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Article de presse: Vo Nguyen Giap un général politique

Publié le 22/02/2012

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30 avril 1975 - Il est rond, souriant, affable, sûr de lui; il vit dans ses bureaux de Hanoï les combats au Sud comme s'il les dirigeait d'un bunker de jungle; il a fait Dien-Bien-Phu; il a toujours été certain de vaincre les Américains ( " Les Huns du vingtième siècle ", comme il dit); il s'emporte; il s'exprime parfaitement en français, et chaque mot part comme une balle. Il s'appelle Vo Nguyen Giap, il est membre du bureau politique du Parti des travailleurs, vice-premier ministre, ministre de la défense nationale de la RDV, commandant en chef de l'armée populaire. Entre deux phrases de Pham Van Dong (le premier ministre), le visiteur a le temps de boire du thé ou de manger un gâteau. Avec Giap, il n'est guère question de se restaurer : c'est un peu comme s'il fallait courir sur une piste tout en prenant des notes de conférence d'état-major. Giap parle comme tous les Vietnamiens, en historien. D'ailleurs, il a enseigné l'histoire. Il est né en 1912 dans le Quang-Binh : c'est donc un homme du Centre. Un fils de petit paysan qui pourtant a pu étudier au collège de Hué, où le nationalisme agitait fort les élèves. A dix-neuf ans, il est déjà du côté de la révolution. Il va passer trois ans dans une prison française. Il se rend à Hanoï en 1934 pour étudier le droit; il y gagne sa vie comme professeur d'histoire dans une école privée. En 1939, il échappe de peu à une rafle policière. Sa femme est arrêtée; elle mourra en prison... Il fuit en Chine où il retrouve un petit groupe d'immigrés, parmi lesquels Ho Chi Minh et Pham Van Dong. Le programme de la Ligue vietminh est mis au point. C'est ensuite le passage clandestin au Vietnam, l'installation dans la grotte du Pac-Bo, puis dans le " Blockhaus rouge ", proche de Lam-Son; commence alors le travail chez les minorités. C'est aussi la naissance des équipes d'autodéfense et de guérilla, la formation du Détachement de propagande armée. Les premiers combats sont livrés : l'armée populaire est constituée, et c'est Giap qui commande. Ce militaire est aussi, on s'en serait douté, un homme politique. La révolution d'août 1945 fait de lui un ministre de l'intérieur; lors des transactions de Ho avec les Français-qui se termineront par la guerre que l'on sait,-il pèse toujours dans le sens de la conciliation. Paris refusant de jeter du lest, c'est en ministre de la défense et en commandant en chef que Giap se lancera dans la bataille. Il connaît les principes de Mao, mais il met au point sa guerre populaire à lui, ce mélange de coordination, au milieu des paysans, des activités politiques, de la guérilla, des forces locales, régionales et nationales. Il sait, tout comme ses amis (Ho, Truong Ching, Pham Van Dong, d'autres encore), qu'il faut, au cours d'une guerre de longue durée, mobiliser toutes les forces de la nation " dans un processus ininterrompu d'éducation et d'organisation des masses ". Il sait de même que, si les pièges artisanaux posés dans la forêt sont utiles, il faut aussi s'emparer des techniques modernes de combat. Dien-Bien-Phu est l'illustration de ce mélange de modernité et de participation de la foule des soldats et des paysans; c'est aussi, si l'on met à part la victoire japonaise de Port-Arthur sur les Russes en 1905, la première défaite occidentale dans la rase campagne asiatique. Giap reprend du service à la fin des années 50 lorsque se précise le soulèvement dans le Sud. Général du Nord, mais d'abord Vietnamien, il publie en 1964 une étude intitulée : Le peuple du Vietnam du Sud vaincra. Dix ans après les accords de Genève, et avant l'escalade américaine, il affirme : " Aucune force réactionnaire dans le monde actuel ne saurait empêcher les trente millions de Vietnamiens de réaliser leurs aspirations sacrées : bâtir un Vietnam pacifique, réunifié, indépendant, démocratique et prospère. " Sait-il ce qui l'attend et ce qui attend son peuple divisé? En tout cas, il est difficile de croire qu'il fut jamais vraiment surpris. Giap, comme tous les dirigeants communistes du pays, a toujours prévu les plus graves développements, stocké du matériel plus qu'il ne fallait, envisagé les catastrophes qui paraissaient inconcevables en Occident : l'invasion de la RDV, la destruction totale des digues, l'utilisation de la bombe atomique. Giap a reçu, pour mener à bien sa résistance, une formidable aide extérieure : l'essence, les camions, les bicyclettes, les gros canons, les fusées, les roquettes, les fusils AK-47, le système de transmission. Il a su adapter ces techniques à la lutte menée par des paysans peu au fait de l'électronique et de l'aviation. Il a dû sans aucun doute chercher, improviser, adapter, mais il a d'abord fait référence aux traditions vietnamiennes, n'usant d'aucun secret. Ses thèses ont été en pleine guerre mille fois exposées, expliquées : sur le facteur temps, la combinaison de la lutte politique et de la lutte armée. Oublier que ce général vietnamien est avant tout un homme politique, c'est ne rien comprendre à sa stratégie. Giap, ce n'est pas " la grande muette " qui obéit au pouvoir, c'est un responsable parmi d'autres qui, avec ses galons, participe aux décisions de tous ordres, comme les autres, parmi les autres, au service d'une cause qui met à son service une campagne de vaccination aussi bien qu'une fusée de 122 millimètres. JACQUES DECORNOY Le Monde du 25 janvier 1973

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