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Article de presse: Mandela passe le témoin

Publié le 17/01/2022

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16 décembre 1997 - Le président Nelson Mandela a ouvert, mardi 16 décembre, la cinquantième conférence du Congrès national africain (ANC) par un discours d'une dureté sans précédent à l'égard de la minorité blanche et de ses représentants politiques. L'intervention de M. Mandela coïncidait pourtant avec la Journée de la réconciliation, thème qu'il affectionne habituellement. Mais en présentant son rapport de président sortant du parti devant plus de 3000 délégués réunis à Mafikeng, l'ancienne capitale du Bophuthatswana, un homeland indépendant au temps de l'apartheid, M. Mandela a accusé les Blancs de " résister au changement " . Il a reproché aux formations politiques qui les représentent de défendre " une position réactionnaire, dangereuse et opportuniste, plutôt que de suivre un programme conforme à l'intérêt national " . Le chef de l'Etat s'en est pris tout particulièrement au Parti national (NP), au pouvoir sous l'apartheid. Il a fustigé " une arrogance qui découle de l'attachement aux idées de supériorité raciale " . " Cela montre qu'il nous reste encore un long chemin à parcourir avant de pouvoir unir la majorité de notre peuple " , a-t-il affirmé. Le président sud-africain a encore été plus loin en dénonçant une " campagne de déstabilisation destinée à maintenir les privilèges de l'apartheid " et à saboter l'action du pouvoir noir. Sans donner de précisions, le chef de l'Etat a évoqué l'existence d'une " conspiration et d'un réseau contre-révolutionnaire " proches des anciens cercles dirigeants. Selon lui, cette mouvance disposerait d'appuis à l'étranger, parmi, notamment, " des groupes néofascistes " . Ces paroles accusatrices et inhabituellement véhémentes de la part de M. Mandela ont surpris les nombreux diplomates et journalistes étrangers présents dans la salle des congrès de l'université de Mafikeng. Elles ont provoqué un étonnement mêlé de colère au sein des partis politiques incriminés. Le NP a ainsi déploré la " paranoïa " du président Mandela. Son discours, il est vrai, contraste avec l'image de Père de la nation que le chef de l'Etat cultive en temps normal, prônant à chaque occasion la réconciliation et la patience. Deux jours seulement avant l'ouverture du congrès de l'ANC, le président Mandela avait joué encore sur ce registre, lors de son dernier entretien accordé en tant que chef du parti, diffusé par la télévision sud-africaine. S'adressant à la nation, le chef de l'Etat s'était voulu rassurant sur sa succession. Il avait affirmé que son dauphin, le vice-président Thabo Mbeki, suivrait la même ligne de conduite modérée et conciliante. Discours musclé Mais, à Mafikeng, c'est le tribun politique qui s'est exprimé, afin de mobiliser et de ressouder les militants de son parti. " Madiba " , comme l'appellent affectueusement ses partisans, avait d'ailleurs délaissé son habituelle chemise chamarrée au profit d'un T-shirt jaune portant un slogan de l'ANC : " Bâtir sur des fondations pour une vie meilleure " . M. Mandela a cherché à donner de la consistance à ce slogan par le biais d'un discours particulièrement musclé à l'encontre des Blancs. Pour autant, il s'est bien gardé d'annoncer la moindre mesure concrète à l'égard de cette minorité et l'approche prudente du pouvoir noir ne semble pas devoir fondamentalement changer. Le président sortant de l'ANC a voulu, avant tout, apaiser l'impatience et l'inquiétude des militants comme des électeurs face à la lenteur des changements depuis 1994. M. Mandela en a profité, du même coup, pour priver d'arguments l'aile gauche de l'ANC, qui s'est fait le porte-voix du désenchantement au détriment de l'unité du parti. Son ex- épouse, Winnie Madikizela-Mandela, se voit ainsi couper l'herbe sous le pied dès le début du congrès. Ses arguments populistes porteront sans doute beaucoup moins après le durcissement opéré par son ex-mari. Les réactions de la salle pendant le discours du président Mandela ont fourni une première indication dans ce sens. Enthousiastes et déchaînés, les 3000 délégués de l'ANC ont ponctué l'intervention de Nelson Mandela d'applaudissements, de chansons et de danses, avant de saluer la fin de son discours par une longue ovation. " C'est vrai qu'il a été dur. Mais il n'a fait que dire les choses comme elles sont. Et c'est bien comme ça " , affirmait l'un des délégués en quittant la salle. FREDERIC CHAMBON Le Monde du 18 décembre 1997

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