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Cours: LA RELIGION (2 de 2)

Publié le 22/02/2012

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religion

IV. LE PARI DE PASCAL

On va essayer ici d’approfondir ce que c’est que la foi. Est-ce une forme de croyance comme une autre? Exemple: peut-on assimiler "je crois en Dieu" et "je ne crois pas à tous ces beaux discours"?

1) le problème de la foi

La raison ne peut donc pas se prononcer sur l’existence de Dieu: elle s’y perd. A chaque argument , on peut opposer un argument qui va en sens contraire. Aucune preuve, aucune démonstration ne peut convaincre que celui qui veut bien se laisser convaincre, qui est déjà acquis d’avance aux arguments qu’on lui propose. Une discussion sur ce sujet ne peut que tourner en rond. Le problème sera non de trouver des arguments irréfutables, mais de disposer quelqu’un à admettre ces arguments.

D’ailleurs, c’est peut-être le projet lui-même qui est à remettre en cause! Si l’on pouvait faire la preuve de l’existence de Dieu, acquérir une certitude à ce sujet, il n’y aurait plus de foi, la religion ne serait plus une question de foi personnelle, un engagement individuel, mais un savoir, une science que l’on peut enseigner!

Croire en Dieu ne peut avoir de sens que si on croit en lui contre toutes les bonnes raisons qu’on aurait de ne pas croire. Credo quia absurdum: "je crois parce que c’est absurde, c’est certain parce que c’est impossible".

C’est à dire que le vrai problème pour la raison n’est pas d’acquérir une certitude concernant ce qui ne peut être que l’objet d’une croyance. Ce n’est pas à un savoir rationnel qu’elle doit nous mener dans ces questions, mais à la foi elle-même. Peut-on persuader quelqu’un de croire? Le projet n’est-il pas contradictoire?

Dans une pensée célèbre (n° 418), Pascal est venu à bout de cette gageure.

On ne peut pas convaincre quelqu’un de l’existence de Dieu sans qu’on y perde ce qui est le propre de la foi, l’incertitude. Mais on peut éventuellement le persuader de croire, de renoncer à demander des preuves et des certitudes.

2) esprit de finesse et esprit de géométrie

Il faut commencer par distinguer avec Pascal les personnes qui ont un esprit de finesse de celles qui ont l’esprit de géométrie.

Esprit de géométrie: un esprit logique, rigoureux, démonstratif, apte à convaincre.

Esprit de finesse: esprit intuitif, plus apte à sentir les choses qu’à raisonner dessus, à distinguer des cas qu’à enchaîner des syllogismes. L’esprit de finesse est surtout à son aise sur les problèmes moraux par exemple, apte à persuader.

N.B. convaincre quelqu’un de quelque chose se fait en proposant une argumentation en bonne et due forme. On s’adresse à la raison de l’individu, à ce qui m’est commun avec lui. Alors que pour persuader quelqu’un de quelque chose, on s’adresse à sa sensibilité personnelle, à ce qu’il a de particulier, à ses passions. Exemple, si je ne peux convaincre un ambitieux de faire quelque chose, je peux le persuader en lui faisant valoir l’intérêt qu’il peut avoir à le faire .

On a dit de Pascal que son génie, c’est d’avoir traité les problèmes de géométrie avec un esprit de finesse, et les problèmes de finesse avec un esprit de géométrie.

Exemple du premier cas: l’originalité des méthodes avec lesquelles Pascal a résolu des problèmes mathématiques (la cycloïde, le triangle de Pascal, la machine à calculer...). Il a même inventé une méthode qui permet à un joueur engagé dans un jeu de hasard, de se retirer de la partie avec le minimum de pertes en un nombre fini de coups: c’est la règle des partis, où il s’agit de miser non en fonction des probabilités pour que sorte tel ou tel résultat, mais selon le gain possible. Non pas: "quelle est la probabilité pour que tel résultat sorte", mais "combien est-ce que je gagne en pariant sur ce résultat".

3) l’argument de la "pensée 418"

Exemple du second cas: la pensée du fameux "pari de Pascal".

Le chevalier de Méré était un libertin, amateur de jeu de hasard, de bagatelle, et de parties fines. Pour le persuader de changer de moeurs, le meilleur moyen est de lui présenter la religion, la foi, dans un pari, c’est là le langage qu’il comprend le mieux.

On parie soit que Dieu existe, soit qu’il n’existe pas. L’enjeu, c’est sa vie, le gain, c’est la vie après la mort. Il ne peut être question ici d’attribuer des probabilités aux différents cas de figure possibles (la probabilité pour que Dieu existe/n’existe pas n’est pas quantifiable). Mais il ne peut y avoir que quatre cas de figure possible. On va donc utiliser la règle des partis et examiner selon les cas, ce qu’on gagne ou perd.

1. Je parie que Dieu n’existe pas, et je mène une vie en conséquence: libertinage, plaisirs faciles, tentations de la chair, etc...

1a. Il se trouve que j’ai raison: Dieu n’existe, il n’y a pas de vie après la mort. Faisons les comptes.

Qu’ai-je gagné? Au mieux, soixante années de vie légère que j’ai pu mener sans me soucier de rien.

1b. Mais si je me suis trompé, si Dieu existe, et s’il juge les vivants et les morts? Dans ce cas, j’aurais

fait un marché de dupes: j’ai gagné soixante années de plaisir, mais j’y perds l’éternité en enfer!

Moralité: il vaut donc mieux parier que Dieu existe.

2. Je parie que Dieu existe, et je mène la vie adéquate: abstinence, mortifications, etc...

2a. Je me suis trompé: il n’y a rien après la mort. Je n’ai donc rien gagné dans mon pari, j’ai perdu soixante ans de vie terrestre. Mais comme je suis mort, je n’aurai pas le loisir de le regretter.

2b. Mais si j’ai raison, que Dieu existe, je perds soixante ans, mais je gagne l’éternité au paradis...

Moralité: derechef, j’ai plus à gagner à parier sur l’existence de Dieu.

Quel le sens de ce pari étrange?

Nous parions tous, mais le plus souvent sans le savoir. L’athée, l’esprit fort, qui n’envisage même pas la possibilité que Dieu puisse exister, qui ne se pose même pas la question, parie déjà, sans le savoir et choisit la plus mauvaise solution de toutes: il risque le plus gros. "Il faut parier: nous sommes embarqués".

Le but de Pascal est d’humilier la raison", il utilise la raison, le raisonnement pour montrer qu’en ce domaine, elle doit s’incliner devant la foi, qu’il y a une "vérité sensible au coeur seulement" et non à la raison. Son but n’est pas de convaincre de croire en Dieu. La foi reste un acte qui ne se commande pas et surtout pas par un raisonnement. Croire en Dieu par peur de l’enfer n’est pas croire. Son but est plutôt de rabattre la superbe de la raison qui trop souvent méprise les mystères de la religion. L’homme raisonne trop, raisonne là où il n’y a plus à raisonner, mais à croire.

Ce n’est donc pas à la raison de légiférer en matière de foi, on ne peut rien démontrer, on ne peut que renvoyer l’homme à son sentiment. Mais il reste à lui faire comprendre le sens de son engagement: la question est trop grave pour la traiter avec désinvolture, pour s’en remettre à la seule raison. Pascal n’utilise un raisonnement que parce qu’il s’adresse à un raisonneur. Et tout ce qu’il lui apprend, c’est que la raison elle-même commande de croire.

"Le coeur a ses raisons que la raison ne connaît pas".

Rem. Le pari de Pascal ressemble à un calcul de probabilité, mais ce n’est qu’une apparence. Un calcul de probabilité consisterait à attribuer à chaque hypothèse "Dieu existe"/"Dieu n’existe pas" un coefficient de probabilité. Or ce n’est pas possible: c’est justement ce que l’on cherche! On ne se repérera donc pas au coefficient de possibilité, mais au gain possible: "qu’est-ce que je risque".

Conclusion: la religion est donc bien une affaire de foi, de croyance. C’est-à-dire que la raison ne peut rien y décider. La raison nous dirait plutôt de ne pas croire, et on croit contre la raison, contre toutes les raisons de ne pas croire.

N.B. la foi, ce n’est pas seulement croire que, croire que Dieu existe, c’est surtout croire en l’existence de Dieu. Ce n’est pas admettre, c’est vouloir croire.

Mais alors, si la raison n’est plus habilitée à contrôler la foi, n’y a-t-il pas le risque de s’illusionner?

V. LA RELIGION N’EST-ELLE QU’UNE ILLUSION?

Parmi les adversaires de la religion, on compte les "maîtres du soupçon", la trilogie Marx-Nietzsche-Freud.

Marx montre bien l’ambiguïté du phénomène religieux. La religion est en un sens accomplissement de l’homme: il exprime ses aspirations comme il pourrait le faire par le travail. Mais, progressivement, tout ce qu’il donne à son Dieu, il se l’ôte à lui-même, et c’est l’aliénation religieuse. (Voir texte n°1, p. 339, Russ, les chemins de la pensées).

1) Désir et illusion selon Freud

Il faut commencer par bien distinguer l’illusion de l’erreur. Une illusion n’est pas à proprement parler une erreur. Lorsqu’on parle d’illusion des sens par exemple (le mirage, les illusions d’optique), il n’y a pas en tant que tel d’erreur. Lorsque je crois voir une tour carrée au loin et qu’en me rapprochant je vois qu’elle ronde, il n’y a pas eu erreur des sens, mes sens ne me trompaient pas à proprement parler. L’erreur commence avec le jugement que je porte: "cette tour est carrée". Les sens sont innocents: ils m’ont bien faire tout ce que je pouvais voir. Moi seul suis responsable qui ai tiré de ce que je voyais (une tour carrée) un jugement (cette tour est carrée) qui n’est pas dans ce que j’ai effectivement vu. C’est la précipitation du jugement qui est seule coupable. D’après les lois de l’optique, il est même normal de voir une tour ronde étant donné la distance et la diffraction de la lumière. Il y a une vérité dans toute illusion des sens. Qu’est-ce que l’optique sinon la science qui montre la vérité, la nécessité des illusions des sens.

On comprend donc que Freud trouve plus caractéristique de l’illusion d’y voir l’expression d’un désir. C’est le sens de l’exemple de Christophe Colomb: il ne s’agit pas d’une erreur des sens lorsqu’il a cru être en Inde alors qu’il était en Amérique. Il percevait très bien ce qu’il voyait. Mais comme ce qu’il désirait par-dessus tout, c’était de trouver une nouvelle route vers les Indes, il a mal interprété ce qu’il voyait. Il a très exactement pris ses désirs pour des réalités.

L’illusion tient donc moins à une déficience de la perception qu’à une précipitation du jugement, fruit de notre désir de voir quelque chose. La perception ne donne que l’occasion.

Une illusion n’est donc pas nécessairement fausse, au sens de "irréelle". Elle exprime au moins la réalité de notre désir, qui cherche dans la réalité qui nous entoure sa réalisation.

On devine alors en quel sens la religion est une illusion, quel est le désir qui l’anime secrètement. C’est le désir de ne pas être abandonné à lui-même, seul dans un univers hostile. Ce n’est rien d’autre que le besoin d’un père protecteur. La religion est l’expression d’un désir infantile. Croire en Dieu n’est pas une erreur, mais bien une illusion, l’expression d’un fantasme.

2) principe de plaisir et principe de réalité

Mais la religion aurait donc par là même un rôle de consolation non négligeable: elle permet à l’homme de traverser sans broncher cette vallée de larmes, il lui restera toujours l’espérance fidèle d’un sort meilleur lorsqu’il retournera à la poussière. Est-ce donc à prendre vraiment en mauvaise part que de dire que la religion est une illusion, vu que illusion signifie consolation?

Le problème, c’est que toute religion devient un système de dogmes, d’interdits. Elle contribue par là à culpabiliser l’individu. Lui interdisant certaines pratiques, elle fait de chacun son propre censeur, son ennemi le plus intime. Bref, elle contribue au "malaise dans la civilisation", en retournant contre l’individu une agressivité qu’il dirige normalement vers l’extérieur.

Vous dites que l'homme ne saurait absolument pas se passer de la consolation que lui apporte l'illusion religieuse, que, sans elle, il ne supporterait pas le poids de la vie, la réalité cruelle. Oui, cela est vrai de l'homme à qui vous avez instillé dès l'enfance le doux - ou doux et amer- poison. Mais de l'autre, qui a été élevé dans la sobriété? Peut-être celui qui ne souffre d'aucune névrose n'a-t-il pas besoin d'ivresse pour étourdir celle-ci. Sans aucun doute l'homme alors se trouvera dans une situation difficile; il sera contraint de s'avouer toute sa détresse, sa petitesse dans l'ensemble de l'univers ; il ne sera plus le centre de la création, l'objet des tendres soins d'une Providence bénévole. Il se trouvera dans la même situation qu'un enfant qui a quitté la maison paternelle, où il se sentait si bien et où il avait chaud. Mais le stade de l'infantilisme n’est-il pas destiné à être dépassé? L'homme ne peut pas éternellement demeurer un enfant, il lui faut enfin s'aventurer dans l'univers hostile. On peut appeler cela « l'éducation en vue de la réalité"; ai-je besoin de vous dire que mon unique dessein, en écrivant cette étude, est d'attirer l'attention sur la nécessité qui s'impose de réaliser ce progrès ?

Vous craignez sans doute que l'homme ne supporte pas cette rude épreuve? Cependant, espérons toujours. C'est déjà quelque chose que de se savoir réduit à ses propres forces. On apprend alors à s'en servir comme il convient. L'homme n'est pas dénué de toute ressource; depuis le temps du déluge, sa science lui a beaucoup appris et accroîtra encore davantage sa puissance. Et en ce qui touche aux grandes nécessités que comporte le destin, nécessités auxquelles il n'est pas de remède, l'homme apprendra à les subir avec résignation. Que lui importe l'illusion de posséder de grandes propriétés dans la Lune, propriétés dont personne encore n'a vu les revenus? Petit cultivateur ici-bas, il saura cultiver son arpent de terre de telle sorte que celui-ci le nourrira. Ainsi, en retirant de l'au-delà ses espérances ou en concentrant sur la vie terrestre toutes ses énergies libérées, l'homme parviendra sans doute à rendre la vie supportable à tous et la civilisation n'écrasera plus personne.

Freud: L’avenir d’une illusion

Premier paragraphe: Freud s’adresse à un interlocuteur fictif qui serait le défenseur de la religion, son champion: pour ce dernier, que la religion ne soit qu’une illusion n’est pas un argument contre la religion, au contraire, c’est le mérite de la religion de nous permettre de nous illusionner. Elle est seule à pouvoir nous donner quelque chose de plus utile que tout ce qu’il y a dans cette vie: la force, le courage de supporter cette vie. La religion est une illusion pour la vie!

L’homme a-t-il réellement besoin de cette consolation? L’argument du texte, c’est que la religion ne console pas réellement l’homme d’une réalité sinistre, insupportable, en lui promettant une récompense dans l’au-delà. Mais l’argument de Freud, argument imparable, c’est que c’est la promesse d’un au-delà qui rend en comparaison la réalité d’ici-bas insupportable...

La religion désole le monde en prétendant consoler l’homme.

C’est dans la réalité que l’homme doit trouver de quoi améliorer sa vie. La réalité est le seul remède efficace contre la réalité (deuxième paragraphe). Il faut que l’homme se désinvestisse de l’au-delà, monde de satisfaction imaginaire, pour réintégrer sa demeure. Plutôt l’action que le rêve, la technique que la religion.

On retrouve ici l’analyse freudienne sur un principe de plaisir et un principe de réalité.

L’enfant en bas âge ne connaît pour toute loi que celle de son plaisir. C’est le plaisir qu’il cherche en toute occasion Mais l’âge venant, il fait l’expérience de plus en plus fréquente d’une réalité extérieure qui l’empêche de toujours satisfaire ses désirs, qui a d’autres lois que celles de son caprice. Il faut alors que l’enfant apprenne à tenir compte de la réalité, de la nécessité qui la gouverne s’il veut encore, de temps en temps arriver au plaisir. Le principe de plaisir doit donc se prolonger d’un principe contraire: le principe de réalité. Et toute éducation consiste à faire triompher le principe de réalité.

On peut donc dire que pour Freud, la désillusion est plus consolante que l’illusion. L’illusion empêche de trouver sa satisfaction dans la réalité, elle la rejette dans un autre monde, toujours à venir.

Mais en quelque sorte, l’illusion est néanmoins un passage obligé. L’homme désillusionné, qui a "perdu ses illusions", y gagne beaucoup plus qu’un simple retour à la réalité. Il y gagne plus que ce qu’il a perdu en s’illusionnant: ce qu’il retrouve en sortant de l’illusion, c’est une réalité elle-même désillusionnée, où l’illusion n’est plus possible, n’a plus place. Lorsque le monde est ainsi désenchanté, nous pouvons commencer à le transformer efficacement. L’illusion devient utopie, moteur de l’action humaine.

Lorsque notre vision de la réalité est désillusionnée, l’illusion devient réalisable.

Conclusion: on ne peut donner ni des raisons de croire, ni des raisons de ne pas croire. Aucun argument n’est décisif, mais il faut se décider en toute connaissance de cause, ne pas rejeter la foi sans y avoir réfléchi, ne pas croire sans en mesurer le caractère improbable. C’est parce qu’elle n’est peut-être qu’une illusion que la foi est un beau risque à courir, que sans ça, elle ne serait qu’un préjugé ou une convenance sociale.

CONCLUSION

Rappel de la démarche:

1) origine et typologie des religions

2) opposition science/religion

3) peut-on donner des preuves universelles de l’existence de Dieu? Echec de la raison: aucune preuve n’est convaincante. On en apprend plus sur la raison, ses limites, que sur l’existence réelle de Dieu.

4) on ne peut que persuader l’individu de croire, au coup par coup.

5) le risque, c’est que la religion ne soit que l’expression d’un complexe infantile. Mais c’est un risque dont il faut être conscient. C’est justement le risque que l’on accepte en croyant, en pariant sur Dieu... Que vaudrait la foi de celui qui croit que Dieu existe sans s’être jamais poser la question "et si ce n’est qu’une illusion"? Ce ne serait pas "croire" mais "admettre". Croire, c’est justement parier, s’engager, devenir par sa foi comme son propre témoin.

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