Dans cette perspective, il y a coïncidence,
dans les actions humaines, entre l'action illégale et l'action injuste, puisque
la justice se définit par le respect de la coutume incarnée par la loi.
2° Si la loi est fondée sur la justice, toute action illégale est
une action injuste
Il semble cependant possible de
penser que toute action illégale est injuste non pas parce que le juste
n'existerait pas en dehors de la loi, mais parce que la loi est ce qui incarne
la justice, en garantissant l'égalité et l'équité. Lorsque Platon décrit ce que
doivent être le gouvernement et les lois de la cité idéale, il envisage les lois
comme devant être fondées sur la justice. En effet, la cité doit être gouvernée
par les philosophes, qui ont atteint la connaissance des idées intelligibles du
bien et du juste. Les lois de la cité doivent donc garantir la justice : en ce
sens, une action qui serait illégale sans être injuste serait le signe que les
lois ne coïncident pas avec l'idée de justice, et qu'elles doivent être remises
en question. Justice et légalité ne sont pas deux domaines opposés, mais la loi
ne vaut qu'en tant qu'elle repose sur la justice, et ne doit donc pas punir une
action juste.
3° Il est juste de s'opposer à une loi injuste
Dire que toute action illégale
est une action injuste suppose que loi et justice coïncident parfaitement : mais
la réflexion même de Platon montre que cette coïncidence est le fruit d'une cité
idéale, et non des gouvernements réels. Ne faut-il pas alors, si l'on prend en
compte les lois existantes, affirmer qu'une action illégale peut être juste, au
sens où si la loi est mauvaise, elle en vient à punir des actions justes, et
qu'il est donc juste de s'opposer à elle ?
Rousseau,
dans Du contrat social, pense le bon gouvernement comme celui auquel
participent tous les citoyens, qui se donnent leurs lois par la volonté
générale. Il faut alors penser l'attitude qu'il convient d'avoir lorsqu'un tel
gouvernement n'est pas en place et que les lois sont mauvaises.
On peut penser que loi et justice se situent à des niveaux différents, la loi renvoyant à un ensemble de règles qui organisent la vie en commun, et la justice renvoyant à une morale, à un ensemble de valeurs. Cependant, il semble possible de rapprocher les deux notions si nous pensons que la loi est fondée sur la justice, notamment sur ses valeurs d’équité et d’égalité, qu’elle se donne pour but de garantir, et que la justice ne se définit pas seulement comme un principe moral, mais comme ce qui est conforme au droit et à la légalité. Se demander si une action illégale est une action injuste amène ainsi à s’interroger sur le degré de coïncidence entre les deux notions et sur le fondement de cette coïncidence. Peut-on penser que toute action illégale est injuste en vertu du fait que c’est la légalité qui définit la justice, ou bien en vertu du fait que la loi repose sur une justice préexistante ? Dans la même perspective, si nous soutenons que toutes les actions illégales ne sont pas injustes, cela signifie-t-il que la justice déborde nécessairement le plan de la légalité, et que la loi ne peut suffire à garantir la justice, dans la mesure où s’opposer à la loi peut sembler juste ? Nous verrons dans un premier temps que toute action illégale est une action injuste au sens où c’est la loi qui définit ce qui est juste. Nous verrons alors que nous pouvons accepter l’idée que toute action illégale est injuste en faisant au contraire reposer la loi sur la justice émanant de la sagesse morale. On pourra alors se demander si la justice ne doit pas garder une certaine indépendance par rapport à la loi, au sens où il peut parfois être juste de s’opposer à une loi mauvaise.