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Article de presse: Le XXe congrès du PCUS

Publié le 22/02/2012

Extrait du document

14 février 1956 - Le 24 février 1956, le vingtième congrès du PC soviétique touchait à son terme. Réuni pour la première fois depuis la mort de Staline, l'organisme souverain du parti avait dès le premier jour placé ses travaux sous le signe de la " lutte contre le culte de la personnalité ". Alors que les membres du présidium prenaient place à la tribune, Nikita Khrouchtchev avait arrêté les ovations de la salle en s'écriant : " Ni Dieu ni maître ! ", puis, dans le rapport d'activité du comité central, avait, en quelques mots très secs, salué la mémoire du disparu. Il ne faisait aucun doute que ce congrès avait été celui de la déstalinisation. Qui s'en étonnait ? Quelques heures seulement après la mort de l'ancien dictateur, tous ses héritiers avaient commencé à détruire son oeuvre. Dans les séances publiques du congrès, les orateurs avaient avec plus ou moins de force, plus ou moins de conviction, révisé la doctrine stalinienne. Il n'était plus question par exemple de diviser le monde en deux blocs : les bons socialistes et tous les autres, qui appartenaient au camp impérialiste. Désormais il y avait trois groupes, puisque les neutres constituaient la " zone de paix ". Et même dans les pays capitalistes, les pacifistes étaient, selon le congrès, de plus en plus nombreux et influents. Quant aux communistes des pays bourgeois, ils devaient, dans la mesure du possible, venir au pouvoir en suivant la voie parlementaire. Deux orateurs cependant, Anastase Mikoyan et l'historienne Pankratova, avaient osé proclamer que les derniers écrits de Staline étaient nuisibles. Quand le débat fut achevé, les Soviétiques demandèrent aux représentants des partis frères de quitter la salle. C'était une exigence normale : après avoir précisé sa ligne, le parti ne devait-il pas régler à huis clos les questions d'organisation, voire arbitrer des querelles de personnes ou de groupes ? Personne ne se doutait alors que le congrès allait prendre connaissance du document le plus extraordinaire de l'histoire du communisme, ce rapport secret qui devait ébranler l'empire soviétique. Trois mois plus tard, le monde entier connaissait le contenu de ce discours explosif. Mais qui peut dire avec certitude pourquoi Nikita Khrouchtchev s'est décidé à accabler comme il le fit son prédécesseur ? Naturellement on peut penser que, puisque le parti appliquait en certains domaines une politique contraire à celle de Staline, il fallait donner des explications aux militants, justifier le changement de cap. La recherche de la vérité historique était-elle le premier souci des dirigeants soviétiques ? L'étude du rapport secret laisse sur leur faim ceux qui veulent savoir ce qui s'est réellement passé en URSS. Le Staline qui y est décrit est un héros positif jusqu'en 1934 : on le félicite d'avoir lutté énergiquement contre les trotskistes et les boukhariniens sans reconnaître le moindre mérite aux anciens compagnons de Lénine. On oublie de mentionner qu'il a ordonné ou accepté le massacre de millions de paysans. En revanche, on lui reproche d'avoir exterminé des staliniens ou des chefs militaires. Par son contenu, par son style, le rapport révélait la peur de ceux qui n'avaient échappé au carnage que parce que Staline avait eu le bon goût de mourir avant une nouvelle purge. Mais ce grand déballage ne s'expliquait pas que par la peur rétrospective ou le désir de M. " K " de se venger des humiliations que son ancien patron lui avait infligées. Ceux qui avaient décidé l'opération poursuivaient des objectifs à court terme. La divulgation des crimes, la dénonciation du culte de la personnalité, étaient un épisode de la lutte pour le pouvoir qui se déroulait au Kremlin. Qui donc lança la bombe ? On a soutenu que le rapport secret prononcé par Nikita Khrouchtchev était en réalité une opération anti-Khrouchtchev. Plusieurs membres du présidium qu'inquiétait le dynamisme du premier secrétaire auraient obligé leur collègue à condamner Staline afin qu'il n'y ait jamais plus un seul patron à la tête du parti. L'hypothèse est fragile. Ne vaut-il pas mieux penser, jusqu'à preuve du contraire, que Nikita Khrouchtchev prit lui-même l'initiative d'ouvrir les dossiers lorsqu'il constata que le congrès réagissait favorablement au discours d'Anastase Mikoyan? Que, en découvrant les horreurs du passé, il comptait mettre dans l'embarras quelques-uns de ses collègues qui avaient pris une part active aux épurations et qui le gênaient ? En tout cas, pendant de longs mois, le premier secrétaire reprocha à ses rivaux de s'opposer à l'application des directives du vingtième congrès. C'est pour ce motif qu'il les fit condamner en 1957 par le comité central, alors qu'il avait été mis en minorité au présidium, et, en 1961, il affirma que Viatcheslav Molotov, Gueorgui Malenkov, Lazare Kaganovitch et le maréchal Vorochilov avaient constitué un groupe " antiparti " parce qu'ils voulaient étouffer l'instruction des crimes de la période stalinienne. Mais le rapporteur et ceux qui l'avaient inspiré prenaient de très gros risques. Aucun des chefs du Kremlin ne pouvait se déclarer étranger aux turpitudes de cette époque. Tous, ils avaient exercé de hautes responsabilités sous les ordres du défunt dictateur. Tous, ils avaient monté dans la hiérarchie grâce aux purges. Tous, ils avaient contribué à " démasquer les traîtres ". Puisqu'ils n'étaient pas avec les victimes pendant les drames, ils se trouvaient forcément au côté des bourreaux. En proclamant les fautes de leur défunt maître, ils portaient atteinte à leur propre prestige. Pendant des années, ils avaient été complices, aveugles ou froussards : piètre référence pour des hommes qui prétendaient diriger l'URSS et le monde communiste. De plus, ils ébranlaient de façon irrémédiable une des bases de leur pouvoir. Au nom du déterminisme historique, le marxisme-et même le léninisme-rejette au second plan le rôle de la personnalité. Il n'empêche que, pendant une trentaine d'années, tout le système soviétique a été fondé sur la terreur et sur le dogme de l'infaillibilité de l'idole. L'autorité venait d'en-haut. Tous ceux qui avaient le droit de donner des ordres en URSS et dans les PC étrangers n'étaient que le reflet de Staline. Le rapport secret détruit toute cette pyramide alors que les chefs du Kremlin n'étaient pas prêts à faire jusqu'au bout l'inventaire du passé, ni à remplacer par la démocratie le régime autoritaire. Il était dès lors prévisible que le mouvement échapperait à leur contrôle. En effet, quelques semaines après le congrès, les étudiants, les ouvriers soviétiques, s'agitaient : ils demandaient des comptes à leurs dirigeants et osaient dire qu'ils ne croyaient pas ce qu'on leur racontait. Les Polonais et les Hongrois exigeaient le départ des dirigeants staliniens, ils réclamaient une révision profonde du régime. De l'autre côté, les Chinois commençaient à penser que leurs camarades soviétiques perdaient la tête. Presque toutes les crises qui ont secoué le monde communiste par la suite sont la conséquence du rapport secret. Cela ne signifie d'ailleurs pas que les troubles auraient été évités si Nikita Khrouchtchev s'était tu le 24 février 1956. Son discours a précipité les événements plutôt qu'il ne les a provoqués. La vérité, c'est que l'URSS, le monde communiste, ont été menés par des méthodes brutales, inhumaines et absurdes et que Staline était fort heureusement irremplaçable. Alors, le système devait craquer plus ou moins tôt après la disparition du fétiche. Certains se demandent à présent en URSS et ailleurs si Khrouchtchev n'a pas exagéré et s'il ne convient pas de reconnaître les vertus du dictateur décédé en 1953. Emporté par sa colère, l'orateur du rapport secret a, en effet, oublié de dire que, après avoir décapité l'armée, son prédécesseur avait aussi travaillé à la victoire de 1945. On pourrait également faire le bilan des progrès matériels enregistrés par l'URSS pendant les années du culte de la personnalité. Mais ces résultats ont été obtenus au prix de massacres inutiles et de la perversion du système. Aujourd'hui encore l'Union soviétique ne parvient pas à extirper le mal qui l'a frappée. En réalité, Khrouchtchev n'est pas allé, il ne pouvait aller aussi loin qu'il le fallait. Il importe moins de peser les mérites et les crimes de Staline que de savoir pourquoi le PC soviétique s'est confié à un tel maître et pourquoi il ne reconnaît pas encore que, ce faisant, il a commis une dramatique erreur d'aiguillage. En dosant les critiques, M. " K " a pris des demi-mesures qui devaient mécontenter à peu près tout le monde, alors qu'il lui aurait sans doute fallu répudier totalement le stalinisme. BERNARD FERON Le Monde du 23 février 1966

« rejette au second plan le rôle de la personnalité.

Il n'empêche que, pendant une trentaine d'années, tout le système soviétique aété fondé sur la terreur et sur le dogme de l'infaillibilité de l'idole.

L'autorité venait d'en-haut.

Tous ceux qui avaient le droit dedonner des ordres en URSS et dans les PC étrangers n'étaient que le reflet de Staline.

Le rapport secret détruit toute cettepyramide alors que les chefs du Kremlin n'étaient pas prêts à faire jusqu'au bout l'inventaire du passé, ni à remplacer par ladémocratie le régime autoritaire. Il était dès lors prévisible que le mouvement échapperait à leur contrôle.

En effet, quelques semaines après le congrès, lesétudiants, les ouvriers soviétiques, s'agitaient : ils demandaient des comptes à leurs dirigeants et osaient dire qu'ils ne croyaient pasce qu'on leur racontait.

Les Polonais et les Hongrois exigeaient le départ des dirigeants staliniens, ils réclamaient une révisionprofonde du régime.

De l'autre côté, les Chinois commençaient à penser que leurs camarades soviétiques perdaient la tête. Presque toutes les crises qui ont secoué le monde communiste par la suite sont la conséquence du rapport secret.

Cela nesignifie d'ailleurs pas que les troubles auraient été évités si Nikita Khrouchtchev s'était tu le 24 février 1956.

Son discours aprécipité les événements plutôt qu'il ne les a provoqués.

La vérité, c'est que l'URSS, le monde communiste, ont été menés pardes méthodes brutales, inhumaines et absurdes et que Staline était fort heureusement irremplaçable.

Alors, le système devaitcraquer plus ou moins tôt après la disparition du fétiche. Certains se demandent à présent en URSS et ailleurs si Khrouchtchev n'a pas exagéré et s'il ne convient pas de reconnaître lesvertus du dictateur décédé en 1953.

Emporté par sa colère, l'orateur du rapport secret a, en effet, oublié de dire que, après avoirdécapité l'armée, son prédécesseur avait aussi travaillé à la victoire de 1945.

On pourrait également faire le bilan des progrèsmatériels enregistrés par l'URSS pendant les années du culte de la personnalité.

Mais ces résultats ont été obtenus au prix demassacres inutiles et de la perversion du système.

Aujourd'hui encore l'Union soviétique ne parvient pas à extirper le mal qui l'afrappée. En réalité, Khrouchtchev n'est pas allé, il ne pouvait aller aussi loin qu'il le fallait.

Il importe moins de peser les mérites et lescrimes de Staline que de savoir pourquoi le PC soviétique s'est confié à un tel maître et pourquoi il ne reconnaît pas encore que,ce faisant, il a commis une dramatique erreur d'aiguillage.

En dosant les critiques, M.

" K " a pris des demi-mesures qui devaientmécontenter à peu près tout le monde, alors qu'il lui aurait sans doute fallu répudier totalement le stalinisme. BERNARD FERON Le Monde du 23 février 1966. »

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