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Article de presse: Molotov, le fonctionnaire de la révolution

Publié le 22/02/2012

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2 juin 1956 - Dans cet univers où les gloires d'une époque tombaient brusquement au rang d'ennemis du peuple, Vlatcheslav Mikhaïlovitch Skriabine, plus connu du monde entier sous son pseudonyme de Molotov (marteau), aura suivi une carrière d'une étonnante rectitude, avec quelques bas et, tout compte fait, beaucoup de hauts. Qu'on en juge plutôt par la succession de dates qui marquent sa vie. En 1906 Skriabine, alors âgé de seize ans, adhère à la fraction bolchevique du parti. C'est un tout jeune étudiant, issu d'une modeste famille de fonctionnaires du gouvernement de Viatka, aujourd'hui province de Kirov, dans la région préouralienne, à l'est de Moscou. Pendant six ans il demeure un militant du rang. Ses activités clandestines parviennent à la connaissance de la police impériale. A dix-neuf ans il est condamné et déporté. Pas pour longtemps, car deux ans plus tard il regagne Saint-Pétersbourg et achève ses études. Mais dès cette époque se produit l'événement qui décidera de toute sa carrière politique. En 1912, en effet, il se lie d'amitié avec l'un de ses aînés dans le mouvement révolutionnaire, Joseph Staline. C'est le début d'une longue collaboration. Qui ne cessera pas un seul jour jusqu'en 1953. Dans les dernières années du régime impérial le jeune Molotov assume des responsabilités de premier plan et dirige en fait la Pravda, dont il est en principe le secrétaire de rédaction. En 1916, Lénine le nomme membre du bureau russe du comité central du parti. Il est bel et bien lancé dans le sillage de Staline. Lénine appréciait son extraordinaire capacité de travail, mais ne le croyait pas promis aux plus hauts postes : ne l'appelait-il pas " le parfait bureaucrate de la révolution " ? D'autres, en ce temps-là, avaient l'étoffe qui manquait à Molotov. Ces autres que Staline, pour conquérir le pouvoir, allait éliminer avec l'aide de ses quelques fidèles, avec l'aide en particulier de Molotov, devenu secrétaire du parti (1921), membre du bureau politique (1926) et secrétaire de la région de Moscou (1928). Il fit à ce poste place nette des " ennemis du peuple ", des " déviationnistes de droite ", pour le compte de Staline et pour le sien propre. Car en 1930 le président du conseil des commissaires du peuple-chef du gouvernement-Rykov est limogé, Molotov prend sa place et la gardera pendant onze ans. En mai 1941, Staline estime que le personnage suprême dans le parti doit être en même temps le chef du gouvernement. Molotov s'efface au profit de son chef : du fait des circonstances cette retraite n'a rien d'une déchéance, d'autant plus que l'ancien chef du gouvernement reste premier adjoint de Staline et conserve le portefeuille des affaires étrangères qu'il avait pris à Litvinov avant de signer le pacte franco-soviétique. Depuis 1939 il garde la haute main sur la diplomatie soviétique, même pendant la période 1949-1951 où les chefs du parti furent déchargés des responsabilités gouvernementales précises, et c'est Vichinsky qui eut le titre de ministre des affaires étrangères. La mort de Staline marqua en fait le début de son déclin. Il redevint ministre des affaires étrangères dans le gouvernement Malenkov, mais c'était justement un gouvernement Malenkov et non le gouvernement Molotov que certains observateurs avaient prédit. Dans la nouvelle direction politique, il n'était plus qu' " un parmi les autres ", et, à deux ou trois reprises, les humiliations ne lui furent pas épargnées. La Pravda reproduisit un article de " Borba " critiquant vivement Molotov et ne le réfuta pas. Dès lors, les relations de l'URSS avec les autres Etats communistes échappèrent de plus en plus, semble-t-il, à sa compétence. On lui chercha quelque chicane également à propos de ses théories, et il dut publier une autocritique en octobre 1955, pour n'avoir point dit que le socialisme était d'ores et déjà réalisé en URSS. Pendant que le vieux leader prenait de plus en plus ouvertement le chemin d'une retraite honorable, un comingman voyageait à Belgrade ou à Pékin, dans l'ombre de Boulganine et Khrouchtchev : Chepilov. Le Monde du 3-4 juin 1956

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