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Y a-t-il une vertu de la richesse ?

Publié le 22/02/2012

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A première vue, on aurait tendance à distinguer, voire à opposer les deux termes « vertu » et « richesse ». En effet, si la vertu désigne l'ensemble des qualités morales propres à chaque individu, une disposition naturelle à agir suivant ses principes moraux, la richesse est généralement prise au sens de ce qui, pouvant satisfaire un besoin, est susceptible d'appropriation. Or, la richesse possède un pouvoir d'aliénation des caractères humains : ne dit-on pas que le meilleur des hommes peut se transformer en tyran quand il s'agit d'acquérir des biens ? A ce niveau-là, il est nécessaire d'opérer une seconde distinction ; la richesse peut certes être prise dans le sens évoqué précédemment, mais elle comporte également une autre acception, moins concrète que la grande abondance de biens matériels : on parle de qualités morales comme la richesse du c½ur, ou de qualités intellectuelles, comme la richesse de l'imagination. Richesse et vertu seraient donc sinon synonymes, du moins comprises l'une dans l'autre. De même, la vertu peut être comprise non pas comme qualité morale, propension inhérente à faire le bien, mais au sens d'utilité, c'est-à-dire comme force, efficacité, pouvoir. On retrouve ainsi plusieurs niveaux complexes d'interprétation du sujet, avec des définitions très larges, où il faudra de ce fait distinguer les différents sens. Le problème est donc de savoir si richesse et vertu ont une valeur similaire, ou si elles sont nécessairement opposées, auquel cas, l'existence d'une vertu de la richesse est impossible. Nous établirons, dans un premier temps, que la richesse matérielle possède des vertus, au sens où elle est profitable et même bonne quand elle est utilisée à bon escient, c'est-à-dire en tant que moyen, et non pas en tant que fin. En second lieu, nous verrons la richesse comme notion fondamentalement et nécessairement opposée à celle de la vertu, comme expression d'un vice humain responsable de l'aliénation des individus et des liens sociaux. Enfin, nous envisagerons le cas de la richesse dans son acception secondaire, à savoir intellectuelle et artistique, qui, par essence, semble synonyme de vertu.

« être, plus modestement, le désir d'avoir les moyens de se procurer ce dont nous avons communément besoin ouenvie.

Ainsi, ce désir apparaît légitime tant qu'il reste mesuré, modéré.

La critique concerne surtout la course auxprofits effrénée.

Dans L'enquête sur la nature et la cause de la richesse des nations, Smith plaide pour permettre àce désir de richesse de se satisfaire le plus librement possible.

Il trouve son origine, qu'il identifie sous le nom de «l'amour de soi » et cherche à définir une forme compatible avec la vertu.

A ce moment, le désir de richesse,auparavant synonyme de cupidité et d'avidité, est au contraire valorisé pour ses effets pacificateurs et civilisateurssur le plan social, qui remplacent le désir de domination et les conflits violents.Cependant, il semble n'y avoir aucune limite à ce désir : en effet, le désir d'améliorer sa condition, dans une sociétécapitaliste, caractérisée par une reproduction circulaire de la richesse, reportant indéfiniment la jouissance, estinfini.

Qu'est-ce qui permet alors à cette passion de vouloir toujours plus d'être dominée ? Apparaît ici le concept deprudence, qui appartient à la catégorie d'une vertu : la prudence est le nom de l'amour de soi sous sa formevertueuse, c'est-à-dire sous une forme rendue moralement légitime.

En chaque homme existe un « spectateurimpartial » qui observe et évalue les obligations morales, approuve une passion quand son intensité est modérée.

Ilpermet la recherche de l'intérêt à long terme.

On estime donc que le calme désir d'améliorer sa condition est unevertu, quoique cette pratique n'ait d'autre fin que l'acquisition de la fortune.

C'est précisément le plaisir d'obtenirl'approbation morale du spectateur impartial qui permet aux hommes de surmonter la tentation de la jouissanceprésente.

De plus, les mécanismes sociaux sont impliqués, facteurs extérieurs à l'individu, qui soutiennent etrenforcent la satisfaction d'avoir agi suivant la morale : on a conscience d'avoir mérité l'estime et l'approbation detous en agissant avec maîtrise de soi, et de devenir objet de mépris et de dérision en agissant de façon contraire.L'utile est certes moins attrayant que l'agréable qui procure une jouissance immédiate, mais le plaisir d'être jugévertueux par les autres vient secourir la faiblesse du premier désir.

Ainsi, il existe pour chaque homme, du momentqu'il reste constant et frugal, une vertu de la richesse au moyen de la prudence qui conditionne la satisfaction dudésir de la richesse.

Cette qualité morale est ce qui rend possible l'économie.De plus, la fixation d'un but, comme acquérir des biens, permet à l'homme de se dépasser, d'apprécier le goût del'effort.

Il est sanctionné, récompensé par son travail en obtenant directement le fruit de son labeur, ce qui luiprocure une sensation d'accomplissement et de plénitude.

La société s'en retrouve fortifiée, grâce au système de laméritocratie qui permet l'ordre social.

Hegel, reprend cette idée dans Principes de la Philosophie du droit, où il prônela richesse comme moyen de lutter contre l'anarchie : il évoque la nécessité de la stratification sociale ; il estnaturel que les plus forts soient les plus riches, et les plus faibles, pauvres.

Un système où tous les hommes ont lesmêmes richesses relève de l'utopie, car l'ordre de la nature ne le permet pas, et s'il venait à se réaliser, l'Etatsombrerait dans la déliquescence. Cependant, on doit nuancer ces considérations.

En effet, si posséder un objet signifie « faire de lui l'instrument de lavolonté », il semblerait que nous soyons d'autant plus libres que nous possédons davantage.

Or, cette liberté trouveune limite dans les qualités spécifiques de l'objet possédé.

On peut alors classer les objets suivant la question :dans quelle mesure la volonté peut-elle s'en emparer, jusqu'où se laissent-ils posséder ? Toute liberté ne peuts'actualiser qu'en affrontant des limites, or la richesse n'en oppose aucune : elle est donc l'instrument d'une libertéseulement potentielle.

Cela nous amène de fait dans un second temps aux vices de la richesse matérielle,responsable non seulement de l'aliénation des liens sociaux mais également de la perversion de l'individu.

Leproblème sera donc celui de la modération contre l'excès.Pour Polanyi, la recherche du gain individuel est tout, sauf un comportement naturel.

L'anthropologie du XXèmesiècle a établi que « l'homme agit de manière non pas à protéger son intérêt individuel à posséder des biensmatériels, mais à garantir sa position sociale, ses droits sociaux et ses avantages sociaux ».

La société d'aujourd'huiest dominée par le marché, on transforme la substance naturelle et humaine de la société en marchandises, cettemême société doit devenir un auxiliaire du marché.

Cette vision montre très clairement l'aliénation des liens sociauxet humains dans le système.

Tous les systèmes économiques connus jusque-là dans l'humanité étaient encastrésdans des systèmes sociaux, eux-mêmes fondés sur la centralité, l'autarcie.

La production et la distribution des biensétaient un moyen au service d'une fin, à savoir la stabilité et la solidarité du groupe.

Dans les sociétéscontemporaines, tout se passe comme si le moyen devenait fin en soi, il y a une véritable inversion téléologique.

Cedispositif nouveau brise nécessairement les relations humaines : on a réussi à accroître la production de façonvertigineuse, mais au détriment de la société.

L'échange marchand présuppose la transformation de biens enmarchandises, c'est-à-dire en objets anonymes auxquels on n'est plus attaché par aucun lien personnel ou affectif.Alors que l'échange non marchand avait été créateur de lien social, la transformation opérée s'accompagne d'unedestruction des liens traditionnels de solidarité au profit d'une concurrence généralisée au nom des individus.

Il enrésulte un sentiment d'insécurité qui suscite en retour un profond besoin de protection, protection qui est établiegrâce à l'usage d'une richesse matérielle, l'argent.

De manière générale, la monétarisation de la vie économique dansle monde contemporain favorise le processus d'individualisation en rendant possible le développement de relationsimpersonnelles.

Si la richesse libère les hommes des liens personnels dont ils sont prisonniers dans les sociétéstraditionnelles, cet affaiblissement des liens communautaires a ses revers.

Il participe de fait à un étrange paradoxe: la richesse unit les hommes en les séparant.

Dans une société régie par l'argent, la propriété, l'abondance desbiens, les relations sociales sont objectives et affectivement neutres.

L'un offre des services, l'autre le paie, et dansla mesure où chacun n'est qu'un moyen pour l'autre, tous sont substituables.

Les échanges ne se réalisent plus demanière spontanée.

D'où un sentiment d'inquiétude, de vide, de déracinement dans la société monétarisée quiimpose des besoins toujours nouveaux.De ce fait, de tout temps, la tradition morale condamne la richesse, suivant deux motifs : la richesse est un fauxdieu, créatrice d'illusions et soumise à un culte contre-nature, et elle est l'objet d'une cupidité pathologique.

Laconvoitise insatiable qu'elle engendre se trouve exprimée très tôt, dans l'Ecclésiaste : « Qui aime l'argent n'a jamais. »

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