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Cours: LE DESIR (2 de 4)

Publié le 22/02/2012

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desir

B) L'ORIGINE DU DESIR

1.     L'âme, berceau du désir

- Dans La république et Le banquet, Platon insiste sur l'origine psychique ou spirituelle du désir qui est lié à la présence de la raison en nous. En effet, c'est parce que nous sommes des êtres pensants que nous désirons. Le corps est innocent et il est injuste de lui imputer les errances et les erreurs du désir. C'est l'âme seule qui est fautive. D'où la fameuse tripartition de l'âme qui permet d'expliquer cette origine spirituelle du désir.

- L'âme, selon Platon, comprend trois parties :

1.     le noûs : la partie rationnelle, intelligible;

2.     le thumos : la partie irascible, courageuse;

3.     l'épithumia : la partie désirante.

- A la partie rationnelle incombent la maîtrise des désirs et la conduite de la vie. A l'aide de sa partie irascible, elle doit s'emporter contre les désirs démesurés et mettre bon ordre en faisant respecter l'hégémonie de la raison. C'est toujours la raison qui déraisonne. Le corps n'a pas d'opinion. L'opinion du corps est en fait la pensée d'une âme qui fait prévaloir les exigences du désir sur celles de la raison. Le désir est une représentation psychique dont le corps est l’objet et dont les effets sont corporels

- Le désir, nous dit Platon, est le triste privilège d'un être en proie au manque et à l'imperfection. Un dieu ne désire rien car il a tout et il est tout. Sa perfection ne saurait être entachée d'aucun manque. Quiconque ne désire pas est soit une bête, soit un Dieu. Dans Le banquet, Socrate refuse de considérer Eros comme un dieu : c'est un démon, intermédiaire entre les mortels et les dieux. Le désir amoureux n'est pas la jouissance : il est désir et non possession d'un bien; il aspire à ce qu'il n'a pas et n'est pas.

- D'où l'idée que le manque, voire la souffrance, constitue l'essence du désir.

2.     Le désir comme manque (texte de Platon)

- Dans Le banquet, Platon définit le désir comme manque essentiel, pénurie, pauvreté, incomplétude, détresse. Pour expliquer l'origine et la nature du désir, deux textes, dans Le banquet, retiennent plus particulièrement notre attention : celui d'Aristophane et celui de Socrate via Diotime.

a) Le mythe d'Aristophane (texte p.53 du manuel)

- Le mythe d'Aristophane nous brosse une nature humaine originelle divisée par une faute et réunie par l'amour. Jadis notre nature comportait trois espèces : le mâle, né du soleil, composé d'un homme double; la femelle, née de la Terre, composée d'une femme double; et l'androgyne, né de la Lune, composé d'un homme et d'une femme. Ces humains escaladèrent un jour les cieux pour attaquer les dieux. En représailles, Zeus les pourfendit en deux, leur tourna le visage du côté de la coupure afin que la vue du châtiment les rendît plus modestes. Depuis lors, les hommes connaissent le désir et cherchent à s'unir désespérément avec leur moitié pour combler leurs manques.

- Dans ce mythe, le désir apparaît comme un châtiment divin destiné à expier l'orgueil humain. Il exprime la nostalgie d'une plénitude perdue et traduit l'aspiration à retrouver une perfection originaire. Le désir révèle ainsi la misère de l'homme en proie au manque et montre que chacun est séparé de lui-même et ne parvient pas à constituer une totalité autonome.

- Zeus, miséricordieux, pris cependant pitié des hommes et inventa l'amour. Il modifia pour ce faire les organes génitaux de manière que les hommes puissent " enfanter les uns dans les autres". Le passage du désir à l'amour signe la condition de possibilité de la survie humaine. Le désir se commue en demande d'amour, de sorte que chacun cherche à reconnaître sa moitié et à être reconnu par elle. " A travers l'épreuve du désir, chacun prend ainsi conscience de son identité et constate qu'il n'est pas une totalité investie de la toute-puissance. Il se voit contraint d'avouer ses manques et de demander à l'autre de combler par l'amour le vide qu'il éprouve en lui" (Chantal Jaquet, op.cit.).

- Ce mythe pose d'innombrables questions. D'abord, si l'autre comble mes manques et que l'amour réalise une union parfaite, ma demande ne s'apparente-t-elle pas à un leurre, dans la mesure où autrui ne possède pas plus que moi cette possibilité supposée de satisfaction supposée ? L'idée même d'une union fusionnelle, d'une véritable communauté amoureuse ne relève-t-elle pas d'une suprême illusion ? Ne s'agit-il pas là de l'amour tel que nous le rêvons tous et non de l'amour tel qu'il est ?

- Le mythe d'Aristophane, pour simpliste qu'il paraisse, n'en est pas moins riche d'enseignements. Ainsi, notre antique nature était-elle aussi en proie au désir et au manque. Le désir habitait déjà nos ancêtres : comment, sans cela, expliquer la tentative d'escalader le ciel ? Aristophane suggère peut-être que le désir arrache l'homme à l'assoupissement de la satisfaction et fait surgir le manque sur fond de plénitude apparente. " En somme, ce n'est pas le manque qui crée le désir, mais le désir qui crée le manque. L'amour ne saurait restaurer une totalité qui n'a jamais été instaurée. Il comporte nécessairement une insatisfaction qui redouble l'insatisfaction première et qui pousse l'homme à rechercher un "je-ne-sais-quoi" au-delà de la jouissance" (ibid.)

b) Le discours de Socrate

- Platon développe un mythe, celui de la naissance d'Eros, l'Amour mais aussi le Désir.

- L’amour n’est pas Dieu, ni un dieu; c’est un démon puisqu’il est fils de Pénia (la pauvreté) et de Poros (la richesse). Pauvreté, c'est la déficience de notre nature, le manque qui se trouve en elle. L'Amour-Désir est un entre-deux, un mixte, oscillant sans cesse de Pauvreté à Richesse. Entre dénuement et plénitude, le désir est recherche.

- En effet, tout amour est amour de quelque chose, qu’il désire et qui lui manque; d’où la comparaison que Platon établit, dans Gorgias, entre le désir et le tonneau percé, toujours plein, toujours vide, impossible à remplir. L’amour n’est pas fusion, comme le pense Aristophane, mais incomplétude, mais quête, mais pauvreté dévorante. Si tout manque n’est pas amour (par exemple, il ne suffit pas d’ignorer la vérité pour l’aimer, encore faut-il se savoir ignorant et désirer ne plus l’être), tout amour, pour Platon, est bien manque.

- Il n’y a désir, en effet, que si le manque est perçu comme tel, vécu comme tel (on ne désire pas ce dont on ignore manquer). De même, il n’y a d’amour que si le désir, en lui-même indéterminé (ainsi la faim, qui ne désire aucun aliment en particulier), se polarise sur tel ou tel objet (amour de la viande, ou du poisson, ou d’une femme) : désirer une femme, n’importe laquelle, est une chose (c’est un désir); désirer cette femme en est une autre (c’est un amour); être amoureux est autre chose, et plus sans doute, qu’être en état d’excitation sexuelle; mais il est bien évident que l’on ne peut être amoureux si l’on ne désire pas, d’une manière ou d’une autre, celui ou celle que l’on aime.

- De sorte que si tout désir n’est pas amour, tout amour est bien désir : l'amour est, selon Platon, dans sa première acception, le désir déterminé d’un certain objet, en tant qu’il manque particulièrement.

- Toutefois, Platon souligne également le caractère créateur du désir qui m'oriente vers la plénitude de l'Idée. Le désir, expression du manque et de la détresse, peut se dédoubler et être purifié. Ainsi Platon distingue-t-il, dans Le banquet, deux formes de l’Amour : il est “ un enfantement dans la beauté, et selon le corps, et selon l’âme ”, enfantement qui admet deux modalités d’exercice : l’amour corporel; l’amour intellectuel qui recherche le vrai. Qu'est-ce à dire ?

- Il y a deux issues possibles à l'incomplétude et à la souffrance du manque : la création ou la procréation par l’art ou par la famille (éternité de remplacement); l’amour n’échappe au manque absolu qu’à la condition d’enfanter, selon le corps (la famille), selon l’esprit (la création dans l’art, la politique, les sciences, la philosophie).

- Une autre issue, plus difficile, est la dialectique ascendante : ascension spirituelle, parcours initiatique, salut par la beauté. Franchir les uns après les autres les degrés de l’amour (aimer d’abord un seul corps, pour sa beauté, puis tous les beaux corps, puisque la beauté leur est commune, puis la beauté des âmes, qui est supérieure à celle des corps, puis la beauté qui est dans les actions et les lois, puis la beauté qui est dans les sciences, enfin la beauté absolue, éternelle, surnaturelle, celle du Beau en soi). L’amour n’est sauvé que par la religion : si l’amour est manque, sa logique est de tendre toujours plus vers ce qui manque absolument, qui est le Bien et dont le Beau n’est que l’éblouissante manifestation; le Bien est Dieu dans lequel on s’apaise, on se rassasie enfin.

- Platon , à travers sa réflexion sur l’amour et le désir, nous mène donc de l’expérience du manque à la transcendance ou à la foi. Si donc le désir est ce manque radical, c’est qu’il exprime la nostalgie d’un monde divin et plein (on retrouve le sens étymologique : la nostalgie d'une étoile).

- En somme, l’amour, le désir sont de précieux auxiliaires pour celui qui veut s’exercer à l’immortalité. C’est par une démarche méthodique, une initiation guidée par l’éducateur, que l’amoureux apprend à tourner son regard et à diriger son désir vers le beau. Cette initiation  est une purification par laquelle le désir, primitivement attaché au corps, est mis au service de l’âme.

- Il s’agit dès lors de convertir le désir corporel, de le purifier en désir de vérité et d’immortalité, de façon que l’âme se libère de l’emprise corporelle et dirige elle-même. La philosophie a pour fonction de détacher l’âme du corps et de faire triompher la raison, par l’intermédiaire du courage et de l’éducation, sur les désirs tumultueux du corps. En rivant le désir à un objet unique - la vérité, la beauté -, le désir, qui naît d’un manque, trouve sa plénitude dans la possession des essences éternelles et immuables. Le désir d’immortalité réalise la mort du désir.

Conclusion :

- Ainsi, à l'origine du désir, avons-nous, semble-t-il, la présence de la raison, de l'esprit et de la pensée en nous, mais aussi le manque, l'imperfection, la nostalgie d'une plénitude originaire, ainsi que le désir d'immortalité et de perfection. Après avoir élucidé quelque peu l'origine du désir – origine existentielle et ontologique s'il en est, demandons-nous maintenant quel est l'obscur objet du désir.

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