Sur quoi fonder l'autorité politique ?
Publié le 30/11/2025
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Sur quoi fonder l’autorité politique?
Introduction
Traditionnellement, l’autorité est un pouvoir fondé.
En effet, tandis que le pouvoir est la
capacité matérielle de contraindre quelqu’un à faire quelque chose, l’autorité est la légitimité
reconnue à exercer le pouvoir.
Par exemple, un père n’a pas seulement le pouvoir de
contraindre son fils à aller à l’école, il en a l’autorité.
Cependant, un homme armé n’a pas
l’autorité de tuer un autre homme dans la rue, mais il en a le pouvoir.
Cette autorité est
politique quand elle est relative à l’organisation et à l’exercice du pouvoir dans une société
organisée.
Celle-ci exige donc que sa légitimité soit reconnue, qu’elle ait un fondement,
autrement elle ne serait que pouvoir arbitraire.
En politique, un fondement n’est pas un
principe premier au sens métaphysique, mais un élément essentiel sur lequel s’appuie tout
le reste du système, qui permet de reconnaître un pouvoir comme non arbitraire.
Pourtant,
un fondement présente toujours une difficulté intrinsèque, c’est-à-dire que, quelle que soit sa
nature, il ne vaut qu’à partir de présupposés qui peuvent être contestés.
S’il est
démontrable, il n’est plus fondement, mais conséquence ; s’il ne l’est pas, il peut être
contesté.
Un fondement ne peut prétendre à une évidence absolue qui s'impose à tous.
Dès lors, une ambiguïté se fait jour : d’un côté, il est absolument nécessaire que l’autorité
politique soit fondée pour qu’elle puisse se dire autorité et ne pas relever de l’arbitraire.
D’autre part, ce fondement semble toujours contenir en soi quelque chose de non prouvé et,
plus précisément, d’arbitraire.
Au fond, la question implicite dans ce sujet concerne la
capacité de l’autorité politique à ne pas se fonder sur l’arbitraire.
Autrement dit, l’autorité
politique repose-t-elle sur un fondement dont l'arbitraire doit être simplement celé? Au
contraire, l’arbitraire cause-t-il l’impossibilité de fonder toute autorité politique? Ou, pour le
dire d’une façon qui envisage déjà une voie tierce, et telle sera notre question directrice,
peut-on imaginer un fondement de l’autorité politique qui ne soit pas arbitraire?
Afin d’éprouver cette alternative et de tenter d’y apporter une réponse, nous allons suivre le
plan suivant : premièrement, nous allons voir comment l’autorité politique a longtemps
reposé sur un fondement transcendant, et que c’est à travers une foi - laïque ou religieuse en ce fondement qu’elle a celé son arbitraire.
Il nous faudra cependant, dans un second
temps, radicaliser le problème et voir comment la modernité et son projet ont fait éclater
cette conception : du moment que ce fondement ne peut être prouvé, il ne peut fonder une
autorité.
Ainsi, l’autorité politique ne peut s’exercer que sur le vide créé par l’absence du
fondement.
Enfin, nous allons montrer que cette thèse ne fait que survoler le problème, et
qu’une autorité politique sans fondement n’est qu’un pouvoir arbitraire.
Par conséquent,
nous nous demanderons s’il n’est pas possible de concevoir autrement le fondement, dans
la recherche d’une transcendance qui n’est plus absolue, mais fondée dans le discours.
I - Le règne de Prométhée
Introduction
Nous avons donc convenu que toute autorité, pour être telle, a besoin d’un fondement sur
lequel appuyer l’exercice de son pouvoir.
Pour éviter un recours à l’infini (sur quoi se fonde
le fondement?), celui-ci doit être posé définitivement à la base du système qu’il prétend
fonder.
Ainsi, il doit transcender ce système de manière à être valide.
Cette transcendance
peut prendre trois formes principales : une transcendance interne (l’autorité se fonde sur
elle-même), une transcendance externe (elle se fonde sur Dieu ou un principe universel), et
enfin une transcendance relationnelle (elle se fonde sur un vide ou une distance instaurée
par la théologie chrétienne).
En même temps, ce fondement ne peut pas être questionné, au
prix de l’écroulement du système entier de l’autorité politique : il doit être accepté
universellement.
Autrement dit, ce fondement doit reposer sur la foi, qu’elle soit laïque ou
religieuse.
Voici un cas qui se présente toujours, comme il est évident, dans des termes
historiquement déterminés, mais qui suscite aussi, en même temps, questions d’ordre
théorique en général.
I.1 - Le fondement est intrinsèque à l’autorité
Dans un premier temps, nous allons voir comment l’autorité politique ne s’autorise que
d’elle-même, c’est-à-dire de son propre statut d’autorité.
Pour reprendre l'exemple
précédent, un père se justifie auprès du fils - quand il le contraint, par exemple, à aller à
l’école - en lui disant “je suis ton père”, ce qui, implicitement, veut dire “je suis l’autorité”.
L’autorité ne se justifie que par une tautologie : “l’autorité, c’est l’autorité” ; “le père, c’est le
père” ; “l’Empereur, c’est l’Empereur”...
Telle est la logique de l’argument d’autorité : le
prestige de l’auteur est proclamé tel qu’aucune contestation n’est possible.
Ici, le fondement
de l’autorité politique coïncide parfaitement avec l’autorité politique elle-même.
C’est le cas
du justitium : un mot latin qui désignait, dans la République romaine, l'arrêt du droit, une
situation particulière où le tumulte est décrété et les magistrats reçoivent plein pouvoir.
L’usage du mot justitium a profondément changé quand Rome est passée à l’Empire : il est
passé à désigner, en effet, les célébrations pour la mort de l’Empereur.
Ce passage
s’explique par le fait que, dans l’Empire, l’Empereur était le droit.
Par conséquent, il était
parfaitement sensé de dire que, lors de sa mort, le droit était suspendu, précisément parce
qu’il n’était plus là.
Le fondement de l’autorité politique est l’autorité politique elle-même, qui
s’incarne (dans le sens le plus littéral du terme) dans l’Empereur.1 En effet, la nature de
l’Empire est celle de augere [agrandir, développer] et cette nature est constitutive du concept
d’autorité : l’auctoritas est de celui qui auget, l’Empereur.
Dans cette configuration, l’Empire
(et l’autorité politique en général) n’a pas à chercher son fondement : il est son fondement.
Il
ne s’agit pas d’une transcendance extérieure, mais d’une transcendance incorporée dans
l’ordre politique lui-même.
I.2 - Le fondement est au-delà de l’autorité
Au-delà de cette tautologie, l’autorité s’affirme toujours en se référant (au moins
implicitement) au-delà d’elle-même, à ce qui constitue la source de son autorité.
L’argument
implicite du père lorsqu’il demande obéissance est que la nature et le droit - dit-on - lui
donnent l’autorité.
C’est le cas mis explicitement en évidence par le monarque chrétien, qui
puise la légitimité de son autorité dans le commandement divin : omni potestas a Deo [tout
pouvoir vient de Dieu].2 L’affirmation de la religion chrétienne porte avec elle des finalités qui
lui sont propres, sur lesquelles se fonde non seulement l’autorité religieuse, mais aussi
1
Giorgio Agamben, État d’exception, Paris, Éd.
du Seuil, coll.
« Homo sacer », 2,1, 2003
Bernard Baas, Problématiques philosophiques: 15 dissertations de philosophie à l’usage des
étudiants des classes préparatoires et des universités, Paris, H&K, 2013
2
l’autorité politique.
Le message chrétien repose sur des dogmes contenus dans les
écritures, qui ne nécessitent donc pas de discussion quant à leur légitimité, mais qui sont
valides absolument, parce qu’ils sont la parole de Dieu.
C’est une autorité par procuration :
l’autorité (politique) est fondée parce qu’une autorité supérieure (en ce cas, Dieu) veut ainsi.
C’est à cette logique que se réfère Thomas Hobbes dans son explication de l’autorité : “la
politique, grâce au christianisme, est «politique divine» : la raison politique est la réalisation
de la volonté de Dieu.”3
I.3 - L’autorité entre en relation avec le fondement
Hobbes inscrit le christianisme dans le temps qui s’ouvre après la fin de la politique menée
directement par Dieu à travers les rois d'Israël, qui sont ses intermédiaires sur Terre.
La
stratégie ambivalente de Hobbes, “est celle de développer le nominalisme vers une
conception transcendante de Dieu, qui ne peut être connu et peut seulement être honoré
avec l’obéissance publique à ses ordres ; et c’est aussi, en parallèle, de vider le monde de
toute trace de sacralité substantielle, et de montrer que ce vidage est le contenu authentique
du christianisme.”4 Jésus ouvre un temps nouveau, le présent, privé de toute sacralité.
Son
message est le plus radical : l’homme est libre, dans le temps entre la première et la
deuxième venue du Christ, Dieu n’intervient plus directement dans le monde des hommes.
Cependant, son seul commandement est celui de faire la paix.
L'autorité politique se fonde
donc déjà sur un vide, même si c’est un vide qui se base sur la parole de Dieu.
La politique
est légitime, non plus parce que Dieu intervient directement dans le monde à travers son
souverain, mais précisément parce qu’il ne le fait pas.
L’autorité politique doit répondre à son
seul commandement, qui est celui de faire la paix.
Conclusion
Dans la mythologie grecque, Prométhée est le Titan qui vole le feu de l’Olympe pour le
donner aux hommes.
Son nom l’indique, Prométhée est celui qui prévoit et qui projette.
L’idée d’une politique prométhéenne est l’idée d’une politique qui repose sur un fondement
transcendant qui la légitime.
Grâce à ce fondement, le règne de Prométhée peut savoir,
rappeler et prévoir (puisqu’un fondement garantit la stabilité, la continuité et la prévisibilité de
l’ordre politique).5 Nous avons vu comment ce fondement peut....
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