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Article de presse: Double consécration

Publié le 17/01/2022

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pour les filles de la guerre froide 18 septembre 1973 - Le 8 septembre 1926, près de huit ans après la capitulation de l'empire allemand, la République de Weimar entrait à la Société des nations. Il aura fallu attendre vingt-huit ans, après l'effondrement du régime hitlérien, pour que l'Allemagne ou plus exactement les deux Etats allemands soient admis aux Nations unies. Il est vrai que l'organisation internationale est née des alliances formées contre l'Allemagne. Les fondateurs de l'ONU étaient inspirés non seulement par leur opposition à la puissance militaire de l'Axe, mais aussi par leur hostilité au national-socialisme et à ses fondements idéologiques et politiques. Même si les beaux principes de la charte de San Francisco n'ont pas toujours bien résisté à l'épreuve du temps, l'entrée à l'ONU représente pour les Allemands une consécration et une réhabilitation. Il y a vingt-huit ans, l'Allemagne était abattue, comme hébétée par douze ans de national-socialisme et un conflit sans merci. Ses vainqueurs, de l'Est comme de l'Ouest, avaient songé à la démembrer, quand ils ne voulaient pas la réduire à un simple champ de pommes de terre. L'Union soviétique, la première, ne s'est pas privée dans sa zone de démanteler l'industrie et d'exiger de substantielles réparations. Cette situation n'a pourtant pas duré longtemps. Dès le début de la guerre froide, chaque camp a très vite vu le profit qu'il pourrait tirer de " son " Allemagne, en lui rendant, au moins partiellement, sa souveraineté. Chacun se mit à courtiser ses Allemands en leur décernant des brevets de bonne conduite, libérale ou socialiste, qu'ils s'appliquaient d'ailleurs avec beaucoup de zèle à mériter. C'est en faisant acte d'allégeance à leurs alliances respectives, et d'abord au plus puissant de leurs alliés respectifs, que la République fédérale d'Allemagne comme la République démocratique allemande ont retrouvé un rôle important. L'entrée aux Nations unies n'en constitue pas moins une double consécration pour l'Allemagne de l'Ouest et pour le Parti social-démocrate. C'est en effet au président du parti, qui pendant plus de vingt ans a été jugé par les chrétiens-démocrates comme incapable et indigne de gouverner l'Allemagne nouvelle, que revient l'honneur de conduire son pays dans l'Organisation internationale. En reconnaissant les réalités amères héritées de la guerre, le chancelier Brandt a su donner à sa politique de détente une crédibilité dans les pays socialistes, sans l'accord desquels l'entrée à l'ONU était impossible. Cette satisfaction est évidemment gâtée par la présence d'une " autre Allemagne " sur les mêmes bancs du palais de verre de New-York. Le prix est-il trop élevé ? La présence aux Nations unies des représentants de Bonn et de Berlin-Est souligne la division de l'Allemagne. Le reproche ne doit pas en être fait à la coalition libérale-socialiste; le phénomène ne date pas d'hier. Depuis sa création, chaque fois que la République fédérale a accompli un pas en avant sur la scène internationale, la position de la RDA a été consolidée au sein du camp socialiste. Aussi longtemps que l'Etat installé dans l'ancienne zone d'occupation soviétique n'était pas reconnu comme tel par les Occidentaux, les Allemands de l'Ouest pouvaient évidemment se bercer d'illusions sur les possibilités réelles d'une réunification par l'autodétermination. Toute la politique du chancelier Adenauer a tendu à redonner une place à l'Allemagne dans le concert des nations, au prix même de la division de l'ancien Etat allemand. Plus l'Allemagne fédérale jouait le jeu de l'alliance atlantique, plus s'éloignait la perpective de la réunification, qui, inscrite dans la Loi fondamentale, restait toutefois l'objectif officiel de ses dirigeants. Sans doute le " vieux renard de Cologne " en avait-il parfaitement conscience. Après les accords de Paris d'octobre 1954 sur le réarmement de l'Allemagne de l'Ouest et son entrée dans le pacte atlantique, la conclusion du pacte de Varsovie avec participation de la RDA devenait inéluctable. La politique étrangère de Bonn a été dominée par cette contradiction : plus la République fédérale gagnait en respectabilité, en notoriété, en influence, plus la coupure de l'Allemagne se renforçait. L'entrée des deux Etats allemands aux Nations unies parachève cette évolution. Si la situation n'est pas normale, elle tend pourtant à se " normaliser " en devenant un Etat comme un autre, d'une certaine façon étranger-bien que le gouvernement de Bonn refuse absolument qu'il en soit ainsi, selon les règles du droit international,-la RDA devient moins étrangère. Elle cesse d'être considérée comme une anomalie, une survivance monstrueuse au sein de l'Europe des années d'après-guerre, un poste avancé de l' " empire soviétique ". Cette reconnaissance implique la renonciation à un certain nombre d'idées reçues sur lesquelles l'Allemagne chrétienne-démocrate a vécu pendant vingt ans. Aussi longtemps que la RDA était conçue seulement comme " zone d'occupation soviétique ", la prétention de la République fédérale à représenter tous les Allemands et à parler en leur nom pouvait se soutenir. Il y a quelques années, on voyait encore dans toutes les administrations ouest-allemandes une carte de l'Allemagne dans ses frontières de 1937, portant ce titre : Dreigeteiles Deutschland (l'Allemagne divisée en trois), attestant que la légitimité de la République fédérale s'étendait jusqu'aux anciens territoires allemands situés à l'est de la ligne Oder-Neisse. L'espoir subsistait qu'un jour plus ou moins lointain cette zone rejoindrait la mère patrie. Après les traités de Moscou et de Varsovie et le traité fondamental, ce mythe s'est effondré. L'Allemagne fédérale se découvre alors non comme un Etat amputé, mais comme un Etat nouveau, de même que son voisin, et au même titre elle est un enfant de la guerre froide. Il n'est qu'apparemment paradoxal d'affirmer que, si la RFA et la RDA sont nées de la rivalité américano-soviétique, leur consécration est le fruit de la coexistence pacifique et de la détente. Cet Etat neuf, dont la capitale n'est qu'une extension du " village fédéral " de 1948, est encore à la recherche de son identité. Il hésite à plonger ses racines trop profondément dans un passé souvent peu glorieux. Première puissance économique de l'Europe occidentale, la République fédérale a renoué en quelques années avec les traditions allemandes. Présente sur tous les marchés, appuyée sur une monnaie forte, elle a longtemps compensé sa faiblesse politique par ses succès économiques. Sa rivale a d'ailleurs suivi la même voie. Bonn et Berlin-Est ont voulu forcer le respect par leurs performances économiques. Leur concurrence s'est particulièrement manifestée dans l'aide technique et financière apportée aux pays du tiers-monde. Après la dévaluation de 1948 et les réformes monétaires draconiennes, Ludwig Erhard a développé la théorie de l' " économie sociale de marché ". Est-ce parce que la paternité du " miracle " économique allemand lui fut attribuée que cette découverte, présentée comme une troisième voie entre le capitalisme et le socialisme, prit place parmi les valeurs fondamentales de la République fédérale ? Quiconque mettait en doute cette théorie, qui n'avait d'autre originalité que de reprendre à son compte les principes du libéralisme le plus traditionnel à un moment où tout le monde les abandonnait, était soupçonné de trahir les véritables intérêts de l'Allemagne. Les sociaux-démocrates eux-mêmes ne sont devenus dignes de gouverner qu'après avoir fait acte d'allégeance, en 1959, lors du congrès de Bad-Godesberg, à l'économie sociale de marché. Les jeunes n'ont pourtant pas le même respect de la magie des mots. Pour beaucoup aussi, l'anticommunisme virulent qui sévit jusque dans les années 60, et dont toutes les séquelles n'ont pas encore disparu, n'a plus de raison d'être. La normalisation progressive des rapports avec la RDA et les autres pays socialistes l'a rendu plus difficile. L'entrée aux Nations unies ne sera certes pas un tournant dans l'histoire de la RFA. L'arrivée au pouvoir des sociaux-démocrates et les traités avec l'Est, estompant les souvenirs de l'ère adenauérienne, la marqueront plus sûrement. DANIEL VERNET Le Monde du 20 septembre 1973

« République fédérale s'étendait jusqu'aux anciens territoires allemands situés à l'est de la ligne Oder-Neisse.

L'espoir subsistaitqu'un jour plus ou moins lointain cette zone rejoindrait la mère patrie. Après les traités de Moscou et de Varsovie et le traité fondamental, ce mythe s'est effondré.

L'Allemagne fédérale se découvrealors non comme un Etat amputé, mais comme un Etat nouveau, de même que son voisin, et au même titre elle est un enfant de laguerre froide.

Il n'est qu'apparemment paradoxal d'affirmer que, si la RFA et la RDA sont nées de la rivalité américano-soviétique, leur consécration est le fruit de la coexistence pacifique et de la détente.

Cet Etat neuf, dont la capitale n'est qu'uneextension du " village fédéral " de 1948, est encore à la recherche de son identité.

Il hésite à plonger ses racines tropprofondément dans un passé souvent peu glorieux. Première puissance économique de l'Europe occidentale, la République fédérale a renoué en quelques années avec lestraditions allemandes. Présente sur tous les marchés, appuyée sur une monnaie forte, elle a longtemps compensé sa faiblesse politique par ses succèséconomiques. Sa rivale a d'ailleurs suivi la même voie.

Bonn et Berlin-Est ont voulu forcer le respect par leurs performances économiques.Leur concurrence s'est particulièrement manifestée dans l'aide technique et financière apportée aux pays du tiers-monde. Après la dévaluation de 1948 et les réformes monétaires draconiennes, Ludwig Erhard a développé la théorie de l' " économiesociale de marché ".

Est-ce parce que la paternité du " miracle " économique allemand lui fut attribuée que cette découverte,présentée comme une troisième voie entre le capitalisme et le socialisme, prit place parmi les valeurs fondamentales de laRépublique fédérale ? Quiconque mettait en doute cette théorie, qui n'avait d'autre originalité que de reprendre à son compte lesprincipes du libéralisme le plus traditionnel à un moment où tout le monde les abandonnait, était soupçonné de trahir les véritablesintérêts de l'Allemagne.

Les sociaux-démocrates eux-mêmes ne sont devenus dignes de gouverner qu'après avoir fait acted'allégeance, en 1959, lors du congrès de Bad-Godesberg, à l'économie sociale de marché. Les jeunes n'ont pourtant pas le même respect de la magie des mots. Pour beaucoup aussi, l'anticommunisme virulent qui sévit jusque dans les années 60, et dont toutes les séquelles n'ont pasencore disparu, n'a plus de raison d'être.

La normalisation progressive des rapports avec la RDA et les autres pays socialistes l'arendu plus difficile. L'entrée aux Nations unies ne sera certes pas un tournant dans l'histoire de la RFA.

L'arrivée au pouvoir des sociaux-démocrates et les traités avec l'Est, estompant les souvenirs de l'ère adenauérienne, la marqueront plus sûrement. DANIEL VERNET Le Monde du 20 septembre 1973. »

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