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Article de presse: Carter, quatre années d'improvisation au nom de la morale

Publié le 17/01/2022

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4 novembre 1980 - Jimmy Carter a été une énigme pour ses concitoyens, et a fortiori pour le reste du monde. Il a occupé pendant quatre ans le devant de la scène, multipliant, plus peut-être qu'aucun président avant lui, les interviews, discours, conférences de presse, mises au point et déclarations en tout genre. Or plus il parlait, plus son profil devenait flou. Jamais l'Amérique n'a eu de président aussi insaisissable. Un " nouveau Carter " semblait pourtant être apparu pendant l'été 1979. Après avoir traversé une grave crise personnelle, qui l'avait fait douter de sa capacité à diriger le pays et même de la possibilité pour qui que ce soit de gouverner les Etats-Unis. Tel Moïse descendant du Sinaï, il paraissait s'être ressaisi, il sortait d'une retraite de dix jours à Camp David pour tenir aux Américains un langage exigeant, sévère et rigoureux. Il demandait la démission collective de son cabinet-acte sans précédent dans l'histoire institutionnelle américaine en cours de mandat présidentiel,-faisant passer sur chacun des membres de son équipe le frisson du couperet. Bref, Jimmy Carter découvrait, au bout de deux ans et demi d'exercice du pouvoir, les vertus de l'autorité. Ce changement d'état d'esprit, qui était passé quelque peu inaperçu à l'étranger, allait être brusquement révélé en décembre 1979, à l'occasion de l'invasion soviétique de l'Afghanistan. La vigueur de la réaction de Jimmy Carter, l'ampleur des mesures de représailles qu'il décidait contre l'URSS (embargo partiel sur les céréales, gel des relations scientifiques et techniques, boycottage des Jeux olympiques), surprenaient l'opinion internationale. Faisant implicitement l'aveu de sa naïveté passée, le président déclarait, le 31 décembre, à la chaîne de télévision ABC : " L'invasion de l'Afghanistan m'a fait plus profondément changer d'opinion sur les Soviétiques que toute autre chose qu'ils aient faite depuis que j'occupe cette fonction. " Quel est donc le véritable Carter? Est-ce le pacifiste moralisateur, aux accents bucoliques, défenseur des droits de l'homme, hostile au nucléaire, féru d'écologie, se souciant comme d'une guigne de la menace soviétique, qui avait fait passer un souffle neuf sur la campagne présidentielle de 1976, et qui a ensuite tenté, au cours des deux premières années chaotiques et brouillonnes de son mandat, d'appliquer ses idées ? Est-ce le leader au langage martial retrempé par sa crise de l'été 1979, soudain éveillé au danger soviétique et désireux de stopper la dérive de l'Amérique, dont l'incapacité à restreindre sa boulimie pétrolière lui paraissait le signe le plus inquiétant ? Contrairement à ce qui se dit souvent en Europe, Jimmy Carter est un homme intelligent, doté d'une culture scientifique de haut niveau (il a été ingénieur nucléaire dans la marine). Mais il est aussi, de façon presque pathétique, incertain, indécis, changeant, capable de modifier à tout instant la ligne choisie. Jimmy Carter est, au fond de lui-même, un populiste sentimental, toujours prêt à changer d'avis si on lui démontre qu'une autre solution que celle initialement décidée est préférable pour le bien de ses concitoyens, voire de l'humanité tout entière. Cette attitude dérive de sa foi de chrétien baptiste qui implique un rapport direct à Dieu, sans dogme ni intermédiaire, dans une adhésion permanente, totale et mouvante à la volonté divine. Jimmy Carter entretient avec le peuple américain (dont la voix s'exprime par les sondages) des relations du même ordre. La crise de l'été 1979 n'en fut que plus douloureuse. Sa cote de popularité était tombée au niveau le plus faible jamais atteint par un président en exercice (même Richard Nixon, peu avant de démissionner, n'était pas descendu si bas). Jimmy Carter avait inlassablement promis au cours de la campagne de 1976 un gouvernement " aussi honnête, fiable, décent, juste, compétent, idéaliste, compatissant et plein d'amour que l'est le peuple américain lui-même ". Dans son discours du 15 juillet 1979, il manifestait au contraire-et pour la première fois-des doutes sur ce peuple lui-même: " Au sein d'une nation qui était fière de son labeur, de ses liens familiaux, de son sens communautaire et de sa foi en Dieu, un trop grand nombre d'entre nous ont maintenant tendance à cultiver la complaisance envers soi-même et à vénérer la consommation ". Des résultats économiques médiocres Le bilan n'est pourtant pas catastrophique. Sur le plan économique, la politique incohérente de l'administration n'a pas empêché le produit national brut américain de progresser, en termes réels, de 9,9 % depuis l'arrivée au pouvoir de Jimmy Carter. Le chômage, qui était de 7,4 % en janvier 1977, niveau jugé alors scandaleux par Jimmy Carter, est aujourd'hui presque identique: 7,6 %. L'inflation est passée de 7 % à 13 %. Jimmy Carter a préféré, à juste titre, ne pas s'attarder sur ces résultats médiocres lors du débat télévisé qui l'a opposé à Ronald Reagan le 28 octobre et a insisté sur son action en faveur des minorités: un nombre sans précédent de Noirs, d'Hispano-Américains et de femmes ont été en effet nommés à des fonctions de juge fédéral, de même qu'à divers postes de responsabilité de l'administration, y compris dans le cabinet. Jimmy Carter peut également se targuer d'avoir mené à bien la première réforme de la fonction publique depuis un siècle et d'avoir procédé à la dérégulation des transports aériens et routiers et du système bancaire, c'est-à-dire à la suppression de règlements d'inspiration corporatiste qui entraînaient des prix excessifs pour les consommateurs et entravaient le développement de ces secteurs. Mais trois grandes idées ont été abandonnées: la réforme fiscale a été renvoyée aux calendes grecques, alors que Jimmy Carter avait qualifié en 1976 de " honte nationale " le système qui permet aux contribuables les plus fortunés de bénéficier, avec l'aide de bons avocats-conseils, d'étonnantes réductions. Le projet d'assurance-maladie pour tous les Américains a été purement et simplement enterré en raison de la hausse démesurée des frais médicaux. Le seul régime obligatoire qui fonctionne dans tout le pays est celui de la cotisation minimale pour la retraite des vieux travailleurs (social security), institué par Franklin Roosevelt. Enfin, l'idée d'une réforme d'ensemble du travail gouvernemental a été abandonnée. Seules des mesures partielles ont été prises, telles que les créations de ministères de l'éducation et de l'énergie. C'est d'ailleurs dans le domaine de l'énergie que le bilan de l'action de Jimmy Carter est le plus décevant, au moins par comparaison avec les efforts déployés et l'ambition affichée. Le combat pour réduire la dépendance américaine vis-à-vis du pétrole importé est " l'équivalent moral d'une guerre ", affirmait Jimmy Carter au début de son mandat. Il n'a été suivi ni par l'opinion, qui n'a évolué que très lentement, ni par le Congrès. Le traité de paix israélo-égyptien En politique étrangère, le principal succès de Jimmy Carter a été la signature, le 26 mars 1979, à Washington, du traité de paix israélo-égyptien, rendu possible par les accords de Camp David de septembre 1976. L'intervention personnelle, et en quelque sorte émotionnelle de Jimmy Carter, a été ici déterminante. Le prix à payer a été cependant l'arrêt brutal de l'ouverture politique vers les Palestiniens, voire vers l'OLP, esquissée un moment en 1977. L'autre grande idée de Jimmy Carter-inspirée par Zbignew Brzezinski-a été la " carte chinoise ". Des relations diplomatiques complètes ont été établies le 1er janvier 1979, des actions parallèles entreprises, notamment l'aide aux maquis khmers rouges. Surtout, par la vente de 6 millions de tonnes de céréales et la fourniture de technologie, y compris du matériel pouvant avoir un usage militaire logistique, les Etats-Unis ont partiellement retrouvé en Asie la position que l'entrée des communistes à Pékin leur avait fait perdre en 1949. Il faut encore citer à l'actif de Jimmy Carter la signature, le 16 juin 1978, du traité sur le canal de Panama, qui accorde à ce pays la souveraineté progressive sur la voie d'eau océanique transocéanique (celle-ci sera totale en l'an 2000), et qui, mettant fin à l'anomalie constituée par la " zone du canal ", supprime une des marques les plus voyantes et les plus gênantes de l'impérialisme des Etats-Unis en Amérique latine. Le bilan de l'application de la " doctrine Carter " en Amérique latine reste cependant incertain. Le président sortant souhaitait favoriser les gouvernements démocratiques de la région, faciliter la fin des dictatures et la tenue d'élections libres. Cette politique a grandement aidé (en République dominicaine) ou accompagné (en Equateur) le retour à la démocratie. Mais elle s'est révélée impuissante à protéger une démocratie fragile (en Bolivie) et n'a pas vraiment ébranlé les deux régimes militaires autoritaires du cône sud du continent, le Chili et l'Argentine. La " doctrine Carter " a été, en pratique, beaucoup moins appliquée à partir de 1979, en raison de l'inefficacité des sanctions contre les gouvernements violateurs des droits de l'homme, et de la concurrence soviétique, par exemple en Argentine. L'attitude vis-à-vis de la révolution sandiniste au Nicaragua, mélange de méfiance et de non-ingérence, illustre ces ambiguïtés. La politique étrangère de Jimmy Carter a été en fait parsemée d'hésitations, de zigzags, voire de retournements à 180 degrés. La campagne tous azimuts pour les droits de l'homme, qui avait démarré sur les chapeaux de roue avec la lettre envoyée à Andreï Sakharov, en février 1977, un mois à peine après la prise de pouvoir de Jimmy Carter, a été mise assez rapidement sous le boisseau. Des accommodements pour des raisons stratégiques dans deux cas particuliers (la Corée du Sud et l'Iran du Chah) lui avaient fait de toute façon perdre sa valeur universelle. La lutte contre la prolifération nucléaire, prioritaire en 1977, ne l'a plus été à partir de 1978. La brigade de combat soviétique à Cuba, jugée inacceptable pendant l'été 1979, a été en quelque sorte acceptée, puisque oubliée. L'affaire des otages de Téhéran, qui nécessitait que Jimmy Carter restât cloîtré à la Maison Blanche et lui consacrât la majeure partie de son attention de novembre 1979 au printemps 1980, était soudain devenue secondaire en mai 1980, au moment d'ailleurs où s'effondrait dans les sondages le sursaut de popularité qu'elle avait provoqué chez les Américains, ceux-ci ayant d'abord resserré les rangs autour de leur président. DOMINIQUE DHOMBRES Le Monde du 6 novembre 1980

« Jimmy Carter peut également se targuer d'avoir mené à bien la première réforme de la fonction publique depuis un siècle etd'avoir procédé à la dérégulation des transports aériens et routiers et du système bancaire, c'est-à-dire à la suppression derèglements d'inspiration corporatiste qui entraînaient des prix excessifs pour les consommateurs et entravaient le développementde ces secteurs.

Mais trois grandes idées ont été abandonnées: la réforme fiscale a été renvoyée aux calendes grecques, alorsque Jimmy Carter avait qualifié en 1976 de " honte nationale " le système qui permet aux contribuables les plus fortunés debénéficier, avec l'aide de bons avocats-conseils, d'étonnantes réductions.

Le projet d'assurance-maladie pour tous les Américainsa été purement et simplement enterré en raison de la hausse démesurée des frais médicaux.

Le seul régime obligatoire quifonctionne dans tout le pays est celui de la cotisation minimale pour la retraite des vieux travailleurs (social security), institué parFranklin Roosevelt.

Enfin, l'idée d'une réforme d'ensemble du travail gouvernemental a été abandonnée.

Seules des mesurespartielles ont été prises, telles que les créations de ministères de l'éducation et de l'énergie. C'est d'ailleurs dans le domaine de l'énergie que le bilan de l'action de Jimmy Carter est le plus décevant, au moins parcomparaison avec les efforts déployés et l'ambition affichée.

Le combat pour réduire la dépendance américaine vis-à-vis dupétrole importé est " l'équivalent moral d'une guerre ", affirmait Jimmy Carter au début de son mandat.

Il n'a été suivi ni parl'opinion, qui n'a évolué que très lentement, ni par le Congrès. Le traité de paix israélo-égyptien En politique étrangère, le principal succès de Jimmy Carter a été la signature, le 26 mars 1979, à Washington, du traité de paixisraélo-égyptien, rendu possible par les accords de Camp David de septembre 1976.

L'intervention personnelle, et en quelquesorte émotionnelle de Jimmy Carter, a été ici déterminante.

Le prix à payer a été cependant l'arrêt brutal de l'ouverture politiquevers les Palestiniens, voire vers l'OLP, esquissée un moment en 1977. L'autre grande idée de Jimmy Carter-inspirée par Zbignew Brzezinski-a été la " carte chinoise ".

Des relations diplomatiquescomplètes ont été établies le 1 er janvier 1979, des actions parallèles entreprises, notamment l'aide aux maquis khmers rouges. Surtout, par la vente de 6 millions de tonnes de céréales et la fourniture de technologie, y compris du matériel pouvant avoir unusage militaire logistique, les Etats-Unis ont partiellement retrouvé en Asie la position que l'entrée des communistes à Pékin leuravait fait perdre en 1949. Il faut encore citer à l'actif de Jimmy Carter la signature, le 16 juin 1978, du traité sur le canal de Panama, qui accorde à cepays la souveraineté progressive sur la voie d'eau océanique transocéanique (celle-ci sera totale en l'an 2000), et qui, mettant finà l'anomalie constituée par la " zone du canal ", supprime une des marques les plus voyantes et les plus gênantes de l'impérialismedes Etats-Unis en Amérique latine. Le bilan de l'application de la " doctrine Carter " en Amérique latine reste cependant incertain.

Le président sortant souhaitaitfavoriser les gouvernements démocratiques de la région, faciliter la fin des dictatures et la tenue d'élections libres.

Cette politiquea grandement aidé (en République dominicaine) ou accompagné (en Equateur) le retour à la démocratie.

Mais elle s'est révéléeimpuissante à protéger une démocratie fragile (en Bolivie) et n'a pas vraiment ébranlé les deux régimes militaires autoritaires ducône sud du continent, le Chili et l'Argentine.

La " doctrine Carter " a été, en pratique, beaucoup moins appliquée à partir de1979, en raison de l'inefficacité des sanctions contre les gouvernements violateurs des droits de l'homme, et de la concurrencesoviétique, par exemple en Argentine.

L'attitude vis-à-vis de la révolution sandiniste au Nicaragua, mélange de méfiance et denon-ingérence, illustre ces ambiguïtés. La politique étrangère de Jimmy Carter a été en fait parsemée d'hésitations, de zigzags, voire de retournements à 180 degrés.La campagne tous azimuts pour les droits de l'homme, qui avait démarré sur les chapeaux de roue avec la lettre envoyée à AndreïSakharov, en février 1977, un mois à peine après la prise de pouvoir de Jimmy Carter, a été mise assez rapidement sous leboisseau.

Des accommodements pour des raisons stratégiques dans deux cas particuliers (la Corée du Sud et l'Iran du Chah) luiavaient fait de toute façon perdre sa valeur universelle.

La lutte contre la prolifération nucléaire, prioritaire en 1977, ne l'a plus étéà partir de 1978.

La brigade de combat soviétique à Cuba, jugée inacceptable pendant l'été 1979, a été en quelque sorteacceptée, puisque oubliée. L'affaire des otages de Téhéran, qui nécessitait que Jimmy Carter restât cloîtré à la Maison Blanche et lui consacrât la majeurepartie de son attention de novembre 1979 au printemps 1980, était soudain devenue secondaire en mai 1980, au momentd'ailleurs où s'effondrait dans les sondages le sursaut de popularité qu'elle avait provoqué chez les Américains, ceux-ci ayantd'abord resserré les rangs autour de leur président. DOMINIQUE DHOMBRES Le Monde du 6 novembre 1980. »

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