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ARTICLE DE PRESSE: Le traité de non-prolifération nucléaire est prorogé

Publié le 17/01/2022

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11 mai 1995 - On a longuement célébré, jeudi 11 mai, à New York, le caractère " historique " de la prorogation, " pour une durée indéfinie ", du traité de non-prolifération nucléaire (TNP), entré en vigueur en mars 1970. Il s'agit en effet, comme a tenu à le souligner, de Kiev, le président américain Bill Clinton, d'une " mesure cruciale ", qui " renforce la sécurité de toutes les nations et de tous les peuples ". Cette décision, acquise sans vote par une " majorité " des 175 pays représentés à la conférence organisée par les Nations-unies, est d'abord une victoire de l'ensemble de la communauté internationale. Mais elle profite en premier lieu aux cinq grandes puissances nucléaires (Etats-Unis, Russie, Chine, Grande-Bretagne et France), dont le statut privilégié est réaffirmé et conforté. Plus d'un quart de siècle après avoir été conçu, l'objectif du TNP, précisé par plusieurs documents annexes, reste le même : éviter un conflit nucléaire. Il s'agit toujours de parvenir à " l'élimination complète des armes nucléaires " et à un traité de " désarmement général et complet sous un contrôle international strict et efficace ". Les nombreux exemples de pays qui, signataires ou non du TNP, ont cherché à se doter de l'arme atomique, montrent que celui-ci ne constitue pas un antidote absolu contre le risque de prolifération. Mais sa valeur et sa force doivent être appréciées a contrario : sans le traité et ses timides garde-fous, la prolifération " sauvage " se serait à coup sûr développée davantage, rendant le monde infiniment moins sûr qu'il ne l'est aujourd'hui. De ce point de vue, l'enjeu de l'âpre bataille diplomatique qui s'est prolongée pendant près d'un mois à New York, opposant notamment quatre des cinq Etats nucléaires (la Chine a été discrète) au " camp " des pays non alignés, n'était pas mince : pour les premiers, il était essentiel qu'un consensus soit à l'origine de la reconduction du TNP, et que celle-ci ne soit plus limitée dans le temps. C'est ce à quoi se sont employés, avec succès, les cinq " grands ". Un vote qui aurait étalé au grand jour les divisions qui se sont exprimées dans la coulisse, aurait affaibli le " message " du TNP, dont l'autorité, faute de mécanisme contraignant, réside dans le respect international qu'il peut inspirer. Paradoxalement, sa reconduction est à la fois une conséquence positive et un avatar de la fin de la guerre froide. Marché de dupes ? ? Il ne fait aucun doute que les efforts entrepris ces dernières années essentiellement par les Etats-Unis et la Russie pour réduire la taille des arsenaux nucléaires, a renforcé la crédibilité du TNP. La disparition de " blocs " antagonistes a favorisé la détente internationale et les progrès du désarmement. Mais la prorogation du TNP consacre un ordre stratégique qui remonte aux lendemains de la seconde guerre mondiale : les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations-unies restent seuls au sein de ce club si particulier, dont les membres s'autorisent (et eux seuls) à posséder l'arme nucléaire. Les devoirs et obligations des uns et des autres ne sont donc pas les mêmes. Alors que les pays non nucléaires s'engagent à renoncer pour toujours à l'arme atomique, les grandes puissances ne sont qu'incitées à poursuivre leurs efforts en vue du désarmement, à parvenir à un accord sur l'interdiction totale des essais nucléaires avant 1996, enfin à négocier dans les meilleurs délais une convention interdisant définitivement la production des matières fissiles nécessaires à la fabrication d'armes nucléaires. Ces puissances nucléaires s'engagent, d'autre part, à partager leurs connaissances et à accepter les transferts de technologie permettant aux premiers d'avoir accès à un usage pacifique de l'énergie nucléaire. Ceux-ci, en échange, devront respecter les mécanismes internationaux visant à éviter un détournement de cette énergie à des fins militaires. Marché de dupes ? Tout au long de cette négociation en forme de marchandage nucléaire, les grandes puissances ont su habilement jouer des divisions qui n'ont pas tardé à se faire jour dans le camp des cent douze pays du Mouvement des non-alignés, lesquels n'ont pas réussi à présenter la moindre proposition commune. En échange d'une extension illimitée du traité (certains pays souhaitaient une prorogation pour vingt-cinq ans, ainsi qu'un vote à bulletin secret), les puissances nucléaires ont accepté une série de concessions figurant dans trois annexes, mais dont la valeur est politique et non juridique. La facilité avec laquelle les " cinq " ont finalement approuvé ces documents montre assez, selon plusieurs diplomates, qu'ils se sentent peu liés par les " principes et objectifs de la non-prolifération et du désarmement " ou les dispositions relatives au " renforcement du processus d'examen du TNP ". Echec des pays arabes L'une des batailles les plus difficiles a été menée par seize pays arabes, qui souhaitaient singulariser Israël (Etat nucléaire officieux), afin de contraindre Jérusalem à signer le TNP, et à placer ses activités nucléaires sous le contrôle de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA). Les Etats-Unis s'y sont opposés, et, sur ce point comme sur d'autres, ils ont eu gain de cause. La diplomatie américaine, plutôt " musclée " selon plusieurs représentants de pays non nucléaires, a incontestablement joué un rôle majeur pour aboutir à un résultat qui a laissé amers plusieurs chefs de délégations : les membres du " club " nucléaire obtiennent " carte blanche " et leurs arsenaux sont de facto " légalisés ", a souligné le représentant de la Malaisie, Hasmy Bin Agam. Transferts de technologies Quel usage la communauté internationale va-t-elle faire d'un TNP qui n'est plus limité dans le temps ? Le même qu'auparavant paraît être la seule réponse réaliste, puisque les données de la " carte nucléaire " internationale ne changent pas. La France et la Chine n'excluent pas d'avoir recours à de nouveaux essais nucléaires, alors que les Etats-Unis, la Russie et la Grande-Bretagne estiment que leur technologie est suffisamment avancée pour procéder à des simulations sur ordinateurs. Tous les cinq ont nettement refusé de s'engager sur un calendrier de désarmement précis. Les trois Etats qui n'ont pas signé le TNP et qui sont considérés comme possesseurs de l'arme atomique (Inde, Pakistan et Israël) n'ont pas davantage l'intention de renoncer de sitôt à leur capacité nucléaire. Or ils ont acquis celle-ci dans le cadre de leurs recherches nucléaires " pacifiques et civiles ". Ce qui tend à faire réfléchir sur les dangers liés aux " transferts de technologie ". Trois autres pays, ceux-là signataires du TNP (Iran, Irak et Corée du Nord), sont soumis à une étroite surveillance, notamment de la part des Etats-Unis, qui s'efforcent, par la contrainte ou la persuasion, de les faire renoncer à leurs ambitions. Les Etats-Unis, à n'en pas douter, continueront à jouer ce rôle de " gendarme " de la prolifération nucléaire. Mais au sein même du club des " grands ", l'unité n'est que de façade : Washington ne parvient pas, par exemple, à convaincre Moscou et Pékin d'interrompre leur coopération nucléaire avec le régime de Téhéran. Le traité de non-prolifération nucléaire est donc une sorte de coquille vide, qui doit se combler au fur et à mesure que l'ensemble des pays signataires (rejoints par ceux qui ne l'ont pas encore fait), auront la volonté de traduire en actes l'esprit du traité auquel ils ont souscrit. AFSANE BASSIR-POUR, LAURENT ZECCHINI Le Monde du 13 mai 1995

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