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WEBER et l'idéal-type

Publié le 22/02/2012

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weber
Tout examen attentif portant sur les éléments conceptuels d'un exposé historique montre que l'historien, dès qu'il cherche à s'élever au-dessus de la simple constatation de relations concrètes pour déterminer la signification culturelle d'un événement singulier, si simple soit-il, donc pour le « caractériser », travaille et doit travailler avec des concepts qui, en général, ne se laissent préciser de façon rigoureuse et univoque que sous la forme d'idéaltypes. En effet, comment se laisse préciser le contenu de concepts comme ceux d'« individualisme », d'« impérialisme », de « féodalité », de « mercantilisme », de « conventionnel » et autres innombrables constructions conceptuelles de ce genre que nous utilisons pour essayer de dominer la réalité par la pensée et la compréhension ? Est-ce par la description « sans présupposition » d'une quelconque manifestation con-crète isolée ou bien au contraire par la synthèse abstractive de ce qui est commun à plusieurs phénomènes concrets ? Le langage de l'historien contient des centaines de mots comportant de semblables tableaux de pensée, mais imprécis parce que choisis pour les besoins de l'expression dans le vocabulaire courant non élaboré par la réflexion, dont on éprouve cependant concrètement la signification, sans qu'ils soient pensés clairement. Dans un très grand nombre de cas, surtout dans l'histoire politique narrative, l'imprécision du contenu des concepts ne nuit nullement à la clarté de l'exposé. Il suffit alors qu'on ressente dans les cas particuliers ce que l'historien a cru voir, ou encore on peut se contenter de ce qu'une précision particulière du contenu conceptuel d'importance relative dans un cas particulier se présente à l'esprit comme ayant été pensée. Au cas cependant où il faut prendre clairement conscience d'une façon plus rigoureuse de la signification d'un phénomène culturel, le besoin d'opérer avec des concepts clairs, précisés non seulement sous un, mais sous tous les aspects particuliers, devient plus impérieux. Il est évidemment absurde de vouloir donner de ces synthèses de la pensée historique une « définition » selon le schéma : genus proximum et differentia specifica : on n'a qu'à en faire l'épreuve. Cette dernière manière d'établir la signification des mots ne se rencontre que dans les disciplines dogmatiques qui utilisent le syllogisme. (...) Quand on se propose de donner une définition génétique du contenu d'un concept, il ne reste d'autre forme que celle de l'idéaltype, au sens indiqué plus haut. L'idéaltype est un tableau de pensée, il n'est pas la réalité historique, ni surtout la réalité « authentique », il sert encore moins de schéma dans lequel on pourrait ordonner la réalité à titre d'exemplaire. Il n'a d'autre signification que d'un concept limite purement idéal, auquel on mesure la réalité pour clarifier le contenu empirique de certains de ses éléments importants, et avec lequel on la compare. Ces concepts sont des images dans lesquelles nous construisons des relations, en utilisant la catégorie de possibilité objective, que notre imagination formée et orientée d'après la réalité juge comme adéquates. Essais sur la théorie de la science (1922). Traduction J. Freund, Paris, Plon, 1965, p. 184-186.
weber

« inaugurale, qui est donc positiviste, sa tâche est de formuler les lois de la statique et de la dynamique sociales, sans avoir à rechercher les causes; à dire le « comment », sans se préoccuper du « pourquoi ».

Maisle propre de la loi est d'effacer, dans sa généralité, tout ce qu'il peut y avoir d' individualisant dans le processus dont résulte l'événement; ou encore : d'indifférencier sa qualité, ce qui précisément le distingue comme tel, par la mesure et la quantification qui lui permettent d'établir la constance et la régularité desrapports dont elle est l'expression. Bref : comment subsumer sous une règle générale le « qualitatif » de la singularité? On le voit : dans la «matière » historique, seul peut intéresser l'historien, c'est la conviction de Weber, le sens de ce qu'on dirait volontiers « unique en son genre »; et il ne l'appréhende (ce que montre un examen attentif de sa démarche)qu'en le caractérisant, en formant le système de ses signes distinctifs : à l'« unicité » de l'événement doit correspondre, comme sa marque intelligible, l'univocité de sa représentation intellectuelle (idéale).

Le problème méthodologique à résoudre peut donc être résumé en ces termes : les phénomènes culturels, à la différencedes phénomènes naturels, tiennent leur sens de leur originalité, non de leur conformité à une loi; à ce titre, ils relèvent de sciences nécessairement interprétatives, et il faut, s'il s'agit bien de sciences, conférer la plus grande objectivité possible aux interprétations.

Cela exige tout un travail (pour s'approprier le sens; la discipline historique est elle-même un fait de culture) et l'objectif de Weber est d'en restituer la signification :au fond, l'épistémologue Weber s'applique à réfléchir l'histoire-science comme l'historien à penser l'histoire-événements, en élaborant l'outil d'une détermination conceptuelle spécifique (relativement à la spécificitéculturelle de l'objet) et en caractérisant sa signification comme idéal typique. 3.

Pour illustrer le propos, quelques exemples : le deuxième paragraphe nous présente un échantillon de ces constructions conceptuelles dont l'historien se sert pour identifier ses objets.

Par là s'amorce (deuxième partie de notre texte : En effet, comment...

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comme ayant été pensée) une interrogation fondamentale quiporte sur ce qu'on doit considérer comme le nœud de l'affaire : qu'est-ce que conceptualiser ? Question épistémologique centrale et générale, parce qu'aucune science ne peut se dispenser de la poser pour sonpropre compte, dès lors qu'elle s'inquiète de sa propre démarche, de la validité de son travail théorique, de laspécificité, de la cohérence et de la légitimité de son « domaine ».

On remarquera que avant d'aborder laconceptualisation sous l'aspect de sa méthode, Weber la définit par sa finalité : le but du concept, c'est de dominer la réalité par la pensée; un enjeu soumis à conditions, mais aussi exposé à l'échec.

On remarqueraégalement cette autre détermination du but, apparemment anodine, mais en fait capitale : il s'agit decomprendre; non seulement d'expliquer par la (ou les) cause(s) prochaine(s), mais de rassembler en un tout significatif tous les signes quicontribuent à « faire sens », en signifiant pour commencer la fin par rapport à laquelle s'ordonnent tousces signes.

En commençant d'ailleurs par la finalité du concept, Weber illustre le sens de lacompréhension aussi radicalement que possible : en l'établissant à propos de l'outil qui la produit.

Et c'estcapital, parce que toutes les sciences interprétatives sont concernées par ce statut du concept dansl'effort de compréhension ; mais aussi parce que la « sociologie weberienne » assigne par là une autrevoie aux sciences humaines (héritière en cela de Dilthey, Rickert et Simmel), en se distinguant de l'espritpositiviste, voire en s'y opposant. Cela étant précisé, reste la question : comment conceptualise-t-on ? Peut-on savoir ce qu'on met dansle concept d'impérialisme, ou dans celui de féodalité, sans se demander comment on le construit ?Sera-ce en décrivant sans présupposition la singularité historique de tel impérialisme (celui des Romains au 1er siècle avant J.-C., ou celui de telle puissance coloniale au début ou à la fin du XIXe siècle)? ou ensynthétisant, à partir d'une abstraction préalable, les caractères communs à la diversité de ces formes historiques? On le voit, deux méthodes s'opposent ici, l'une qu'on pourrait dire « naïve », tout à la foisprise dans la naïveté du « concret » immédiat, et dans la croyance elle-même naïve qu'une formequelconque et isolée peut signifier l'universel de la chose; et l'autre convaincue qu'il faut trier etsélectionner, passer par des médiations, s'abstraire, par le travail de la comparaison, de l'immédiateté «concrète » pour concrétiser vraiment.

Il ne suffit pas que le langage de l'historien nous soit familier,lorsqu'il se déploie dans le vocabulaire courant, et parce que notre intuition est immédiatement « sensible» au sens des mots, pour que nous soyons assurés, d'un point de vue scientifique, de la rigueur, de laprécision, du statut réellement conceptuel des déterminations qu'ils produisent.

Les mots sont affaire desens, mais dans un exposé, où la clarté de l'expression doit s'accorder avec les nécessités de l'universel propres à la communication, on ne peut pas rester au plan du narratif.

Dans le sens lui-même, il faut passer du « sensible » à l'intelligible, au réfléchi, à l'élaboré.

Un concept historique est un tableau depensée; il faut retrouver dans l'apparence purement descriptive du tableau, quand l'exigence de rigueurdevient impérieuse, tout le travail intellectuel qui s'y est inscrit, dans la recherche du sens, c'est-à-diredes causes et des fins. 4.

L'idéal-type vient donc se définir une nouvelle fois, dans la dernière partie de notre texte (Au cas cependant...

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comme adéquates), mais de façon nécessairement plus détaillée, puisqu'on saitmaintenant à quels besoins il répond.

On peut dire qu'à la description de l'histoire descriptive qui précédaitsuccède à présent la conceptualisation de l'histoire conceptuelle, conformément aux Singularités de sesobjets. Comment concevoir ce concept qu'est l'idéal-type ? D'abord comme l'opérateur d'une définition pertinente. »

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