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« Un objet est pensé et non pas senti ». (Alain). ?

Publié le 10/06/2009

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alain

« Objet « (du latin objicere) désigne « ce qui est jeté devant «, ce dont la constatation impose une limite invincible à notre moi : en d'autres termes, ce qui se pose comme distinct de moi, comme une chose, avec une forme définie, que je retrouverai. Ainsi compris, l'objet paraît évidemment devoir nous parvenir par le chemin des sensations. Car n'est-ce pas par elles que nous sommes avertis de ce qui est extérieur à nous, de ce qui est rebelle à l'activité organisatrice de notre Pensée ? Aussi n'y a-t-il rien d'étonnant à ce que le sens commun identifie effectivement objet et donné sensoriel, jusqu'à croire que les sensations constituent purement et simplement les objets. — Pourtant à y bien réfléchir, les impressions sensibles sont des états du moi, leur diversité ne répond qu'aux diverses manières d'éprouver qui caractérisent un sujet, et c'est pourquoi, si nous étions réduits à l'appréhension de sensations à peu près pures, si nous assistions au défilé kaléidoscopique d'une série de taches colorées, nous ne ferions sans doute que vivre de telles impressions, que notre réflexion devrait reconnaître comme purement subjectives. Il manquerait en effet à un semblable afflux sensoriel, pour s'objectiver, un certain ordre d'unification, si humble fût-il : celui par exemple que nous admettons en parlant d'une « continuité colorée «. En somme, pour que nous pensions avoir affaire à un objet, il faut que nous nous trouvions en face d'une construction mentale constituant un tout et possédant une signification. Un objet ne se définit et ne se libère qu'en s'organisant.

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« pourtant, et en même temps, quelque chose de plus : l'Idée de son unité, de l'ordre identique de ses présentations,de la fixité de sa construction.C'est qu'en effet — et il faut voir là le fait essentiel — l'esprit ne va pas désarmé au devant des données sensibles.Il a des exigences de fixité que la variation incessante de sensations brutes déçoit.

Ce rouge qui pâlit, puis se fonden tons violâtres, cette droite qui s'incline, s'étire et se rétrécit.

tout cela le gêne, et cette fixité qu'il ne sauraittrouver dans les impressions mêmes, il la cherche dans leur groupement où persiste au moins une certaine stabilitédes rapports sous la perpétuelle modification des éléments.Ce toit, sous la variété des coloris et des lignes, restera toujours le même toit, cet arbre dont les jeux du vent et dela lumière font dix êtres différents restera toujours le même arbre, comme autant de thèmes principaux transposésen des tons variés.Ainsi la perception des objets traduit un besoin d'identité, elle traduit encore le besoin d'explication causale inhérentà l'esprit.Et nous prenons ici les termes « d'explication causale » dans leur sens plein.

Ce que désire en effet l'esprit quiconstruit des objets ce n'est pas seulement, une liaison nécessaire sous-tendant la diversité des aspects offerts parle spectacle de la nature, ce sont des entités productrices des impressions que nous éprouvons — résistances deschoses à nos efforts, enchantement ou gêne des lumières et couleurs, et tout ce qui surgit en nous, sans que lemoi puisse s'en attribuer l'origine.Ces impressions en effet, elles sont nôtres, ce sont des états de notre conscience, mais le sens commun exige queces données subjectives aient des « causes » indépendantes de nous et situées en dehors de nous : n'atteignons-nous pas là, avec cette nécessité de rejeter dans un monde dit « extérieur » la source de ce qui est témoignageconscientiel, l'essence même de la notion d'objet.Et nous n'avons encore jusqu'ici qu'une idée bien pauvre, bien incomplète de l'armature mentale soutenant l'édificedes choses.Entre la zone purement empirique née de l'accompagnement ordinaire de certains groupes de sensations et, la zonepurement formelle répondant à des exigences très larges de stabilité et d'explicabilité nous trouvons tout undomaine intermédiaire constitué non plus par les exigences fondamentales de la Pensée mais par des constructionsopérées sur l'expérience à partir de ces exigences mêmes.D'abord répertoire de situations dans l'espace et dans le Temps.

Il ne nous appartient pas ici de chercher si lesformes de l'Espace et du Temps sont apportées avec les sensations ou doivent être définies, à la manièreKantienne, comme des formes constitutives do la Pensée..

Il y a en effet quelque chose de certain, dont laconsidération seule nous importe, c'est qu'à l'intérieur de ces formes s'opèrent des élaborations de plus en pluscomplexes et qu'à travers les résultats de ces élaborations nous situons les objets.Nous ne construisons peut-être pas la profondeur, mais à tout le moins l'évaluons-nous, posons-nous des repèresnous permettant d'en apprécier l'importance; peut-être ne construisons-nous pas l'ordre du Temps, mais à tout lemoins le jalonnons-nous chacun à notre manière.

Au-dessus, au-dessous, en avant, en arrière, d'abord, ensuite,nous sont peut-être donnés.

sont peut-être sentis globalement et vaguement, mais il est certain que notre espriten fait l'abstraction et reconstruit à sa manière ce qu'il vient d'abstraire.

Or, c'est la série de ces relations spatialeset temporelles qui constitue la substructure de nos perceptions.Si maintenant nous nous éloignons de ces cadres encore très généraux de la Pensée pour nous acheminer vers desconstructions conceptuelles plus complexes, ne découvrirons-nous pas au sein des objets mêmes, comme autant delignes de clivage de l'Univers concret, le réseau sans cesse accru des relations découvertes par la Science ?Et d'abord l'armature de nos perceptions est faite en grande partie de lignes et de nombres.Nous voyons dans tel bureau moderne un volume cubique, dans l'orbite une pyramide quadrangulaire, dans la sectiond'un tibia une surface prismatique.

Nous n'hésitons pas à dire que nous apercevons six points sur la face supérieured'un dé, comme si notre oeil était capable de nous donner la notion géométrique de face, la notion numériqueobtenue en répétant six fois l'unité pour l'ajouter à elle-même.Mais nous ne nous bornons pas à enserrer les objets dans des schémas mathématiques, c'est encore au gré deconceptions empruntées à la Physique, à la Chimie, à la Biologie que nous unissons ou séparons les choses.

Nousrétablissons la continuité entre ces impressions lumineuses discontinues par lesquelles se traduit pour nous la chuted'un corps, de « ces deux idées du soleil toutes diverses, dont l'une tire son origine des sens et dont l'autre estprise des raisons de l'astronomie », non seulement nous choisissons scientifiquement la seconde, mais cette notionastronomique réagit sur l'impression sensorielle si bien que nous mêlons dans une vision unique une immense masseincandescente et un étroit disque lumineux.

Et à un point de vue analogue un individu n'est-il pas au fond uneabstraction ? Pourquoi séparer la feuille de la branche et la racine du tronc ? Pourquoi séparer l'oeil du visage et lapupille de l'oeil ?L'action, l'Art n'imposent-ils pas aussi à leur manière, des catégories constructrices de l'Univers, des intérêts, desrythmes, des groupes, des valeurs absorbant la matière sensible pour en faire un monde ?Il n'y a pas jusqu'aux mots, jusqu'aux organisations grammaticales qui ne constituent des pôles attractifs isolant,dispersant aussi, faisant naître les objets sous l'application d'un ordre, si bien qu'en somme les termes employés parPlaton se révèlent profondément justes : Les objets ne se réalisent que par « participation à des Idées ».

Lesombres de la caverne rie deviennent des choses qu'au moment où elles rencontrent les cadres relationnelssusceptibles de les sous-tendre.La plupart de ces cadres, il est vrai, ne sauraient être considérés comme innés; ils constituent tout simplement le «savoir », ils sont le résultat de la Pensée avant d'en devenir la substance; chaque construction mentale devient àson tour un instrument susceptible de s'appliquer à des constructions à venir, si bien que ces activitésorganisatrices, si elles n'ont pas leur source dans l'expérience, sont à tout le moins lourdes d'expérience et, separticularisant toujours davantage, s'adaptent toujours plus étroitement à des groupes d'impressions dont ellesfinissent, pour ainsi dire, par tracer la structure à l'avance.Or, tout ce que nous venons de dire jusqu'ici recouvre à peu près complètement le champ de la question, mais en. »

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