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Cours: LA RELIGION (1 de 2)

Publié le 22/02/2012

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religion

 

INTRODUCTION

"Religion", étymologie contestée, la plus couramment admise: "religare", relier, mettre ensemble. Par exemple relier la terre au ciel, l’homme et son Dieu, mais aussi relier les hommes entre eux (fonction sociale de la religion)

Problème: comment en parler?

- malgré la diversité des religions selon les pays, l’évolution de la religion dans le temps, peut-on dire quelque chose de général?

- peut-on tenir un discours rationnel sur la religion? Il ne s’agit pas par exemple de faire l’apologie d’une religion parmi les autres! Qu’est-ce que c’est de parler de religion? Est-ce que c’est se poser la question si Dieu existe? Et quel Dieu?

- la religion relève du domaine de la foi, est-ce que ce n’est pas la même chose que la croyance (voir la critique platonicienne de l’opinion)? Et alors la raison peut-elle prétendre légiférer, avoir un mot à dire dans un domaine qui lui échappe par principe, qui relève du sentiment et de l’ineffable?

I. QUESTIONS PRELIMINAIRES

 

Pour échapper à ces problèmes, pour atteindre au général, on peut commencer en essayant de faire un inventaire. C’est-à-dire, dégager les origines possibles des religions, et les classer par grandes familles.

A) L’origine de la religion

C’est-à-dire: pourquoi l’homme a-t-il un "besoin de religion"?

N.B. se poser la question de l’origine n’est pas une question historique: il ne s’agit pas de se demander quand et dans quelles circonstances est apparue la religion. Cela ne permettrait pas de comprendre grand chose à la religion de savoir quand et où elle est apparue, et ce serait déjà la démystifier, alors que le mystère en est justement une dimension essentielle. Mais plutôt se poser une question intemporelle: pourquoi l’homme est-il un animal religieux?

Plusieurs origines possibles:

- un besoin de consolation. L’existence humaine est placée sous le signe de l’angoisse: l’homme ressent cruellement sa faiblesse et sa vulnérabilité face à la nature. D’où le besoin de s’inventer une force tutélaire, paternelle, qui prendrait soin de lui. La religion en ce sens pourrait venir de l’impuissance de l’homme, de son aspiration à un monde meilleur et plus "facile". (C’est la lecture de Freud par exemple. Cf. 5ème partie) Ce qui permet de comprendre que depuis l’essor de la domination technique de la nature la religion soit "en baisse de fréquentation": elle devient inutile.

- la peur de la mort. D’après les anthropologues, on considère que l’homme est devenu homme à partir du moment où il enterre ses morts, en les entourant d’objets rituels qui doivent leur permettre de passer l’éternité. L’humanité commencerait donc par cet effort de donner un sens à la mort, et au fond, la religion n’est rien d’autre que cela.

- donner un sens à l’existence. Alors que la vie n’a pas de sens en elle-même, la religion permet de lui donner un sens. Elle répond de même aux questions les plus angoissantes de l’homme, ce que la science ne peut pas faire. La science peut bien nous expliquer comment les choses se passent, mais pas pourquoi! Pourquoi l’univers? D’où vient l’homme? La science ne cherche que la vérité, l’objectivité, alors que la religion donne un sens à la réalité.

- un besoin de comprendre. Face à des phénomènes naturels souvent incompréhensibles, le moyen le plus commode pour les expliquer consiste à les interpréter comme la manifestation de la volonté d’un être supérieur, de forces invisibles. (Cf. 2ème partie, à comparer avec Spinoza, appendice du livre 1 de l’Ethique: la religion est "l’asile de l’ignorance") La religion entre ici en concurrence directe avec la science: elle serait comme le répertoire des réponses aux questions insolubles de l’humanité.

B) Quelques types de religion

1) les religions de la nature

Il s'agit de toutes les religions centrées sur un culte rendu à un élément naturel. Exemple : le totémisme, où les hommes rendent un culte à un animal tutélaire de leur tribu. Autre exemple : le fétichisme qui consiste à attribuer une volonté propre à chaque élément de la nature.

Les religions de la nature sont en général les plus anciennes de l'humanité. On pourra donc vérifier éventuellement sur leur sujet qu'est-ce qui a bien pu pousser les hommes à se fabriquer des dieux.

Elles se caractérisent par la prédominance d'un sentiment bien spécifique : le sacré. Le sacré se définit comme le mélange d'une fascination et d'un sentiment d'horreur. C'est-à-dire que les hommes ont été frappés par la violence et le caractère imprévisible de certains phénomènes naturels (exemple: la foudre). Certains événements naturels semblent être l'expression d'une volonté surnaturelle : ils se sont produits à point nommé, au moment précis où ils prennent le sens d'un message (voir l'éclipse dans les sept boules de cristal).

Les religions de la nature se caractérisent aussi par le fait qu'on y distingue au sein d'un monde naturel, profane, qui est soumis au lois ordinaires de la nature, un autre monde, le monde sacré où ces lois sont suspendues, où n'importe quoi peut arriver, où tout est possible. Le sacré consiste donc à délimiter des seuils entre un monde connu, quotidien, et un autre monde, inconnu, radicalement étranger.

D'ailleurs on retrouve des éléments sacrés jusque dans les formes plus élaborées de religion : ne serait-ce que la séparation profane/sacré sur laquelle repose le plan des édifices religieux (nef et transept des cathédrales)

2) les religions révélées

Dans cette deuxième famille de religion, on range les formes plus récentes de religions, comme le christianisme ou l'islam. Il s'agit à chaque fois de religions dont on peut dater l'apparition historique, qui ont été instituées par un prophète.

Ce qui caractérise ces religions c'est qu'elles proposent un idéal de vie. On y trouve un ensemble de règles morales à respecter, qui s'accompagne d'un ensemble de dogmes, de rituels à respecter. L'élément dominant dans ces religions révélée, c'est donc un caractère moral : la sainteté. Le saint nous propose par son enseignement et sa vie un modèle moral, et se fait ainsi un intermédiaire entre les hommes et leur Dieu. Se conformer à cet idéal, « se rendre agréable à Dieu «, doit nous permettre de mériter une vie meilleure après la mort.

Retenir :

- caractère moral des religions révélées : comme le dit Kant, les dix commandements sont une « formulation objective de la loi morale «, une formulation populaire, simplifiée, accessible à tous.

D'ailleurs les sophistes disaient ne voir dans la religion que le moyen le plus efficace qu'on trouvé les hommes pour faire respecter leurs lois, empêcher l'injustice, établir la paix dans la cité.

- À partir de là, Dieu n'est pas tellement un père qu'un juge qui récompensera les justes et punira les méchants. Plus terrible que n'importe quel juge humain, car on ne peut échapper à son regard, « il sonde les reins et les coeurs «. Conséquence: l’homme va devenir son propre juge, il va intérioriser les interdits. Ce que critique Nietzsche dans la religion: elle a inventé la culpabilité.

3) la religion naturelle

Forme la plus récente (18ème siècle surtout). Voir  Rousseau, la profession de foi du vicaire savoyard. La religion naturelle ne relève d’aucune église, elle est un culte rendu à un Dieu universel, commun à toutes les religions. Le simple spectacle de la nature, l’attention à une "lumière intérieure" suffisent.

II. RELIGION ET SCIENCE

 

Lieu commun: opposer science et religion comme savoir et obscurantisme. Cf. l’affaire Galilée.

Lieu commun inverse: reprocher à la science d’avoir "désenchanté le monde". D’où peut-être le renouveau des sectes.

Auguste Comte (1ère moitié du 19ème siècle, fondateur du positivisme) propose une réflexion plus nuancée dans son Discours sur l’esprit positif. Pour lui, religion et science répondent à un même besoin de comprendre, mais par des voies opposées.

1) la "loi des trois états"

Comte, atteint une année d’une longue maladie nerveuse, constata en lui-même une espèce de régression intellectuelle. Il passait d’un mode de raisonnement à un autre. Ce qui lui donna l’idée que l’intelligence passe par des étapes, des âges. En généralisant, il suppose que l’humanité tout entière comme chaque individu est passée par ces mêmes étapes intellectuelles.

a) l’âge théologique, divisé en:

* Fétichisme: rendre un culte à des phénomènes naturels ou des êtres vivants. Consiste à leur attribuer une volonté comparable à la nôtre: finalisme.

* Polythéisme: culte rendu à des entités surhumaines, mais semblables à l’homme, vivant dans un autre monde

* Monothéisme: culte rendu à un seul Dieu créateur

Propre de l’âge théologique: raisonnement finaliste.

b) l’âge métaphysique (de la Renaissance à la Révolution), où la religion est peu à peu détrônée par la science. Conséquences: un gain de connaissances, mais la religion ne remplit plus son rôle de cohésion sociale. C’est un âge essentiellement "critique et destructeur", qui ne pouvait que s’achever par une Révolution sociale . N.B. la science y reste mystique: elle fonctionne sur un mode de raisonnement mécaniste, mais n’a fait que remplacer des entités abstraites par d’autres. Ex. le monde se serait formé non par la volonté d’un Dieu, mais sous l’effet de l’attraction. Cette science utilise encore des "absolus": l’attraction reste une notion vague, inexplicable. En somme elle prétend encore connaître la nature des choses.

c) l’âge positif, que Comte appelle de ses voeux, où science et religion pourront de concert permettre le progrès réel de l’humanité. "Ordre et Progrès. L’Ordre par le Progrès, le Progrès dans l’Ordre". L’humanité n’atteindra son régime normal qu’en harmonisant science et religion. Il revient à la religion de réaliser un ordre social et moral qui va permettre à la science de réaliser le progrès de l’humanité. Mais cette religion ne sera plus un culte rendu à une entité souveraine et extra-terrestre, ce sera le culte du Grand-Etre, de l’humanité tout entière, culte indissociable de la volonté d’améliorer moralement l’homme.

N.B. - la science positive ne s’intéresse plus à la nature des choses, mais à la seule connaissance de l’enchaînement des phénomènes, seule réelle, non métaphysique.

- il faut un partage des compétences: la science ne peut pas tenir lieu de religion (âge métaphysique), la religion ne peut pas supplanter la science (âge théologique). Il faut "régler l’intérieur sur l’extérieur" pour que l’humanité puisse marcher sur ses deux jambes.

2) le fétichisme

Aux premiers âges de l’humanité, l’homme éprouvait sa condition comme celle d’une créature abandonnée dans un monde qui lui est opaque, dont il ne comprend pas le sens.

Et c’est la religion qui va lui donner un premier sens possible des phénomènes qu’il observe. Si, par exemple, il voit la foudre frapper un arbre, un rocher, l’explication la plus spontanée qu’il puisse donner de la chose, c’est que la foudre est un être vivant qui voulait frapper cet arbre, ce rocher. Le fétichisme consiste donc à attribuer à un être naturel une vie intérieure, une volonté, une pensée, etc... sur le modèle de celle de l’homme, mais dont les manifestations sont plus puissantes, plus énergiques. L’interprétation finaliste de la nature est la plus spontanée.

On dit souvent que le culte rendu aux êtres naturels est l’expression de l’ignorance, de la superstition d’une part, de l’impuissance de l’homme d’autre part. Lorsque la foudre frappe, je peux me rassurer en me disant qu’il s’agit d’un être supérieur à qui il suffit de faire quelques offrandes pour m’en concilier les bonnes grâces, éviter ainsi d’être foudroyé. L’interprétation de Comte consiste à y voir plutôt, ou en même temps, l’expression d’une demande de rationaliser le monde, un besoin de comprendre et d’expliquer le monde qui nous entoure!

C’est l’expression d’une rationalité naissante, qui se cherche.

On peut développer cette idée en opposant l’explication que donneraient nos scientifiques et celle que donnent les mythes. Aussi surprenant que cela puisse paraître, il n’est pas évident que du point de vue purement explicatif la science moderne ait quelque avantage sur l’interprétation fétichiste du monde.

En effet, expliquer la foudre comme une différence de potentiel électrique entre le ciel et la terre, ce n’est pas expliquer grand-chose. Cela n’est pas très "parlant". L’interprétation mythique, elle, est immédiatement intelligible, elle parle à l’imagination, est tout de suite une interprétation cohérente du phénomène à expliquer. Autre avantage: il n’est pas besoin de la refonder au fil des découvertes en électricité, c’est-à-dire que le mythe est une explication tout de suite complète et suffisante...

Peut-on dire que la science est plus "vraie" que la religion? En un sens oui, bien sûr, mais le propre de la science, c’est aussi bien l’esprit critique, c’est d’ailleurs ce qui fait qu’une théorie scientifique n’est jamais définitivement vraie (progrès scientifique), doit toujours être remise en cause. Un mythe, par contre ne peut pas être remis en cause: on explique tout en fonction de lui, tout phénomène peut être interprété selon un mythe. Le mythe est donc invérifiable et explication définitive. Tout ce qu’on pourra observer ne fait que le confirmer. Le mythe est justement conçu pour pouvoir tout expliquer.

Il y a une différence également dans la manière de répondre aux questions des hommes: la science ne fournit jamais que le "comment ça se passe". Alors que l’explication fétichiste donne tout de suite ce que les hommes veulent réellement savoir: le "pourquoi des choses". Elle fournit donc ce que les hommes veulent savoir et ce qu’ils sont capables de comprendre. Elle entretient en eux l’appétit de savoir dont la science va naître à l’âge métaphysique. La science est fille de la religion!

Conclusion: le rapport science/religion est donc plus complexe qu’il n’y paraît. Elles ont la même vocation de rendre le monde intelligible.

Avantage de la religion: elle construit en même temps une cohésion sociale. Inconvénient: elle empêche de passer à un savoir réel. Inconvénient de la science: elle dissout la vie spirituelle et sociale de l’homme. Avantage: un savoir réel des choses, à condition de ne pas prétendre donner la nature des choses(la science métaphysique), mais les lois de leur enchaînement (la science positive).

On voit donc bien qu’il y a une rationalité à l’oeuvre dans le phénomène religieux.

III. LES PREUVES DE L’EXISTENCE DE DIEU

 

Peut-on parler rationnellement en matière de religion? Par exemple, que peut dire la raison sur un problème tel que celui de l’existence de Dieu.  Descartes, dans les Méditations métaphysiques a donné deux preuves de l’existence de Dieu: l’argument ontologique et la preuve par les effets. Que valent-elles?

1) qu’est-ce qu’une preuve?

Il faut distinguer preuve et démonstration. Une démonstration est un raisonnement abstrait, ex. démonstration mathématique où on ne fait que tirer les conséquences de propositions démontrées antérieurement. Une preuve par contre est un fait matériel qu’il suffit de montrer pour qu’une conséquence s’impose. Ex; si je vois de la fumée, il doit y avoir du feu. Prouver n’est pas démontrer, c’est simplement montrer. Dans un cas, on tire les conséquences, dans l’autre, on remonte à la cause.

Descartes présente en fait une preuve et une démonstration.

Problème: une démonstration pour être valable doit être abstraite. Mais elle l’est parfois trop, comme coupée du réel. Ex. "Mistigri est un homme, tous les hommes sont mortels, donc Mistigri est mortel". Déduction et conclusion correctes, mais prémisse fausse: Mistigri est un chat.

A l’inverse, un fait en lui-même ne prouve rien. Pour pouvoir dire que si je vois de la fumée, il y a du feu, il faudrait avoir démontré qu’il n’y a pas de fumée sans feu. Or il existe des fumées sans flammes: les grenades fumigènes...

On peut donc être réservé sur la valeur des "preuves" de l’existence de Dieu.

2) la "preuve ontologique"

La preuve ontologique de Descartes est une simple reprise de l’argument de Saint Anselme.

On examine ce que c’est que l’essence de Dieu, sans pouvoir dire encore si Dieu existe ou non. C’est à dire qu’on s’intéresse à ce que serait Dieu s’il existait, à Dieu en tant que possible, simplement possible. Dans son essence, Dieu possède certains attributs qui le définissent comme Dieu. Le propre de Dieu: par définition, il est parfait. Par exemple, un Dieu qui ne serait pas éternel ne serait pas Dieu.

Quels sont ces attributs qui font que Dieu est bien Dieu s’il existe? Il y a la bonté, l’omnipotence, la perfection, l’omniscience, l’éternité... Mais surtout, il y a l’existence, l’existence nécessaire. Un Dieu qui n’aurait pas une existence nécessaire serait imparfait, contradictoire. Dieu, contrairement aux choses créées, a une existence nécessaire, il ne peut pas ne pas être. Son existence est comprise dans son essence. Si Dieu est possible, il est nécessaire.

Critique de cette preuve ontologique:

Kant, dans la Critique de la Raison pure, dénonce cet argument. Comme toute démonstration, il repose sur certains postulats qu’on ne peut pas prouver. Ce que Kant refuse, c’est justement ce qui fait le nerf de l’argument ontologique: que dans le cas spécial de Dieu, on puisse passer de la simple possibilité d’une chose à son existence. C’est, dit-il comme si un épicier qui n’a que un thaler en caisse, ajoutait sur son livre de compte deux zéros à ce chiffre et estimait avoir dès lors cent thalers à son actif... L’existence de Dieu est tout aussi possible que celle des 99 thalers, elle n’est pas réelle pour autant. De l’existence d’une chose, on peut déduire sa possibilité, mais pas l’inverse! Ce qui est réel est possible, mais tout ce qui est possible n’est pas pour autant réel. L’existence ne se démontre pas!

Conclusion: la démonstration par la raison n’est pas absolument convaincante. En fait, elle ne peut convaincre que quelqu’un qui est déjà disposé à en admettre les présupposés, qui veut donc se laisser convaincre.

C’est peut-être pour cela que Descartes a éprouvé le besoin de produire une preuve en plus de sa démonstration.

3) la "preuve par les effets"

Il s’agit bien ici d’une preuve au sens propre du terme. Descartes cherche un objet dans le monde qui serait le signe indubitable de l’existence de Dieu, qui ne peut être l’effet d’aucune autre cause que Dieu.

Regardant en lui-même, Descartes ne découvre aucune "trace" de ce Dieu qu’il cherche. Au contraire, il se découvre créature imparfaite, faillible, sujette à l’erreur. Rien en lui ne peut être l’effet de la perfection divine. Tournant son regard vers le monde, il voit partout la même imperfection. Rien ne semble pouvoir être pris comme preuve de l’existence de Dieu: rien ne reflète sa perfection.

Rien? Si: il y a justement une chose qui ne peut lui venir que de Dieu. Et c’est l’idée même de perfection. Comme tout est imparfait, d’où peut venir l’idée même de perfection, si ce n’est de Dieu qui seul est parfait? L’idée de perfection est en nous comme "la marque du créateur" sur l’objet qu’il a fabriqué.

Critique de cette preuve: on peut très bien expliquer l’origine de l’idée de perfection par d’autres moyens, sans invoquer Dieu. Par exemple: l’idée de parfait peut venir de l’expérience de l’imperfection. Je me sais faillible, je souhaite être parfait, omniscient, omnipotent,...etc. Dieu peut donc être l’expression d’un fantasme humain! Cf. Marx: "un homme pauvre aura un Dieu riche".

La preuve cartésienne reposait sur le postulat qu’une idée trouve nécessairement son origine dans la réalité, comme l’idée de bleu vient de la perception du bleu.

4) le problème de l’existence du Mal

On pourrait même donner plus facilement une preuve que Dieu n’existe pas! Le simple fait de l’existence du Mal suffit pour douter de l’existence d’un Dieu bon et tout-puissant. Soit Dieu est tout-puissant, mais n’a pas voulu créer un monde parfait d’où le mal serait exclu, ce serait donc un Dieu sadique, soit il est bon, mais n’a pas pu empêcher la possibilité du mal dans sa Création.

C’est à cette accusation que Leibniz veut répondre dans sa Théodicée (littéralement: le "procès de Dieu", dont Leibniz se fait l’avocat).

Réponse de la défense:

- il serait faux de croire que Dieu peut faire n’importe quel monde selon son bon vouloir. Il est par exemple soumis à la logique (il ne peut pas faire que deux plus deux fassent autre chose que quatre), mais c’est davantage le signe de sa sagesse que de son impuissance. La perfection ici ne peut consister en un pouvoir arbitraire, Dieu n’est pas un tyran qui impose ses volontés, mais un être infiniment sage.

- ce monde dans lequel nous vivons est, parmi tous les mondes possibles selon les lois de la logique, le meilleur possible. Non le meilleur absolument, mais le meilleur des mondes possibles, ce qui exprime encore la sagesse de Dieu. Le mal n’est jamais que le moindre mal. Cf. le songe de Tarquin.

- si Dieu avait créé un monde où les hommes ne pourraient pas faire le mal, ils n’auraient aucun mérite à faire le bien (ils ne peuvent pas faire autrement), rendre le mal impossible sur Terre revient à priver l’homme de sa liberté, et donc l’oeuvre de Dieu est encore plus parfaite avec la possibilité du mal que sans.

- le mal lui-même n’est que l’effet de la vue bornée des hommes. Tout comme le détail d’un tableau, isolé du reste de l’oeuvre n’est pas beau, ce que nous prenons pour le mal n’est jamais que ce qui permet l’harmonie du tout, ce dont un bien supérieur va sortir. Un tableau peut être toujours plus beau, la beauté absolue n’existe pas, il n’y a pas de dernier degré pour la beauté, toute oeuvre sera donc imparfaite. Mais un tableau sera parfait en son genre selon l’harmonie qui y règle les détails. L’harmonie consiste à enrichir l’ensemble de l’oeuvre par la discordance de certains détails qui s’entre-répondent. C’est donc bien en un sens le mal qui fait la perfection de ce monde. Un monde sans le mal serait gris et mort.

Critique de l’argumentation de Leibniz: même si  Leibniz prétend résoudre le problème en montrant la "bonté" du mal, il n’empêche que n’importe qui peut à partir de là "refuser tout assentiment à ce Dieu barbare" (Max Scheler, le sens de la souffrance). L’existence du mal est plus qu’un problème théorique pour la pensée, c’est un scandale dont l’homme peut se prévaloir pour juger son créateur.

Conseil de lecture: Etty Hillesum, une vie bouleversée. Peut-on encore oser croire en Dieu après les chambres à gaz?

Conclusion: on a vu que la raison ne peut pas convaincre seule de l’existence de Dieu (insuffisance des preuves cartésiennes). Et le problème de l’existence du mal ferait plutôt pencher pour le contraire. Plus que le problème "que peut dire la raison de la religion", ce qui compte alors, c’est la question de la foi. Comment peut-on croire en Dieu malgré l’existence du Mal?

 

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