'intempérance consiste à accumuler des plaisirs qui n'ont aucune consistance, à ne pas savoir semesurer, se satisfaire, mais au contraire à être habité par des désirs tels que pour les combler il faut «s'infliger les plus dures peines ».

L'erreur fondamentale de Calliclès est de confondre l'agréable et le bon, deconfondre la démesure des désirs déréglés et irrationnels avec l'équilibre de la satisfaction véritable.C'est que l'injustice est une maladie de l'âme, et plus précisément encore la subversion d'un ordre.

Lemagnifique mythe de l'attelage ailé dans le « Phèdre » décrit d'une façon imagée ce qu'est l'âme.

Elle estcomparée à un attelage composé d'un cocher et de deux chevaux.

L'un est blanc, docile, l'autre est noir, àles oreilles poilues et se montre sourd aux injonctions du cocher ; il menace ainsi l'équilibre de l'attelage.

Il y adonc trois instance dans l'âme.

Le cocher figure la raison, qui a pour tâche de diriger.

Le « cheval blanc »représente le siège de l'honneur, de la colère.

Le « cheval noir » symbolise l'âme concupiscible, siège desdésirs, et plus précisément des désirs liés au corps.

Or ces désirs ont pour caractéristiques d'être multiples,tyranniques, de ne rien respecter (Platon anticipe dans certaines descriptions sur tous les cas cliniquesdécrits par Freud).Or, la justice consiste d'abord dans le respect de la hiérarchie naturelle des trois instances, qui doivents'ordonner sous la conduite de la raison.

Se dominer, être maître de soi, tenir en bride le « cheval noir », c'estfaire régner l'ordre.

L'injustice consiste au contraire dans la subversion de cet ordre, dans la prédominanceque l'on accorde à l'âme concupiscible.

C'est une maladie, une perversion, qui remet en cause la totalité del'individu.

Dans cette tyrannie du supérieur par l'inférieur, l'homme devient esclave des désirs sans frein ; c'estpourquoi il est nécessairement malheureux.

Il devient incapable de jugement, d'honneur, et, au lieu d'êtremaître de soi, il est soumis à ce qu'il y a de plus bestial en lui.Céder aux passions, au désir, rêver d'être tyran est donc en fait rêver d'être impuissant, confondre ce qui estagréable avec ce qui est bon.

Nul ne peut être véritablement maître des autres sans être d'abord maître desoi.

Le projet d'hommes comme Calliclès est contradictoire : on ne peut à la fois être soumis à ses propresdésirs et libre, être maître et serviteur.Le « Grogias » filait la métaphore des deux tonneaux.

L'homme maître de lui-même, ordonné, est celui qui saitcombler ses désirs sans leur céder, accorder au corps ce qu'il faut.

L'homme tyrannique poursuit sans trêvedes plaisirs nouveaux, comme on verse du liquide dans un tonneau ; mais ce que ne sait pas cet être de ladémesure, ce qu'il ne veut pas voir, c'est que sa conduite déréglée en fait un « tonneau percé ».

Il peut sansfin accumuler les plaisirs : il ne sera jamais comblé, et s'épuisera en pure perte.Le dérèglement est donc d'abord une faute de jugement : c'est une incompréhension de ce qu'est le bienvéritable, une confusion entre bon & agréable.

Ainsi, il est clair que « Nul n'est méchant volontairement ».Éclairer les intelligences, c'est ipso facto redresser les conduites.Mais puisque l'injustice est une maladie de l'âme, une perversion de l'ordre, alors la punition est le remèdeapproprié.

Le châtiment est conçu par Platon comme analogue du médicament.

On accepte la souffrancephysique pour se soigner, pour réparer un mal, parce qu'on sait que le traitement enduré est finalementbénéfique.

Il doit en aller de même pour l'âme : la souffrance endurée, là encore, doit être comprise commenécessaire au rétablissement d'un équilibre que l'injustice avait compromis.

C'est pourquoi, aussi paradoxaleque paraisse la thèse, « il est pire de ne pas être puni que de l'être ».

L'homme injuste impuni est semblableau malade abandonné à son sort.Platon inaugure la grande tradition de l'ascétisme.

En un sens, toute notre morale est restée imprégnée desthèses platoniciennes, et il n'y a guère que Nietzsche pour avoir reconnu en Calliclès un modèle.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles