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Article de presse: L'expérience Pinay

Publié le 17/01/2022

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23 décembre 1952 - Le gouvernement dirigé par Antoine Pinay du 6 mars au 23 décembre 1952 a été un moment important de l'histoire de la IVe République, et son président, inconnu la veille encore, un des deux ou trois chefs de gouvernement dont l'opinion ait retenu le nom, qui ait joui d'une indéniable popularité et dont la chute ait été regrettée. Bien que son investiture à une courte majorité ait été une surprise et peut-être le résultat d'une erreur de calcul, elle venait à son heure et traduisait l'infléchissement du rapport des forces à la suite des élections du 17 juin 1951. Pour la première fois depuis la Libération, la direction du gouvernement revenait à un homme du centre droit : son accession consacrait le retour en force de la droite libérale, réorganisée depuis 1948 autour du Centre national des indépendants. Le corollaire était le passage à l'opposition des socialistes, amorcé depuis l'adoption des lois Marie et Barangé par une coalition de droite. Pour investir A. Pinay, il fallut cependant l'appoint d'une fraction de députés élus sous l'étiquette du RPF : vingt-sept dissidents gaullistes, en passant outre à la discipline du groupe et en enfreignant la consigne formelle de ne pas apporter le moindre concours aux partis, assurèrent le succès du leader indépendant. Leur défection était le signe que l'attraction de la droite classique était désormais plus forte sur nombre d'élus que la fidélité au général de Gaulle; c'était l'annonce de la désagrégation prochaine du Rassemblement et de l'échec des vues de son chef. Le nouveau président du conseil bénéficia dès les premières semaines d'un préjugé favorable auprès de larges secteurs de l'opinion qui aspiraient, après des années de dirigisme et d'inflation, à un desserrement des contrôles et à un minimum de stabilité. Il avait pour lui d'apparaître comme un homme de bon sens et un Français comme les autres : ne disait-on pas qu'il avait une tête d'électeur ? Il tenait un langage propre à séduire par des maximes simples et classiques : il parie sur la confiance des épargnants, renonce à alourdir la fiscalité et recourt à des recettes éprouvées qui sentent le poincarisme; diminution des dépenses publiques, recherche de l'équilibre du budget, défense du franc. Une amnistie fiscale favorise la rentrée des capitaux partis à l'étranger. Il lance un grand emprunt, que ses conditions rendent particulièrement intéressant pour les souscripteurs : exonération d'impôt et des droits de succession. Sa politique est servie par les circonstances : elle coïncide avec un renversement de la conjoncture internationale; la tendance s'oriente à la baisse des prix mondiaux après la flambée provoquée par la guerre de Corée. A. Pinay s'emploie à tirer parti de cette heureuse concomitance : un coup d'arrêt est porté à la hausse, l'inflation stoppée, le franc défendu. Depuis 1945, la France avait financé sa reconstruction et la modernisation de son économie par la dégradation de la monnaie : le processus est enrayé; la stabilisation obtenue prépare la relance : l'expérience Pinay s'est ainsi trouvée être un palier entre la fin de la reconstruction et les vingt années d'expansion qui allaient suivre. En politique intérieure, le gouvernement poursuit celle de ses prédécesseurs : arrestations et procès sanctionnant l'agitation du Parti communiste contre l'OTAN. A. Pinay n'est pas pour autant un partenaire complaisant des Etats-Unis, et l'opinion lui sait gré d'avoir rejeté avec hauteur une note du gouvernement de Washington. Après une euphorie de quelques mois, le gouvernement voit renaître les difficultés : il doit recourir au blocage des prix pour prévenir une nouvelle poussée de hausse; le succès de la stabilisation a découragé les investissements et se paie d'une relative stagnation qui menace de compromettre l'avenir. La politique sociale réveille le dissentiment latent avec le MRP. Plutôt que de prolonger de quelques semaines une existence précaire, A. Pinay préfère prendre les devants et remet sa démission. Bien que brève, l'expérience laissera un souvenir durable : on prononcera périodiquement le nom de M. Pinay dans les situations critiques; le général de Gaulle lui confiera, en 1958, le ministère des finances et de l'économie, et il se trouvera ainsi associé, sans y avoir eu une grande part, au rétablissement des grands équilibres. Son nom demeure encore une caution, et son expérience une référence trente ans plus tard.

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