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Article de presse: Le procès de Riom

Publié le 17/01/2022

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19 février 1942 - Le 19 février 1942, un commissaire de police transférait cinq inculpés de leurs cellules de la maison d'arrêt de Riom au palais de justice par un souterrain spécialement remis en état. Confiés à des gendarmes, les prévenus se rendaient, après un détour, dans la salle d'audience, où siégeait d'ordinaire la cour d'assises. Le public, soigneusement contrôlé par des policiers casqués, mousqueton à la bretelle, était alors admis : des officiels, qui gagnaient des loges spécialement aménagées dans de fausses boiseries, un petit nombre de privilégiés et quelque cent cinquante journalistes, dont une cinquantaine d'étrangers. Lorsque l'huissier audiencier annonçait " la Cour suprême ", derrière le président Caous, revêtu de rouge, portant collet d'hermine et simarre, faisaient leur entrée le procureur général et huit juges, dont deux en uniforme de vice-amiral et de général et un en toge universitaire. Les inculpés, internés dès l'automne 1940, incarcérés en octobre 1941 au fort du Portalet et à Bourrasol, étaient présentement " domiciliés à la maison d'arrêt de Riom ". Deux d'entre eux étaient probablement inconnus du Français moyen : le contrôleur général Pierre Jacomet, ex-secrétaire général du ministère de la défense nationale. Le député radical Guy La Chambre, ancien ministre de l'air. Les trois autres, en revanche, avaient fait la une des journaux : Maurice Gamelin, saint-cyrien, avait commandé en chef l'armée française jusqu'au 19 mai 1940 Edouard Daladier, l'un des caciques du parti valoisien, avait été, entre autres fonctions politiques, ministre de la guerre de juin 1936 à mai 1940, et président du conseil d'avril 1938 à mai 1940 Léon Blum, enfin, symbolisait tout à la fois le gouvernement du Front populaire, qu'il avait présidé de juin 1936 à juin 1937, et une manière d'être socialiste. Plus de quatre cents témoins étaient cités et il était prévu que le procès durerait jusqu'à l'été. Il s'agissait bien d'un procès organisé par Vichy. L'occupant n'était pour rien dans son déroulement : le Reich avait l'intelligence de laisser les Français laver leur linge sale en public. Quelques têtes pensantes vichyssoises et Pétain lui-même, démangés par l'idée de régler tout un arriéré de comptes politiques, voulaient diaboliser l' " ancien régime " pour mieux ancrer le nouveau les inculpés devaient être les boucs émissaires dont le châtiment prouverait au bon peuple la nécessité du redressement moral et intellectuel auquel l'Etat français le conviait autoritairement. Mais, comme souvent à Vichy, la manoeuvre tourna à la déconfiture. L'acte constitutionnel n° 5, en date du 30 juillet 1940, avait institué une cour suprême de justice, installée dès le 8 août à Riom. Faisant fonction à la fois de magistrat instructeur et de chambre de mise en accusation, elle avait pour mission de " juger les ministres, les anciens ministres ou leurs subordonnés immédiats (...) accusés d'avoir trahi les devoirs de leur charge dans les actes qui ont concouru au passage de l'état de paix à l'état de guerre avant le 4 septembre 1939 et dans ceux qui ont ultérieurement aggravé les conséquences de la situation ainsi créée ". Mais comme les juges - nommés - prenaient trop leur temps pour interpréter ce galimatias juridique et instruire le dossier, Philippe Pétain, le 16 octobre 1941, condamnait " motu proprio " (comme il s'en était arrogé le droit en vertu de l'acte constitutionnel n° 7) à la détention dans le fort du Portalet Blum, Daladier, Gamelin, ainsi que Mandel et Reynaud que les juges refusaient d'inculper. Pétain, malgré quelques mises en garde, ne résistait pas à l'idée de ce procès public à grand spectacle qui étoufferait les rumeurs concernant ses responsabilités de patron de l'armée française pendant l'entre-deux-guerres et confondrait pour la postérité ses adversaires politiques. La presse reçut d'ailleurs pour consigne d'écrire " urbi et orbi " que le maréchal avait pris en 1934 la décision de décupler le budget de la guerre, ce qui était absolument faux. L'imbroglio juridique était total : alors qu'il s'agissait d'hommes déjà condamnés par le chef d'un Etat autoritaire, le président dut préciser, au début du procès, que la Cour considérait les accusés comme de simples prévenus. Les juges ne se plièrent que partiellement, en cette occasion du moins, aux pressions du pouvoir. Ils eurent, en tout cas, le courage de refuser qu'on pût rendre les inculpés responsables du déclenchement des hostilités. Le président et le procureur général surent respecter les formes : non seulement il leur arrivait de donner du " président " à Daladier comme à Blum, mais surtout ils laissèrent les inculpés s'exprimer largement, et les rappels à l'ordre de Caous restèrent courtois : " Monsieur Blum, le côté politique de votre argumentation n'intéresse pas la cour. Vous vous échappez trop souvent dans ce domaine ". Cela dit, malgré leurs dénégations ( " Pour la cour, le procès n'est pas et ne sera jamais un procès politique ", déclara Caous), tout en prétendant n'apprécier que les carences de la France en matière militaire, ils acceptèrent de mener un procès éminemment politique, celui du Front populaire et, derrière lui, de la République parlementaire. De surcroît, ils avaient pris grand soin de limiter soigneusement la chronologie : on ne remonterait pas en deçà de 1936, ce qui évitait que fût mis en cause le maréchal. On ne parlerait pas non plus de la conduite des opérations, ce qui ne pouvait que soulager nombre de généraux en revanche, étaient retenues parmi les griefs la loi des 40 heures, celle des congés payés, les nationalisations, sans oublier les faiblesses coupables à l'égard des " éléments subversifs et révolutionnaires ", toutes mesures qui, selon l'instruction, expliquaient les désastres de 40 et justifiaient l'inculpation de Blum. Une vingtaine d'audiences virent défiler, comme témoins cités par l'accusation, colonels et généraux : à quelques exceptions près, ils se plaignirent amèrement d'avoir manqué qui d'espadrilles à la bonne pointure, qui de jugulaires pour leurs casques de ce concert de lamentations, il ressortait que si les officiers supérieurs n'étaient en rien responsables du désastre militaire, les hommes politiques, eux, l'étaient totalement. Comment les inculpés allaient-ils réagir ? Gamelin choisit le silence : " Me taire, c'est encore servir " (ce dernier mot tournait chez lui au leitmotiv). Guy La Chambre ne fut pas très courageux, et Jacomet s'en tint à son dossier. Mais Daladier, et Blum, totalement solidaires, dominèrent le procès. Daladier en pleine forme, précis, cinglant, anéantit cette brochette de généraux vaincus et pleurnichards à celui qui attribuait 7 000 puis 6 000 blindés à la Wehrmacht, il répliquait ironiquement : " L'Allemagne a déjà perdu 1 000 chars en cinq minutes. " Il se permettait de traîner dans la boue le maréchal : " Aujourd'hui Gambetta serait en prison et Bazaine au gouvernement. " Blum choisit d'affirmer d'entrée de jeu ses convictions : " Si la République demeure l'accusée, nous resterons à notre poste de combat comme ses témoins et ses défenseurs. " Il fit éloquemment l'apologie du Front populaire et n'hésita pas à prendre la défense des communistes engagés dans la Résistance, notamment du syndicaliste Jean-Pierre Timbaud : " J'ai été souvent en bataille avec lui. Seulement, il a été fusillé et il est mort en chantant la Marseillaise... Alors, en ce qui concerne le PCF, je n'ajouterai rien ". La presse parisienne et collaborationniste éructait : " Au lieu d'abattre les salauds, on leur a donné une tribune ", s'emportait Je suis partout. Hitler en personne haussait le ton : le 15 mars, célébrant la Journée des héros, il s'étonnait que les Français soient incapables de juger rapidement les responsables du déclenchement de la guerre Mussolini en rajoutait : " Ce procès est une farce typique de la démocratie ". A Vichy, plongé dans l'embarras, on discutait, et bientôt on ne chercha plus qu'à sauver les apparences : sur le rapport de Darlan et de Barthélémy, le garde des sceaux, Pétain mit à profit, le 15 avril, la suspension des audiences, nécessaire pour que siège la cour d'assises, en renvoyant le procès, par décret, sine die, pour supplément d'information concernant notamment la manière dont avait été déclenchée la guerre. Un an plus tard, le 21 mai 1943, le procès était définitivement interrompu. JEAN-PIERRE AZEMA Le Monde du 17 février 1992

« Une vingtaine d'audiences virent défiler, comme témoins cités par l'accusation, colonels et généraux : à quelques exceptionsprès, ils se plaignirent amèrement d'avoir manqué qui d'espadrilles à la bonne pointure, qui de jugulaires pour leurs casques de ceconcert de lamentations, il ressortait que si les officiers supérieurs n'étaient en rien responsables du désastre militaire, les hommespolitiques, eux, l'étaient totalement. Comment les inculpés allaient-ils réagir ? Gamelin choisit le silence : " Me taire, c'est encore servir " (ce dernier mot tournaitchez lui au leitmotiv).

Guy La Chambre ne fut pas très courageux, et Jacomet s'en tint à son dossier.

Mais Daladier, et Blum,totalement solidaires, dominèrent le procès.

Daladier en pleine forme, précis, cinglant, anéantit cette brochette de générauxvaincus et pleurnichards à celui qui attribuait 7 000 puis 6 000 blindés à la Wehrmacht, il répliquait ironiquement : " L'Allemagnea déjà perdu 1 000 chars en cinq minutes.

" Il se permettait de traîner dans la boue le maréchal : " Aujourd'hui Gambetta serait enprison et Bazaine au gouvernement.

" Blum choisit d'affirmer d'entrée de jeu ses convictions : " Si la République demeurel'accusée, nous resterons à notre poste de combat comme ses témoins et ses défenseurs.

" Il fit éloquemment l'apologie du Frontpopulaire et n'hésita pas à prendre la défense des communistes engagés dans la Résistance, notamment du syndicaliste Jean-Pierre Timbaud : " J'ai été souvent en bataille avec lui.

Seulement, il a été fusillé et il est mort en chantant la Marseillaise...

Alors,en ce qui concerne le PCF, je n'ajouterai rien ". La presse parisienne et collaborationniste éructait : " Au lieu d'abattre les salauds, on leur a donné une tribune ", s'emportait Jesuis partout.

Hitler en personne haussait le ton : le 15 mars, célébrant la Journée des héros, il s'étonnait que les Français soientincapables de juger rapidement les responsables du déclenchement de la guerre Mussolini en rajoutait : " Ce procès est une farcetypique de la démocratie ". A Vichy, plongé dans l'embarras, on discutait, et bientôt on ne chercha plus qu'à sauver les apparences : sur le rapport deDarlan et de Barthélémy, le garde des sceaux, Pétain mit à profit, le 15 avril, la suspension des audiences, nécessaire pour quesiège la cour d'assises, en renvoyant le procès, par décret, sine die, pour supplément d'information concernant notamment lamanière dont avait été déclenchée la guerre.

Un an plus tard, le 21 mai 1943, le procès était définitivement interrompu. JEAN-PIERRE AZEMA Le Monde du 17 février 1992. »

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