Devoir de Philosophie

Cours: LA RAISON, LE JUGEMENT ET L'IDEE (2/2)

Publié le 22/02/2012

Extrait du document

idee

Le jugement.

Concept et jugement:

            Quel est l'acte par lequel nous établissons des rapports entre les choses?

C'est l'acte de jugement.

Pour former le concept de chien, j'écarte de ces images tout ce par quoi elles diffèrent et je définis le type d'organisation, le jeu de rapports, qui se retrouvent chez tous ces êtres. Par la même occasion, j'écarte de mon concept, l'image de sanglier et de chat qui ressemblent peut-être au chien, mais sont d'un autre type. Ce travail actif de la pensée pour établir et distinguer des rapports, c'est le jugement. Ma définition du chien, c'est un jugement: "le chien est un vertébré carnivore ayant des crocs et des poils". Lorsque je dis: le sanglier n'est pas un chien mais le terre-neuve en est un. Je formule des jugements. Le jugement, c'est l'acte essentiel de l'esprit, c'est la faculté qui va d'une donnée à l'autre pour écarter les impressions hâtives, défaire les rapports apparents (chat-chien; baleine-orque), retrouver les rapports essentiels (félidé-canidé; mammifère-cétacé), bref pour édifier des concepts ayant une valeur objective. Le concept est donc un résumé, un complexe de jugements.

            Voilà pourquoi, quelle que soit leur immense valeur, il faut se rappeler qu'ils sont  perfectibles: "Nos concepts, dit Bossuet, sont toujours courts par quelque endroit." En effet, nous avons toujours (s'ils ne sont pas a priori comme les concepts mathématiques) à les compléter par de nouveaux jugements. Le concept de chien ne sera achevé, nous n'en connaîtrons toute l'extension (l'ensemble des êtres auxquels il s'applique) et la compréhension (l'ensemble des caractères propres à ces êtres) que lorsque la "canidologie" sera achevée. De même pour tous les autres concepts: les oiseaux et l'ornithologie. Nous avons toujours à mieux connaître ce qu'est le fer, le cuivre, un métal, l'homme, la pesanteur... La science n'est jamais achevée. Il ne faut jamais perdre de vue cette vérité capitale, si nous ne voulons pas arrêter l'effort de la science et "prendre la paille des mots pour le grain des choses" (Leibniz).

            Le jugement est donc l'acte essentiel de l'esprit. Mais tous nos jugements ne sont pas explicites. Un très grand nombre reste implicite, c'est-à-dire non formulé.

La logique  formelle insiste surtout sur les jugements d'inclusion, c'est-à-dire sur ceux qui comparent l'extension et la compréhension des concepts. Ainsi, le jugement: "la terre est ronde". Si l'on pense les concepts: terre et rond en extension, on l'interprète de cette manière: la terre entre dans la catégorie des choses rondes. Si on pense les termes en compréhension, on l'interprète ainsi: si j'analyse l'idée de "terre", j'y trouve la qualité de "chose ronde". Un grand nombre de jugements sont en effet de cette forme.

Pourtant il y en a d'autres. Ainsi, les jugements d'existence: "je suis". C'est seulement par un abus de langage qu'on peut l'interpréter en disant:  j'entre  dans la catégorie des choses existantes. En réalité, ma pensée ne suit pas ce chemin. D'ailleurs, un jugement comme "il pleut" ne se prête même pas à cette déformation verbale.

            Il y aussi les jugements de comparaison: Paris est plus grand que Flers; 4+3= 7. La tâche de la psychologie et de la logique est justement de déterminer quels sont les différents rapports que l'esprit peut établir entre les notions.

Il y a enfin les jugements de valeur: il est mal de mentir.

Autant de types de rapports, autant de formes de jugements.

Nous avons remarqué que pour construire les concepts, il faut déjà juger. C'est un même acte de l'esprit qui fait sauter hors du cadre étroit de l'intuition concrète les idées, et qui commence à leur donner un sens en les intégrant à des jugements. Ainsi, on dépasse la fameuse difficulté soulevée par  Kant[1], qui sait: pour juger, il faut avoir des concepts, mais si nos concepts sont achevés avant le jugement, le lien que je pourrai établir entre eux est purement arbitraire, Kant, pour sortir de ce dilemme, soutenait qu'il doit exister des jugements synthétiques a priori.  Mais ce dilemme est faux. En réalité, le jugement et la construction des concepts vont de pair, et à chaque moment ce travail intellectuel s'appuie sur l'expérience.

La notion d'idée.

            Si l'on ne tient pas compte du sens courant d'opinion ou de dessein ("j'ai une idée"), le terme d'idée désigne, au sens large, tout objet de pensée en tant qu'il est pensée, et s'oppose donc au sentiment comme à l'action.

L'Idée platonicienne ne doit  pas être confondue avec l'idée au sens moderne. Chez Platon, l'Idée n'est pas un objet mental, une représentation de l'esprit. Elle est la réalité même, qui subsiste hors de la pensée et indépendamment d'elle. Les Idées sont des essences des choses, et les objets sensibles n'ont de réalité que par leur participation à ces Idées.

            Au sens restreint et plus rigoureux, l'idée est une représentation abstraite et générale, qui s'oppose à la sensation et à l'image. Elle est alors synonyme de concept.

            Cette dernière définition indique les deux opérations de l'esprit qui concourent à la formation de l'idée:

- abstraire, c'est-à-dire considérer une représentation en l'isolant de certaines de ses déterminations (ex. un cercle n'existe pas dans la réalité sans une certaine grandeur qui n'entre pas dans l'idée de cercle);

- généraliser, c'est-à-dire poser cette représentation comme le modèle d'un ensemble d'êtres qui peuvent être théoriquement en nombre infini.

            Toutefois, une problématique surgit: abstraire, c'est isoler par la pensée ce qui ne l'est pas et ne peut l'être dans la représentation et par conséquent dans la réalité représentée. Ainsi l'abstraction consiste à penser à part ce qui n'existe pas et ne peut exister à part dans le réel. L'abstraction dissocie l'indissociable.

            On peut donc se demander si l'on a le droit de séparer ainsi par la pensée ce qui est uni dans la réalité, et si donc l'abstraction a une valeur réelle, si la pensée abstraite est une pensée du réel.

La critique de l'abstraction entraîne la critique du concept que l'on a pu accuser de "mutiler le réel". Selon Bergson, comme pour Kierkegaard, le concept:

            - morcelle le réel en rompant l'unité concrète de l'objet,

 

            - déforme la réalité en rendant commune à une infinité de choses des propriétés singulières,

 

            - fige l'écoulement continu de la réalité qui est essentiellement mouvante.

 

            Pour les empiristes (comme Hume) ou les sensualistes (comme Condillac), il n'existe pas de pensée réellement abstraite: l'idée se réduirait à l'image de la sensation et les prétendues idées abstraites ne seraient que des dénominations, c'est-à-dire simplement des mots auxquels seraient associées des idées particulières, donc des images relevant elles-mêmes  de la sensation.

            Cependant, sans concept toute science serait impossible, voire même toute pensée. L'on peut tout aussi bien considérer, comme le soulignait  Hegel, qu'en s'élevant du concept à l'abstrait la pensée ne s'éloigne pas mais s'approche de la vérité.

 

[1] Pour Kant, il faut distinguer deux sortes de jugements: analytiques et synthétiques.

Un jugement est analytique lorsqu'il se contente d'expliquer un concept, d'analyser son contenu sans faire appel à un élément nouveau: "tous les corps sont étendus". Les jugements analytiques sont a priori, car il n'est besoin d'aucun recours à l'expérience pour déterminer ce que je pense dans un concept donné. Est synthétique, un jugement dans lequel le prédicat ajoute quelque chose au concept du sujet: "tous les corps sont pesants". Tout jugement d'expérience est synthétique, puisque l'expérience nous apprend à ajouter certains caractères à nos concepts.

Liens utiles