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Article de presse: Une révolution qui dévore ses enfants

Publié le 22/02/2012

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29 juillet 1981 - La première phase du régime islamique est déroutante. Mehdi Bazargan est tout sauf un révolutionnaire, terme qui-de son propre aveu-lui " fait froid dans le dos ". Ingénieur polytechnicien, parlant élégamment le français, de manières raffinées, il n'a rien de commun avec les mostazafin (déshérités), ces " sans-culotte " de l'Islam qui veulent tout détruire sur leur passage. Faute d'une monarchie constitutionnelle, qu'il appelait de ses voeux, il croyait pouvoir rénover les institutions de l'ancien régime pour en faire une république parlementaire. Il s'opposera donc, en vain, au démantèlement de la police et de l'armée, à la création des comités islamiques et des pasdaran (gardiens de la révolution), aux épurations extensives dans les administrations, aux exécutions sommaires décrétées par les tribunaux islamiques. Il résistera encore aux nationalisations successives du secteur bancaire, des compagnies d'assurances et des complexes industriels, à la saisie de grandes propriétés foncières par des paysans en armes, effectuées avec la bénédiction du " clergé militant ". Bien que musulman, pieux et pratiquant, il élève des objections à la Constitution islamique telle que la conçoit l' " assemblée des experts ", élue au suffrage universel en août, et confie à des journalistes occidentaux son dégoût de " mollahs ignorants et arrogants " qui s'infiltrent dans les rouages de l'Etat. Les propos qu'il tient sur l'imam Khomeiny ( " un primaire doublé d'un génie " ) ne sont pas tous flatteurs. Pourquoi le " guide de la révolution " a-t-il investi un homme dont les opinions sont aussi éloignées des siennes? Rétrospectivement, on peut estimer qu'il l'avait choisi à bon escient, pour des raisons tactiques. Mehdi Bazargan, qui s'est entouré de ministres plutôt conservateurs, des " modérés " du Front national, d'anciens officiers supérieurs de l'armée impériale, des hommes d'affaires enrichis sous le régime du chah, présente une figure de proue rassurante à un moment où les forces contre-révolutionnaires demeurent potentiellement menaçantes. Vaincues, l'armée impériale et la SAVAK n'étaient pas pour autant détruites. Elles espéraient, comme les grands marchands du Bazar, les classes moyennes, les fonctionnaires, qui contrôlaient l'administration de l'Etat et l'économie, survivre au sein d'une république " bourgeoise ", libérale et pro-occidentale. A l'autre extrémité de l'éventail politique, la gauche islamique (en particulier les Moudjahidin du peuple), les marxistes non communistes, les autonomistes kurdes, misaient sur le libéralisme de Meldi Bazargan pour occuper le terrain dégagé par la vague khomeiniste. La tactique de l'imam consistait à les ménager provisoirement, en leur donnant un gouvernement selon leurs voeux, tout en privant celui-ci de la réalité du pouvoir. Contre le " Grand Satan " L'opération chirurgicale terminée avec la destruction des instruments du pouvoir impérial, l'imam Khomeiny oblige le premier ministre à démissionner, le 6 novembre 1979, deux jours après l'occupation de l'ambassade américaine par les " étudiants islamiques fidèles à la ligne de l'imam ". Ces derniers entendaient protester tout autant contre l'admission du chah dans un hôpital new-yorkais que contre la tentation de Mehdi Bazargan, quelques jours plus tard, de normaliser les relations entre Téhéran et Washington. La " deuxième révolution ", celle dirigée contre le " Grand Satan " américain, commence par une explosion populaire qui surprend, par son ampleur, même l'entourage immédiat de l'imam Khomeiny. Celui-ci en profite doublement : il ressoude l'unité d'un peuple tiraillé par des factions antagonistes; il rompt le cordon ombilical qui lie l'Iran aux Etats-Unis depuis le coup d'Etat fomenté par la C.I.A. en 1953, qui avait rétabli sur son trône Mohamed Reza Pahlavi. Les livraisons pétrolières aux clients d'outre-Atlantique sont arrêtées; des contrats industriels ou d'armement sont dénoncés sans compensation; le rial divorce du dollar; le président Carter gèle les avoirs iraniens; la chasse est donnée aux " agents " et aux " espions " à la solde de l'Amérique, pour la plupart des hommes politiques " libéraux " favorables à une normalisation avec les Etats-Unis. La trace de leur " félonie " n'avait-elle pas été opportunément trouvée dans les archives confidentielles de l'ambassade américaine à Téhéran? L'anti-impérialisme de l'imam Khomeiny n'avait plus rien à envier à celui des mouvements radicaux, musulmans ou laïques, nationalistes ou marxistes, dont le déclin, une impitoyable répression aidant, ira désormais en s'accélérant. L'élection à la présidence de la République de Bani Sadr, en janvier 1980, apparaît rétrospectivement comme un accident de parcours qui eut comme effet de transposer la lutte entre les maktabis (khomeinistes) et les libéraux (termes utilisés pour désigner partisans et adversaires de la ligne " radicale " de l'imam Khomeiny) aux sphères supérieures de l'Etat. Désigné à la magistrature suprême grâce à un concours de circonstances qui avait échappé au contrôle de l'imam, Bani Sadr ne tarda pas à faire figure de chef de l'opposition, ou tout au moins de porte-drapeau pour les adversaires, de tous bords, de la république khomeiniste. A la Constituante, il s'était élevé contre les " prérogatives exagérées " que l'on s'apprêtait à conférer au faguih (le " tuteur ", titre de l'imam). Il réprouvait tout autant la justice expéditive des tribunaux révolutionnaires que le comportement des comités islamiques et des pasdaran, qu'il avait l'intention de dissoudre. Il s'était dressé, dès la première heure, contre la prise en otage des diplomates américains avant de s'opposer, quatorze mois plus tard, au marché conclu avec Washington, inique à ses yeux, qui devait conduire à leur libération. Sa destitution, le 21 juin 1981, et surtout l'attentat qui, une semaine plus tard, devait coûter la vie à une centaine de dirigeants réunis au siège du Parti de la République islamique, devaient ouvrir un nouveau chapitre dans la chasse aux " libéraux ", parmi lesquels furent classés les marxistes, et des formations islamiques dissidentes, les Moudjahidin du peuple en tête, que les officiels désignent, selon le cas, comme étant des " hypocrites " ou des " gauchistes américains ". La terreur La troisième phase de la révolution islamique-celle de la consolidation du pouvoir khomeiniste-se caractérise par deux démarches apparemment contradictoires : " libéralisation " (toute relative) de l'économie et intensification de la répression. Jamais autant de sang n'a coulé qu'au cours des dix-huit mois qui ont suivi le départ en exil, en juillet 1981, de Bani Sadr et de son allié de fraîche date Massoud Radjavi, le chef des Moudjahidin. Ces derniers, ainsi que d'autres groupements, déclenchent une vague, particulièrement meurtrière, d'attaques armées, d'attentats à l'explosif, d'assassinats qui déciment la classe dirigeante. Parmi les tués figurent, outre les principaux responsables du parti républicain, le successeur de Bani Sadr à la présidence de la République, le chef du gouvernement, des ministres, des dizaines de députés et des membres éminents du clergé, des centaines de pasdarans, sans compter les victimes civiles. La riposte des autorités est foudroyante : elles procèdent à des milliers d'arrestations et à des centaines d'exécutions capitales. Selon une estimation d'Amnesty International, en août 1982, quatre mille six cents personnes au moins ont été passées par les armes depuis l'avènement de la République islamique, dont plus de la moitié après la déchéance de Bani Sadr. Quoi qu'il en soit, la terreur vient à bout, dès février dernier, non seulement du terrorisme, mais aussi des diverses oppositions organisées, islamiques ou marxistes, qui avaient eu recours à la violence. En mars 1982, les autorités libèrent neuf mille détenus et annoncent leur intention d'en élargir quinze mille autres. La répression permet de renforcer, en les institutionnalisant, les pasdarans, les comités islamiques-quelque six mille, qui quadrillent le pays,-divers services de sécurité, organismes naguère " parallèles " à ceux de l'Etat. Paradoxalement, cette terreur s'accompagne de certaines mesures économiques que les " libéraux ", tant décriés, n'auraient pas désavouées. Le doublement de la production pétrolière-qui passe de 1 million à plus de 2 millions de barils par jour en un an,-vendue au rabais, permet non seulement de financer la guerre contre l'Irak, mais aussi d'importer des produits de consommation courante, au détriment, semble-t-il, des biens d'équipement. D'importants contrats sont signés avec la Turquie et le Pakistan, naguère classés dans la catégorie des " satellites des Etats-Unis ". Les échanges s'intensifient avec le Japon et certains pays d'Europe occidentale, notamment l'Italie et l'Allemagne. ERIC ROULEAU Le Monde du 6-7 février 1983

« République islamique, devaient ouvrir un nouveau chapitre dans la chasse aux " libéraux ", parmi lesquels furent classés lesmarxistes, et des formations islamiques dissidentes, les Moudjahidin du peuple en tête, que les officiels désignent, selon le cas,comme étant des " hypocrites " ou des " gauchistes américains ". La terreur La troisième phase de la révolution islamique-celle de la consolidation du pouvoir khomeiniste-se caractérise par deuxdémarches apparemment contradictoires : " libéralisation " (toute relative) de l'économie et intensification de la répression.

Jamaisautant de sang n'a coulé qu'au cours des dix-huit mois qui ont suivi le départ en exil, en juillet 1981, de Bani Sadr et de son alliéde fraîche date Massoud Radjavi, le chef des Moudjahidin.

Ces derniers, ainsi que d'autres groupements, déclenchent une vague,particulièrement meurtrière, d'attaques armées, d'attentats à l'explosif, d'assassinats qui déciment la classe dirigeante.

Parmi lestués figurent, outre les principaux responsables du parti républicain, le successeur de Bani Sadr à la présidence de la République,le chef du gouvernement, des ministres, des dizaines de députés et des membres éminents du clergé, des centaines de pasdarans,sans compter les victimes civiles.

La riposte des autorités est foudroyante : elles procèdent à des milliers d'arrestations et à descentaines d'exécutions capitales.

Selon une estimation d'Amnesty International, en août 1982, quatre mille six cents personnes aumoins ont été passées par les armes depuis l'avènement de la République islamique, dont plus de la moitié après la déchéance deBani Sadr. Quoi qu'il en soit, la terreur vient à bout, dès février dernier, non seulement du terrorisme, mais aussi des diverses oppositionsorganisées, islamiques ou marxistes, qui avaient eu recours à la violence.

En mars 1982, les autorités libèrent neuf mille détenus etannoncent leur intention d'en élargir quinze mille autres.

La répression permet de renforcer, en les institutionnalisant, lespasdarans, les comités islamiques-quelque six mille, qui quadrillent le pays,-divers services de sécurité, organismes naguère" parallèles " à ceux de l'Etat. Paradoxalement, cette terreur s'accompagne de certaines mesures économiques que les " libéraux ", tant décriés, n'auraient pasdésavouées.

Le doublement de la production pétrolière-qui passe de 1 million à plus de 2 millions de barils par jour en un an,-vendue au rabais, permet non seulement de financer la guerre contre l'Irak, mais aussi d'importer des produits de consommationcourante, au détriment, semble-t-il, des biens d'équipement.

D'importants contrats sont signés avec la Turquie et le Pakistan,naguère classés dans la catégorie des " satellites des Etats-Unis ".

Les échanges s'intensifient avec le Japon et certains paysd'Europe occidentale, notamment l'Italie et l'Allemagne. ERIC ROULEAU Le Monde du 6-7 février 1983. »

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