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Une activité inutile est-elle pour autant sans valeur ?

Publié le 29/03/2009

Extrait du document

• L'intitulé nous interroge sur une «activité inutile« - une fraction spéciale de l'ensemble des actes coordonnés de l'être humain ne représentant pas un moyen pour atteindre une fin et non subordonnée à un intérêt immédiat. On remarquera, dès l'abord, que la simple union de ces deux termes recèle quelque paradoxe. Quand on parle, en effet, d'activité, la finalité utile est, très généralement, sous-entendue. Ainsi les expressions d'«activité économique«, d'«activité industrielle«, etc., présupposent-elles ce qui est utile (c'est-à-dire dont l'emploi est efficace). Il y a donc, immanent à l'intitulé, quelque paradoxe initial. Mais quelle est, exactement, la question posée ? Il s'agit de savoir si cette fraction inutile de l'ensemble des actes coordonnés est, pour cela, dénuée de valeur, c'est-à-dire du caractère qui fait qu'on estime quelque chose. On remarquera que la question invite implicitement l'élève à s'interroger sur la valeur réelle de l'inutile, à dépasser le point de vue premier, valorisant la seule activité utile. Le sens du sujet est donc le suivant : une fraction désintéressée de l'ensemble des actes humains, ne se donnant pas comme moyen pour atteindre directement une fin, est-elle, pour cela, privée de tout caractère estimable ? • Or cette intitulé suggère un certain nombre de questions et d'interrogations, parmi lesquelles on peut noter celles-ci : l'enjeu pratique et utilitaire est-il bien toujours norme suprême ? Tout doit-il, dans le monde, servir à quelque chose ? Mais le problème fondamental est sans doute : qu'est-ce qui est constitutif de l'être même de l'homme, le travail et l'énergie informant les choses ou bien l'activité ludique dénuée de tout intérêt matériel ? Nous sommes renvoyés à la question de la nature et des authentiques besoins humains : à un problème anthropologique.

« Essayons donc de percer à jour les insuffisances de la thèse précédente.

Est-il bien vrai qu'une activité inutile soit,pour autant, sans valeur ?Tout d'abord, on remarquera que l'idée même d'«activité inutile» pourrait être approfondie : l'inutilité immédiate peutêtre le masque ou l'apparence d'une fin beaucoup plus profonde et cachée : ainsi le jeu, activité ne visant à aucunrésultat utile, s'exerçant spontanément, contribue, positivement, dans les faits, au fonctionnement de l'organisme :il permet le développement de certaines fonctions vitales.

Donc, on pourrait émettre l'hypothèse qu'une activitédésintéressée, sans but ni finalité définis, possède, néanmoins, une finalité profonde et, du même coup, une valeurcorrespondant à cette finalité secrète.

Le jeu, l'activité instinctive sans but défini, le loisir, conçu comme unensemble d'occupations auxquelles l'individu s'adonne, de manière désintéressée, etc., toutes ces pratiquespourraient se produire en fonction d'autre chose et répondre à certaines fins biologiques.

Dès lors, des activitésapparemment inutiles pourraient avoir pour fin (utile et profonde) la nécessité de délivrer d'un excédent de vitalité,de satisfaire les besoins de détente, etc.

Ainsi ces activités retrouveraient-elles, finalement, un autre type devaleur et seraient-elles, en fin de compte, dignes d'estime.Cet argument, sans être réellement dépourvu d'intérêt, présente l'inconvénient de subordonner, de nouveau, lavaleur à l'utilité.

Il se résume ainsi : une activité inutile peut être, en réalité, profondément «utile» et apte àcontribuer au bonheur de l'homme.

Donc elle est digne d'estime.

En réalité, ce que nous recherchons, c'est l'idéed'une valeur de l'inutile, en lui-même.

Creusons donc plus profondément le thème de l'inutile.A un deuxième niveau, on remarquera que des «activités inutiles» comme le jeu, le loisir, etc., s'accompagnentsouvent d'un sentiment ( le plénitude et de joie.

Or parler de joie, n'est-ce pas, implicitement, reconnaître que notre«être» s'accroît, progresse ? La joie, comme le disait Bergson, annonce toujours que la vie a réussi, qu'elle aremporté une victoire.

Une activité «inutile» connaissant la joie et nous faisant accéder à elle, nous signale doncnotre réussite.

Elle est donc promesse de «valeur».Mais de quel type de réussite s'agit-il ? Creusons, plus profondément, les caractères de bien des activités inutiles :ce qui les caractérise, c'est qu'elles ne sont, en aucun cas, imposées en tant que telles par une urgence physiqueou un devoir : elles sont libres, désintéressées, elles manifestent, en même temps, notre liberté profonde et, dumême coup, notre accès aux valeurs.

Tout en étant superflues, ce ne sont pas des obligations ni des nécessités.Ce qui signifie qu'elles sont signes de notre liberté et dignes d'être estimées.

Dans Homo ludens, Huizinga lieprofondément jeu et liberté, nous donnant un exemple remarquable de la liberté immanente à la sphère«désintéressée».

«Pour l'homme et pour l'adulte responsable, le jeu est une fonction qu'il pourrait aussi bien négliger.Le jeu est superflu [...].

À tous moments, le jeu peut être différé ou supprimé.

Il n'est pas imposé par une urgencephysique, encore moins par un devoir moral [...] [le jeu] est libre.» (Homo ludens, NRF, p.

26).

Tout autant que lejeu, l'art et la philosophie, ces activités inutiles, non justifiées par le résultat immédiat, manifestent, eux aussi, la«spiritualité» et la liberté de l'homme.

Non seulement ils ont une «valeur» mais, sous un certain angle, la plus grande«valeur» qui puisse être.

Ici encore, l'«inutilité" est signe et promesse de liberté, de spiritualité, de valeur.Disons d'abord un mot de l'art: l'élément ludique y est tellement présent et manifeste qu'il n'est pas étonnant qu'ony retrouve le processus analysé à propos du jeu.

L'art, lui aussi, comme le jeu auquel il s'apparente, se situe endehors de l'utilité, de la logique de la vie pratique, de la sphère de l'utilité.

C'est en dehors de ces normes utilitairesqu'il acquiert sens et manifeste l'esprit et la valeur.

Kant a particulièrement insisté sur ce point.

Il a délié art etvaleur d'utilité et caractérisé la valeur esthétique dans le champ du désintéressement : le beau est l'objet d'unjugement de goût désintéressé.

La beauté, loin de se définir par l'utile ou l'intérêt, se comprend comme rupture parrapport au simple désir utile.

Dans la contemplation esthétique, je suis emporté loin de l'utile ou de l'intérêtimmédiat.

Cette analyse conduit à bien souligner les caractères de l'art comme activité désintéressée et l'immensevaleur qui lui est attachée.

Dans l'art, la volonté généralement esclave des intérêts pratiques laisse la place à unecontemplation désintéressée et libre.

Qu'y gagnons-nous ? La liberté, cela va sans dire, mais aussi Y universalité,car la valeur esthétique désintéressée est également universelle.

Le beau n'est-il pas ce qui plaît universellement ?Ainsi à quelles valeurs puis-je accéder, avec l'activité inutile du beau et de l'art ? L'art, fruit d'une activité sans butpratique (il ne sert à rien) apporte une valeur spécifique, située au-delà des réalités immédiates.

Les valeurs duBeau et de l'Art, irréductibles à la sphère des intérêts immédiats, se présentent à nous comme des «irréductibles»,qui nous font accéder à l'Esprit.Ainsi, nous voyons bien, avec l'Art, qu'une activité inutile peut faire accéder l'homme à la plus haute perfection et àla plus haute valeur.

L'art, cette activité désintéressée, ne peut-il apparaître comme une saisie de l'Absolu ? Noussommes ici à mille lieues du pragmatisme de la quotidienneté : l'art appartient à la sphère absolue île l'Esprit, commel'a si bien montré Hegel, dans l'Esthétique.

Ainsi, pur un retournement total, voici que l'activité inutile devientmoment de l'Absolu : manière d'appréhender un contenu essentiel dépassant toute détermination particulière.Enfin, dernier exemple, après le jeu et l'art, la philosophie, qui elle aussi, contient un élément ludique.

C'est un jeude concepts, irréductibles à une «activité utile», à une finalité pratique.

Pour se justifier, la philosophie ne peut citeraucune espèce d'utilité.

Et néanmoins, pour «inutile» qu'elle soit, la philosophie n'en est pas moins «belle» etporteuse de valeur.

La philosophie désigne un jeu et un art, une activité conceptuelle désintéressée.

A-t-elle unenjeu pratique? Cela n'est nullement certain, mais n'empêche pas la philosophie d'être porteuse de valeur, commel'art : elle tend à appréhender l'Absolu et le Vrai.

Elle possède donc des valeurs de Beauté et de Vérité, bien qu'ellesoit tout à fait «désintéressée» en tant que telle.Ainsi l'examen du jeu, de l'art et de la philosophie nous permet île répondre négativement à la question posée.

A lalimite, notre thèse initiale va s'inverser en antithèse (radicale). b) Une activité a d'autant plus de valeur qu'elle est inutile.Finalement, notre point de vue initial s'inverse : l'utile ne vaut guère et une activité a d'autant plus de valeur qu'elleest inutile ! Ainsi pensait Théophile Gautier : l'utile est toujours laid.

Oscar Wilde, dans Le portrait de Dorian Gray,. »

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